Chapitre I - 2.

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  Il reprit place dans son grand fauteuil en lui indiquant d'un geste de la main la chaise qui lui faisait face. Elle pensa à rechigner ou à partir en claquant la porte, mais elle y renonça bien vite. Elle ne lui laisserait pas son travail. Elle s’assit en face de lui, toute droite, avec la classe et la prestance qui l’avaient impressionné la première fois qu’il l’avait aperçue dans cet immense et immonde amphithéâtre de l’université. Ses traits étaient un peu plus tirés. Certes. Son visage plus fermé aussi. Mais c’était toujours elle. Liz. La jolie étudiante déterminée qui ne lâchait jamais rien. Celle avec qui il fallait lutter, avant d’espérer pouvoir la conquérir. Celle avec qui il avait temps joué, jusqu’à devenir un combattant des plus aguerri. Autrefois.

  Il commença donc à lui exposer les stratégies marketing de sa maison d’édition. Quels autres auteurs prestigieux il publiait, l’argent qu’elle gagnerait, la renommée certaine aux vues de la qualité de son travail et tout un tas d'autres arguments des plus classiques. Elle l’écoutait sans broncher, sans rien laisser transparaître. Ça le mettait mal à l’aise, il n’était plus habitué à ce qu’on le traite de la sorte, avec autant de froideur et de distance. Il réussissait toujours à charmer ses clients en quelques minutes. Un sourire, un café, un argument, un autre sourire et ils étaient à lui. Mais elle n’était pas une simple cliente.

  Une fois le discours de commercial achevé, Liz tendit la main vers son recueil. Thibault haussa un sourcil en signe d’interrogation. Elle ne prit pas la peine de lui répondre, elle n’en avait pas envie. Il venait de lui prouver encore une fois qu’il n’était pas à la hauteur. Elle se leva et attrapa son recueil dans un geste vif qu’il ne put intercepter. Puis, elle entreprit de sortir de ce bureau qui lui donnait la nausée. Mais il ne voulait pas la laisser filer, il ne devait plus la perdre, alors il s’exclama :

  « Liz, attends !

  — Tu as encore d’autres techniques de pseudo homme d’affaire à me faire endurer ? demanda-t-elle d’un ton qui trahissait son émotion, elle était déçue.

  — Non. Je te dois des excuses. Tu mérites bien mieux qu’un de ces discours bateau. Ton travail aussi mérite mieux.

  — Encore une chose que tu as l’habitude de dire aux auteurs qui ne se laissent pas avoir ?

  — Non, insista-t-il. Accorde-moi encore quelques minutes. Cinq, pas plus, et si ce que je te dis ne te plaît pas, alors reprends ton recueil et va trouver une meilleure maison d’édition.

  — Bien, mais dépêche-toi, je suis attendue ailleurs. Elle avait repris son ton détaché.

  —Premièrement, je te rappelle que ton recueil est arrivé jusqu’à moi par les voix administratives normales. Il est indiqué que c’est toi qui nous l’as envoyé, Elisabeth Schmitt. Il lui montra le dossier en preuve de sa bonne foi et fut surpris de l’incompréhension qu’il lut sur son visage. Je n’y suis pour rien. Je t’assure. Je n’ai fait que lire la proposition d’une de mes employées. Mais ce n’est pas ton nom sur l’enveloppe qui m’a décidé à travailler sur ton projet. Ce sont tes mots. Tes histoires. Tes personnages qui m’ont donné envie de bosser avec toi. Tu as du talent, et tu en as toujours eu. Ta manière de jouer avec les mots, avec les émotions. De faire vibrer le personnage aussi bien que le lecteur. Thibault appuya ses coudes sur son bureau et planta ses yeux dans les siens. Tu sais, j’ai vu pas mal de projets défiler ici. Mais il est rare que je tombe sur un auteur qui réunit tout ce qui fait de lui quelqu’un de talentueux à mes yeux. Le style. La passion. L’authenticité. Tu as tout ça Liz, ça coule dans tes veines et ça déborde dans tes mots. Tout garder pour toi, c’est égoïste. Tu pourrais apporter tellement aux gens. Et je ne parle pas de l’argent que tu pourrais nous rapporter. Non. Je te parle de transporter le lecteur, de le pousser à se questionner. De le faire rire, pleurer. De le réconforter. C’est pour cela que tu dois être publiée. Si tu ne veux pas que ça soit par moi, alors trouves quelqu’un d’autre. Mais saches que je serais honoré de travailler avec toi. »

  Un silence glacial prit place dans la pièce. Liz baissa les yeux sur son recueil qu’elle tenait toujours entre ses mains. L’air impassible, elle laissa volontairement d’écouler quelques longues secondes pour préparer une réponse qui lui donnerait l’avantage. Il avait touché des points sensibles, il ne pouvait pas l’ignorer, mais il ne devait pas pour autant pouvoir en profiter. Déterminée, elle releva la tête et planta une nouvelle fois son regard dans le sien avant de déclarer d’un ton ferme :

  " Je veux un droit de regard sur tout ce qui touchera de près ou de loin à mes textes. La couverture, les éventuels changements, le processus de publication, tout. Je me garde un droit de veto pour certaines choses et je veux que tout passe par moi. Elle marqua une pause. Une dernière chose. Je t’accorde le droit de bosser avec moi mais je veux qu’il y ait une troisième personne avec nous.

  — Je te prévois un entretien avec Silvia alors, c’est elle qui m’a suggéré le projet. Rien ne t’oblige à travailler avec elle mais je ne veux pas la mettre à l’écart, déclara-t-il d’un ton neutre qui cachait à la perfection la joie que sa réponse avait déclenché en lui.

  — Bien, on fait comme ça. Je laisse ma carte à ta secrétaire. Elle n’aura qu’à m’appeler quand Silvia et toi vous vous serez mis d’accord sur un rendez-vous. »

  Sans attendre davantage, elle reposa son recueil et quitta la pièce. Il patienta une petite minute, puis sortit lui aussi. Il s’approcha de sa secrétaire qui faisait semblant de passer un coup de téléphone à un client. Il appuya sur la touche « raccrocher », sachant pertinemment qu’elle était en train de raconter ce qu’elle avait pu entendre à l'une de ses collègues. La jeune secrétaire sursauta et ouvrit la bouche pour protester, mais se ravisa rapidement. C’était inutile. Il lui demanda la carte de la cliente qui venait juste de sortir. Elle lui tendit dans un sourire rempli de malice auquel il se permit de répondre en souriant à son tour. Mais son visage s’assombrit lorsqu’il posa les yeux sur le petit bout de carton :

« Mme Elisabeth Friedmann, maître de conférences à l’université de Strasbourg, spécialiste de la littérature du XXème. »

   Elle était mariée.

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