Chapitre I - 1.

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  Cela ne pouvait être qu’elle, il en était certain. Elle transparaissait au travers de chacun de ces mots, son empreinte rôdait partout entre les lignes, c’était elle. En lisant son nom sur l’enveloppe, il n’y avait pas réussi à y croire. Elisabeth Schmitt. Ce n’était pas le patronyme le plus original de la région. Quelle chance y’avait-il pour que ce soit elle et pas une autre ?

  Il poussa un long soupir et se laissa retomber en arrière sur son grand fauteuil de cuir noir. Il la tenait là, entre ses mains. Elisabeth. Il ne pouvait pas la laisser s’échapper, pas encore une fois.

  Il déposa soigneusement le paquet de feuilles reliées sur le bureau, sembla réfléchir un instant puis se leva brusquement. Il ouvrit la porte à la volée et interpella une jeune femme assise dos à lui. Elle se retourna surprise et l’interrogea d’un simple oui.

  « Envoyez un mail à Silvia, elle ne travaille plus sur le recueil de nouvelles qu’elle m’a proposé, je m’en charge moi-même. Merci. »

  Il ne lui laissa pas le temps de répondre et se renferma aussitôt dans son bureau. Il n’avait pas envie d’entendre ce qu’elle avait à dire, il le savait déjà. Silvia allait le détester. Tout le monde allait douter. Et dans quinze minutes quand l’heure de la pause déjeuner sonnerait, il serait l’objet de toutes les conversations. Il savait très bien tout cela et n’avait en rien besoin qu’on le lui rappelle.

  Il avait tout lu et relu soigneusement, trois fois, ou plus, il ne comptait plus. Il s’était perdu dans ses mots, dans ses pensées, dans ses sentiments, dans ses histoires. Il s’était perdu à travers elle, exactement comme dix ans auparavant, quand il l’avait lue pour la première fois, assis par terre, le dos reposant sur le canapé, armé d’une lampe torche. Il y avait passé sa nuit, subjugué par cette facette d’elle qu’il ne connaissait pas, retenant des mots, des phrases, des pages qu’il ne lui aurait jamais attribués. Ils n’avaient jamais été aussi proches. Et aujourd’hui, assis à son bureau à une heure bien tardive, il retrouvait ces mêmes sensations. Cette proximité, cette confiance, cette admiration, cette distance et ce doute. Il la retrouvait elle, dans toute sa splendeur et sa complexité. Alors, il passa toute la nuit avec elle, comme la première fois et s’endormit sur ses mots alors que l’aube pointait doucement le bout de son nez.


  Une semaine s’était écoulée, et la rumeur avait fait son chemin. Toute la maison était en ébullition. On ne parlait que de ça, tout le temps. Pendant les pauses, avant les pauses, après les pauses. Tout le temps. Qui était donc cette personne pour qui le directeur remettait le pied à l’étrier ?

  Assis dans son grand fauteuil, il fixait l’ébauche de livre, une tasse de café bientôt froid à la main. Elle serait un peu en retard, comme toujours, alors il tentait de patienter le plus calmement du monde, mais ses doigts qui tapotaient frénétiquement le rebord de son bureau trahissaient son angoisse et son impatience.

  Quinze minutes après l’heure prévue, elle poussa la porte de son bureau sans même prendre la peine de frapper, Silvia et l’assistante sur ses talons. Il sursauta légèrement, renversant une goutte de café sur son pantalon alors qu’elle restait là, sur le pas de la porte le fixant avec mépris.

  Silvia toussota, renvoya l’assistante sèchement et défroissa son tailleur avant de déclarer d’un ton qui se voulait professionnel :

  « Enchantée, je suis Silvia Mars, l’éditrice qui vous a repérée.

  — Tu te fous de moi Thibault ?! demanda la cliente qui lui faisait face les poings serrés.

  — Laisse-nous Silvia, ordonna ledit Thibault en se levant.

  — Mais…, tenta de contester sa collaboratrice.

  — Maintenant Silvia, je ne suis disponible pour personne. »

  L’éditrice poussa un petit soupir avant de sortir de la pièce, furieuse, les laissant là à se dévisager. Thibault observa la femme qui se trouvait devant lui sans pouvoir s’empêcher d’y revoir la jeune étudiante qu’elle était dix ans plus tôt. Alors il lâcha un sourire, franc et quelque peu arrogant, comme avant. Elisabeth émit un hoquet de surprise, avant de laisser échapper un petit rire. Un rire ironique qu’il ne connaissait que trop. Le rire se tût brutalement, et elle attaqua. Elle se défendrait, il le savait :

  « Vraiment Thibault ? Le coup du sourire, sérieusement tu y crois encore ? Après tout ce qui a pu se passer, tu crois qu’il va suffire cette fois ?!

  — Il a toujours suffi, rétorqua-t-il, sûr de lui.

  — Plus maintenant. Pas après ça. Je ne sais pas comment tu as fait pour obtenir mes écrits, mais si tu crois qu’il te suffit de me proposer de m’éditer en souriant pour me retrouver, alors tu n’as vraiment rien compris, déclara-t-elle d’une traite, comme pour s’en convaincre, comme pour masquer que ça sonnait tellement faux.

  — Mais c’est toi qui les as envoyés Liz. Silvia a reçu ton recueil il y a quelques semaines par les voix habituelles. Elle me l’a soumis et j’ai validé le projet. C’est tout. Il marqua une pause, soupira, puis sourit. Tu me déçois. Comment tu as pu croire que c’est moi qui reviendrai te chercher ?

  — Parce que tu penses que c’est moi qui suis revenue ? Huh. Tu ne me semblais pas si naïf dans mes souvenirs. Enfin, quoi qu’il en soit, je récupère mon recueil, et on oublie tout ça.

  — Impossible. Ton recueil est trop bon pour que je le laisse partir. Tu dois être éditée et je veux le faire.

  — Il en est hors de question Thibault, je ne travaillerai pas avec toi. Et de toute façon ce recueil n’est pas destiné à l’édition !

  — Tu n’as vraiment pas changé, lança-t-il dans un sourire qui tendait vers le rire. Tu doutes encore de toi, de tes mots, de ton travail… 

  — N’importe quoi ! le coupa-t-elle. Je ne doute de rien, je ne veux juste pas offrir mon travail à n’importe qui. Elle passa sa main dans ses cheveux châtains, elle détestait qu’il la connaisse si bien.

  — Arrête Liz, pas à moi. Allez, assieds-toi, on va en parler calmement. Je te promets de te traiter comme n’importe quel autre client si tu veux. »

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