13 – 2 Si pur, si rare

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Elle rentra dans la première maison. En ouvrant la porte, elle se couvrit rapidement le nez. Malgré tout, elle alla jeter un coup d’œil, par acquit de conscience, vérifiant s’il ne restait pas quelques conserves, mais c’est sûr, elles ne s’installeraient pas ici !

Quand elle sortit, elle vit Emma qui s’approchait, curieuse.

— Non ! ne put s’empêcher de s’exclamer Tara, levant la main pour l’arrêter, puis secouant la tête en fermant la porte. Pas Ici.

Emma comprit.

Tara ignora la maison voisine, calcinée, regarda la maison d’en face, apparemment intacte. Toujours aucun mouvement, les fenêtres oblitérées, le garage fermé… Elle s’avança. Arrivée à deux mètres de cette porte, celle-ci s’entrouvrit tout doucement, laissant passer le canon d’un fusil. Elle avait stoppé net, avec l’envie d’attraper son bâton dans son harnais, mais il valait mieux une arme du même acabit.

Un œil dans l’embrasure.

— Allez-vous-en…

Bon ben, si ça tente de communiquer, c’est bon signe.

Elle leva les mains en signe de reddition.

— C’est bon, pas de problème, c’est chez vous.

Elle commença à reculer pas à pas.

— Dites à votre copine de baisser son arme.

Tara eut un arrêt.

Merde, Emma !

Elle hésitait à lâcher l’homme du regard.

— Emma ? appela-t-elle sans se retourner.

Pas de réponse. Juste une respiration rapide. L’homme s’avança sur le pas de la porte, se montrant enfin, mais visant franchement Emma.

— J’ai dit : dites à votre copine de lâcher son arme !

Un rapide coup d’œil lui fit voir une Emma tassée sur elle-même, épaules rentrées, les mains crispées sur l’arme.

Pas bon !

— Emma, tu peux lâcher, lui intima-t-elle en parlant lentement, insistant sur chaque mot. Elle va le faire, ayez confiance.

Mais Tara continua malgré tout à surveiller l’homme. Elle pressentait que cela risquait de déraper à tout instant. Et en effet, un coup partit de part et d’autres. Tara s’élança pour faire écran entre les deux, et surtout pour ôter l’arme des mains d’Emma. Il fallait s’y attendre.

Ça m’apprendra à vouloir absolument obliger quelqu’un qui n’est pas prêt à utiliser une arme.

Une aiguille de douleur transperça son bras gauche, alors qu’elle l’avait levé en tentative désespérée de barrage. Elle réussit à prendre l’arme.

— C’est bon, Emma. Tout va bien.

Elle avait aussi jaugé l’homme. Il avait l’air sûr de lui, mais plus dans le genre prudent et réfléchit que tueur gratuit. Toujours de la chance…

Ah ben non, pas tant que ça.

Quand elle abaissa sa main gauche, celle avec laquelle elle avait pris le pistolet, elle sentit comme un rouage qui se bloque, ses muscles se crisper, et de nouveau l’aiguille de douleur, qui resta cette-fois-ci. Et elle se retrouva le bras tremblant, la main tétanisée sur l’arme, heureusement dirigée vers le sol. Elle tenta de transformer son grognement en soupir ténu.

— Tout le monde va bien ? lança-t-elle tout à trac en se retournant à demi vers l’homme.

Il avait abaissé le canon de son fusil, mais avait l’air perplexe.

— Vous ne voulez vraiment pas la ranger, cette arme ?

— Je voudrais bien, mais… dit-elle un ton plus rauque. Peux pas. Je crois que j’ai un petit problème…

Elle tâta sa blessure de son autre main. Encore du sang. Pas autant heureusement, car c’était le sien cette fois-ci. Emma l’aperçut, mis sa main devant sa bouche, retenant un cri.

— Je vois ça, oui, constata l’homme… Vous devriez entrer vous soigner, ajouta-t-il, tenant son fusil par le canon d’une main et s’écartant pour les inviter à passer devant lui.

Tara resta sur ses gardes, et il le remarqua.

— Promis, je vous ferais pas de mal.

Cette fois-ci, c’est lui qui avait levé les mains.

— Après tout, pas le choix… marmonna Tara, s’avouant qu’il lui inspirait confiance. Et elle s’avança, suivie par une Emma craintive.

Il ferma la porte derrière elles, et pendant qu’elles posaient leurs sacs dans un coin, il augmenta la luminosité en allumant une autre lampe à huile.

Il faisait bon chaud dans la pièce, un salon-salle à manger où il s’était apparemment installé, vu le stock d’affaires entassé par endroit. Au milieu, un vieux poêle fonctionnant avec des bouteilles de gaz. Apparemment, il avait réussi à s’en faire un stock pour avoir tenu jusqu’ici. Était-ce planqué dans son garage ?

Tara prit la trousse à pharmacie, ignora la fiole, se contentant du nécessaire pour soigner sa blessure. Elle s’extirpa de ses vêtements. L’homme haussa un sourcil en voyant ses particularités.

— J’ai l’impression que vous en avez déjà bavé, vous.

— On peut dire ça…

Elle tenta de trouver la balle avec une pince pour l’extirper de son bras, ayant une pensée pour Yahel. Il faudra qu’elle montre tout ça à Marc. La manœuvre ne s’avéra pas facile vu que la plaie se situait sur l’arrière. Elle avait beau se tordre le cou, elle ne pouvait y aller qu’en tâtonnant. Ce fut l’homme qui réagit et vint à sa rescousse.

— Donnez-moi ça.

Elle le laissa prendre la pince, s’asseyant sur la table comme il le lui avait demandé, et s’accrochant par anticipation au rebord de sa main libre.

— Serrez les dents.

Comme si je t’avais… Han… attendue, pensa-t-elle.

Sa main gauche s’ouvrit, libérant l’arme, et ses muscles se détendirent.

— Merci, lui dit-elle dans un soupir de soulagement, fixant ce qu’il avait enlevé, un simple petit bout de balle écrabouillée qui s’était coincé.

Il continua en lui désinfectant la plaie et en lui faisant un bandage serré.

— La nuit va tomber, vous devriez dormir ici.

Tara regarda Emma. À la supplication dans ses yeux, elle accepta en se présentant, elle et Emma.

— Moi, c’est Erwan. Et vous venez d’où ?

— D’une ville plus au sud répondit-elle en restant intentionnellement vague. On essaie d’aller retrouver sa famille vers le nord.

Ils partagèrent un repas, elles appréciant les quelques légumes qu’il avait en sa possession, provenant d’un jardin derrière la maison d’après ses dires, lui dégustant une bonne tranche de pain, ce qu’il n’avait pas pu manger depuis longtemps, ignorant comment en faire. Puis elles installèrent leurs duvets au sol, côte à côte, face au divan dont l’homme se servait aussi en guise de lit.

— Une seule pièce à chauffer, c’est déjà pas mal.

Elle approuva la méthode.

Il s’installa, assit sur son canapé. Tara resta face à lui, en tailleur sur son duvet, dos contre le mur. Emma s’allongea, exténuée et soulagée à la fois. Tara lui fit un petit sourire pour la rassurer.

— Vous pouvez dormir si vous voulez. Vous devriez même, après ça. Comme je vous l’ai dit, je ne vous ferais rien.

— Vous aussi vous pouvez dormir… Vous n’avez pas confiance ?

Il eut un petit rire.

— Gagné, on n’a pas fini de tourner en rond, comme ça !

Ils continuèrent à se regarder, mais sans animosité, plus sereins et confiants. L’homme avait l’air plus âgé que Tara, la brosse de ses cheveux blond commençant à arborer des mèches blanches sur un visage franc.

— Le truc là, que vous avez…

Il fit un rond sur le haut de sa poitrine, là où Tara avait son pendentif, seul attribut des dragons qu’elle avait gardé sur elle pour éviter de se faire remarquer.

— Cet emblème, j’ai croisé des gens qui en parlait.

Elle resta impassible. Les yeux d’Emma s’agrandirent, mais cette dernière se tut.

— Ah oui ?

— Oui, ils parlaient d’une rumeur. Une rumeur qui dit que si vous cherchez un refuge ou un abri sûr, un coin pour vivre en paix après cette foutue merde, si vous voyez des engins ou des personnes avec un sigle à tête de lion ou de dragon, alors suivez-les.

Tara eut un soulagement intérieur, se disant que si cette rumeur circulait, cela allait peut-être leur faciliter les choses.

— Apparemment, des infos circulent, malgré tout…

— Quand je vous vois, je me dis que c’est peut-être pas qu’une rumeur. Alors ?

Tara était perplexe. Ce n’était jamais elle qui incitait les gens à venir chez eux.

— Si c’était vrai, que feriez-vous ?

— J’y réfléchirais. Pour le moment, je suis bien, tout seul. C’est reposant. Et plus tranquille.

— Pour le moment.

Il opina.

— Alors, réfléchissez-y.

Emma s’était endormie depuis longtemps. Le fameux Erwan, une fois allongé sous sa couette, avait lui aussi succombé. Tara resta en éveil, écoutant le silence à peine brisé par le ronflement du poêle. Elle trouva cela bien agréable. Elle fixa la porte d’entrée durant un long moment. Puis dans la nuit, elle se leva sans bruit, abaissa la lumière des lampes, par souci d’économie, et parce que l’obscurité n’était pas une gêne. Et pas à pas, elle découvrit le moindre recoin de la pièce, étudia les objets qui s’y trouvaient. Des photos sur un meuble, dans leur cadre, à l’ancienne, image d’Épinal de toute une famille, avec papa, maman, les enfants, le chien, sans oublier Mamie. Pas d’Erwan, mais cela ne la surprit pas. C’était exactement ce à quoi elle s’attendait.

Discrètement, elle fit le tour du reste de la maison. La cuisine avec les placards ouverts, ceux du haut vides, les autres à portée de main mélangeant ustensiles et conserves alimentaires. Les bocaux fait-maison provenaient de là. Dans les chambres, les armoires, commodes, aussi ouvertes et en partie vidées. Pas de valises. Juste de la poussière. Une seule porte resta fermée. Si elle calculait bien, c’était celle menant au garage. Elle ne s’en désola pas, se disant qu’elle avait vu l’essentiel. Elle retourna dans la chaleur du salon, se demanda pourquoi le sommeil ne voulait pas venir.

Quand Emma rouvrit les yeux, il dormait encore. Tara fit signe de faire silence. Elles se rhabillèrent, emballèrent discrètement leurs affaires et entreprirent de sortir sans le déranger.

— Vous ne voulez pas manger avant de partir ?

Tara se retourna.

— On ne va pas vous déranger plus longtemps, on a encore de la route… Merci.

Il opina, impassible, et les laissa partir.

— Une dernière chose, ajouta Tara en se retournant une dernière fois, vous devriez fermer votre porte à clé. Vous seriez plus en sécurité, et plus personne ne viendra vous embêter.

C’était bien une chose qu’elle avait notée. Une fois qu’il les a accueillies chez lui, il avait fermé la porte, mais n’avait pas tourné la clé.

— C’est qu’y a foutrement plus personne qui passait dans le coin. J’ai perdu l’habitude. Vous êtes les premières.

— Et rien ne dit que nous serons les dernières.

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