4 – 4 Il y avait du sang sur le pavé

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Ils commencèrent à deviser entre eux.

— Qu’est-ce qu’on en fait ? Je la tue ou on s’amuse avec ?

— Vu comme elle est amochée, celle-là, on te la laisse. On a déjà c’qu’y faut ! dit l’un de ceux qui tenaient les autres sous la menace, un regard concupiscent sur Tamy.

Heureusement que Lucie ne voit pas ça !

— Et les autres, on en fait quoi ?

— On va trier, on verra ceux qu’on garde. Le reste, tu sais ce que ça vaut…

Pas sûr d’avoir la voix qui porte encore assez, mais elle ne put s’empêcher d’interrompre leur petite conversation des plus surréalistes.

— Pfff. Et vous prétendez valoir mieux que les autres… Toujours les mêmes erreurs, les mêmes saloperies, encore et toujours.

— La ferme ! vociféra celui qui la gardait prisonnière. Avec des comme toi, nous avons tous les droits.

— C’est cela, oui ! Dans votre tête !

Elle soupira, secoua la tête. Y avait-il encore un espoir de les rappeler à leur bon sens ? En avaient-ils seulement ?

— Bon sang, les gars, sérieusement, vous vous croyez dans un jeu vidéo ou quoi ? Ce sont de vies humaines, dont vous parlez, des vrais gens qui sont là, devant vous. Revenez sur terre, sortez de votre bulle, ici c’est la réalité. Vous voulez en faire quoi ?

On ne la laissa pas continuer son discours.

— J’vais te mater, moi…

Elle sentit la pointe du couteau pénétrer dans une de ses plaies, puis tourner doucement, déchirer lentement, creusant un peu plus le trou de son épaule comme une cruelle tendresse…

Elle cria.

Tous les assaillants avaient le regard braqué sur elle.

Bien. Au moins pendant ce temps, ils laissent les autres tranquilles. On continue… Je sais pas combien de temps, mais… On continue…

Mais merde ! Ça fait un mal de chien !

— Eh les gars… vous avez pas été à l’école ?… J’ai une mauvaise nouvelle pour vous. Croire en un dieu aujourd’hui… c’est du niveau du… père Noël !

Nouvel élan de douleur.

Elle ne vit pas leur chef se rapprocher. Tout en ahanant, à moitié étouffée par le bras de l’autre, elle essaya d’attraper discrètement de sa main libre un ciseau resté dans une de ses poches. L’effort paya, elle réussit. Ses doigts l’atteignirent, elle le saisit, le brandit, prête à frapper. Mais pas le temps d’en faire plus. Une autre lame se ficha dans son poignet. Le tout se planta dans le mur avec l’assistance d’une poigne sérieusement décidée. Du vrai carton-pâte, ou le pouvoir du corps humain ?

Elle détestait s’entendre crier.

Quand elle réussit à rouvrir les yeux, alors que l’autre la bloquait toujours, elle découvrit le chef nez à nez avec elle. L’autre lame, c’était lui.

Il la nargua.

— Ah oui, explique-moi ça…

À son ton, elle l’avait vraiment énervé. Il n’allait pas le regretter. Elle avait tellement envie de lui faire plaisir qu’elle se retrouva quelques forces, ce qui l’arrangeait.

— C’est pourtant simple. C’est une affaire de plan d’existence. Si ton dieu… a créé l’univers, tu crois vraiment qu’il en a quelque chose à foutre de toi ?… Mon pauvre, il ne sait même pas que tu existes. Et ça, tout le monde le sait, alors cessez de donner ce vieil argument comme prétexte à votre volonté, et assumez vos actes !

Elle commençait à avoir du mal à parler.

Ne tombe pas dans les pommes. Pas encore ! Trop tôt.

— Vas-y, continue…

Il mit le canon de son arme sur son front. Comme il avait l’air d’apprécier son jeu, elle prit le risque de continuer.

— Tu comprends toujours pas ? Réfléchis. L’échelle de l’univers. Un univers créé par un dieu. Eh bien… Tu as remarqué l’araignée là-haut dans le coin ? Non ?… Donc, imagine le cancrelat qui vit sur le cancrelat qui vit sur elle… Tu visualises la taille que peut faire sa merde ?

Elle avança son visage, répondant au défi.

— Eh bien voilà ce que tu es pour ton dieu : de la merde de cancrelat !

Il n’avait vraiment pas l’air d’apprécier la nouvelle.

— Ça… Tu vas le regretter…

L’arme se retourna d’un coup. La crosse, masse obscure, fonça, rencontra sa cible, craquement mou, écœurant, sa tête valsa de travers, le monde avec.

Un instant, ou une éternité, tout disparut. Plus d’image, plus de son, juste un sifflement.

Puis, ce fut comme si sa tête avait été enfoncée dans du coton, tous lui parvenant à travers une masse invisible.

La main de l’homme glissa le long de la chaîne autour du cou de Tara, la saisit, sortant ainsi de sa cachette ce qu’il y avait au bout. Il fronça les sourcils.

— J’ai déjà vu ça quelque part…

Tara entendit à peine ces mots. Un grand courant d’air frais venant de l’arrière de la boutique souffla sur son visage, puis une fleur s’épanouit sur le front de son assaillant, au son de pétarades et d’autres cris de terreur. Elle ne vit pas le branle-bas de combat, l’affolement dans les rangs, l’autre s’écrouler dans la foulée, tombant tout droit sur lui-même, juste une sensation de libération avant de glisser doucement vers le sol.

On la stoppa. Une voix.

— C’est fini, on est là…

D’autres bruits de tirs, encore des cris, graves, stridents, pour tous les goûts, qui perdurèrent, peinèrent à se calmer.

— C’est bon ! J’ai eu le dernier !

Une autre voix qu’elle avait déjà entendue, sans pouvoir mettre un visage dessus, dépassa les clameurs. Mais cette voix, et les autres, tous ceux qui venaient de parler, la rassuraient. Tout ça, c’était bon signe.

— Vous êtes qui, encore, bordel ?

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Ok… Ohla, calmez-vous, m’sieurs, dames. C’est terminé, ils ne vous feront plus rien. Nous, on est les gentils. Vous pouvez vous détendre… Tout le monde va bien ?

— Où sont les flics ?

— Euh… Comment vous dire… Ils sont comme qui dirait… débordés. On les aide un peu.

— Oh merde ! C’est pas vrai…

Elle réussit à entrouvrir un œil, distingua avec peine celle qui venait de prononcer ces derniers mots d’une voix blanche, alors que des paumes de mains soutenaient ses joues.

Yahel.

— Désolée, ma vieille, j’ai un peu tardé…

Un petit air gêné et effaré sur son visage.

Pourquoi j’arrive pas à ouvrir mon œil ? J’ai une sensation bizarre.

— Viens m’aider !… Décroche-le du mur… Oui, c’est ça, doucement, mais sans le retirer de son poignet.

Une nouvelle douleur fusa le long de son bras droit.

— Ça va aller, on s’occupe de toi.

— Les… Les filles ?… Les autres…

Sa voix était trop faible à son goût.

— Tout le monde va bien, rassure-toi.

On l’enveloppa dans quelque chose, on souleva ce cocon, on la transbahuta. Une odeur de vieux cuir. Une voix.

— Attention !… Désolé, ma belle, on essaie d’y aller doucement. Patience, on se casse d’ici.

Barbe grise.

— C’est bon, tout le monde. C’est terminé. Ceux-là ne vous feront plus rien. On vous a dégagé un peu l’espace, vous pouvez donc sortir discrètement, mais… Un conseil : rentrez chez vous, auprès des vôtres, de votre famille, discrètement, et restez-y, barricadez-vous, le temps que ça se calme. Ok ? Et dès que possible, sortez de la ville. Mais surtout, faites pas les cons, entraidez-vous !

Une voix effrayée s’éleva.

— Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui lui a pris ! Pourquoi elle a fait ça ?

Tara ne vit pas Yahel jeter un regard à la ronde sur les autres victimes de cette attaque, encore sous le choc, les yeux hagards, mais attendant une réponse. Elle s’était laissée sombrer.

— Elle vous a sauvés, vous êtes vivants, soyez-en heureux.

Elle secoua la tête en direction de ses compagnons, et à son signal, ils évacuèrent les lieux.

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