34 – Dès que tu es entrée dans l’agonie

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Elle se réveilla la tête un peu lourde, comme après avoir trop dormi. Peut-être un peu faim aussi. Dans une demi-conscience, elle se rappela toutes ses femmes la soigner, la nourrir, lui laver le corps, les cheveux. Bercée pas leurs gestes, des souvenirs se bousculaient dans sa tête, la hantaient, alors qu’elle ne voulait pas de leur réalité. Et accepter cette réalité-ci, c’était tout accepter, y compris l’horreur.

Elle ouvrit les yeux, se trouva reposant à plat, sur le dos, dans une chambre baignée de lumière. Une immense baie vitrée ouvrait sur un paysage de carte postale au ciel d’azur. Elle se sentait bien lasse. Ses jambes, deux poids morts. Tout le bas de son corps, masse immobile. Tout son corps, d’ailleurs, atteint d’une indolence sombre, obscure, noire, annihilant la volonté d’amorcer le moindre mouvement.

Qu’est-ce que je fous encore dedans ?

Elle observa ses bras, scruta celui de droite, qu’elle trouva un peu maigre, la peau pâle, bardée ici et là d’esquisses scarifiées. Elle amena sa main droite devant son œil, chercha pourquoi elle lui semblait étrange, la posa contre son visage, la garda pressée contre cet œil non humain, respirant lourdement. Un kaléidoscope chaotique, indescriptible, de visions, de sons, de sensations cauchemardesques envahit son cerveau. Au milieu, le visage de Yahel sous un plafond immaculé, dans un endroit où il ne faisait pas aussi clair ni aussi chaud qu’ici. Ici, ça sentait l’iode.

Où est-ce que je suis ? Moi qui croyais…

J’avais si mal… Après tout ce qu’il m’a…

Et pourtant oui, je respire encore.

Ce serait donc toi qui m’as ramenée ? Pourquoi ?

Son dos et le haut de sa poitrine ne la brûlaient plus. Mais sa peau tirait, comme un tissu élimé prêt à se déchirer. Elle tâtonna prudemment le côté de son cou, là où autrefois s’agrippait la patte du dragon. Elle repensa à Mahdi ayant souhaité un jour qu’elle n’ait pas d’autres cicatrices apparentes, pas plus que celle subsistant après qu’un projectile ait traversé son flanc. Elle enfila la main sous le drap, à la recherche de cette fameuse cicatrice sur son ventre, ses côtes trop facilement discernables au passage.

Attends, mais… C’est laquelle ?

Laquelle ?

Elle réfléchissait, essayant de se rappeler. Se rappeler quels instruments, quels actes de son bourreau aurait infligé tous ces ravages.

Je ne devrais pas… Pourquoi aurais-je… ?

Par instinct, elle voulut se redresser pour voir. Malheur lui en prit.

— Ahhh !

Un vif élancement douloureux remonta de ses jambes.

Je ne comprends pas !

Elle fit descendre sa main plus bas, passa ce qui lui servait de sous-vêtement, sorte de large bande de tissu, juste de quoi lui rendre un peu de dignité, voulu suivre sa jambe… Le métal de sa main cogna contre un matériau similaire.

Il faut que…

Elle appréhendait de voir ce qui était caché par le drap, mais elle commença à le repousser quand même, découvrit d’abord son ventre, cette peau laiteuse que ces amants aimaient goûter pour son propre plaisir, aujourd’hui dévastée, présentant plusieurs cicatrices, balafres rougeâtres, même sur le bas de ses côtes et sur un des côtés. Les seules qu’elle ne voyait pas étaient celles de son torse sous un pansement compressif.

Ou à l’intérieur, songea-t-elle sombrement, se rappelant un des pires moments.

Elle recommença, se tortillant, serrant les dents sous l’appréhension, faisant preuve de davantage de prudence, réussit à se redresser. Puis, d’un seul élan, elle rejeta le reste du drap, dévoilant l’étrange forme qu’il arborait, ce qu’elle avait nié jusqu’ici.

Qu’est-ce que… Non !

Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Elle retrouva ses jambes surélevées, immobilisées, prisonnière d’une sorte de charpente de métal, presque une cage, amaigries, déformées, encore des cicatrices, certaines impressionnantes. Des tiges de fer reliées à cette ossature sortaient de sa chair par endroit, plus encore au niveau des genoux, toute cette architecture maintenue en suspension par un harnachement de bandes de tissu et de poulies.

Les deux ?

La porte de la chambre s’ouvrit. Elle regarda la femme qui venait d’entrer, essayant de rester assise en s’aidant de ses bras, mais la douleur la faisait trembler.

— Bonjour, ma doudou. Tu t’es enfin réveillée… Mmh, je crois que… Oui, vraiment réveillée ce matin, dit-elle en la voyant se tenir en appuie sur ses bras à la suivre du regard. Qu’est-ce qui t’arrive, elles te font mal ?

Pourquoi mes deux jambes ? Qu’est-ce que vous m’avez fait ?

— Tu as l’air en colère, dit Aïssatou devant son regard noir.

Tara regarda à nouveau ses jambes, puis revint sur la femme. Elle fronçait les sourcils.

— Tu ne te souviens pas ?

Elle secoua la tête, ne sachant si elle pouvait lui accorder confiance. De la colère, oui, elle en avait. Elle ne devrait pas être en vie. Elle devrait être morte, avec tous les autres. Son bourreau devait la tuer. Était-elle ici par son entremise, pour la soigner avant de reprendre son petit plaisir diabolique ? Ou avait-elle parlé, et il la condamnait à vivre avec sa culpabilité, qui plus est dans un corps faible, loqueteux et souffreteux ? Qu’avait-elle pu dire alors, qui aurait compromis la sécurité des siens ? Pourquoi alors voyait-elle le visage de ses amis dans le délire des souvenirs de son enfer, celui de Yahel, de Marc, leurs voix lui parvenant de si loin, comme à travers un tunnel, lui expliquant qu’elle allait dormir, qu’elle allait faire un long voyage, qu’elle serait dans un bel endroit, ou l’on prendrait soin d’elle, l’encourageant à aller mieux, à revenir dans la famille. S’il n’y avait celui de Simon, pas rasé depuis longtemps, si proche du sien, la barbiche tremblotante, les yeux humides, chuchotant presque, la suppliant de revenir, de lui revenir, qu’il voulait retrouver sa petite sauvageonne indomptable, et que si elle n’y parvenait pas, ou si elle n’arrivait pas à s’y résoudre, qu’il la rejoindrait, qu’après tout, rester loin de tout ça, c’était peut-être le mieux à faire… Simon était mort.

Aïssatou soupira, s’approcha plus près d’elle, tenta de la faire se rallonger en mettant sa main sur son épaule.

— C’est pas grave… Doudou, faut pas te mettre dans des états pareils. C’est pour te les soigner.

Sous la fatigue et la souffrance, les bras de Tara cédèrent. Elle retomba la tête sur l’oreiller, soupira, agacée.

— Allons, calme-toi, tu te fais plus de mal qu’autre chose, comme ça.

Elle tenta de l’apaiser, posant sa main sur le front de Tara, qui regarda quelques secondes dans le vide en respirant fort avant de lui saisir le bras.

Inutile, enlève-la.

— J’ai compris, d’accord… Le chirurgien est là aujourd’hui. Si tu veux, je vais le chercher, et il t’expliquera.

Tara hocha la tête, la laissa remettre le drap sur elle, avant de la regarder partir en fronçant les sourcils, pensant avoir serré fort, pourtant, même pour quelqu’un de solide. Elle l’entendit appeler depuis le couloir.

— Adama !

Elle mit son bras sur son front en fermant les yeux.

Ton corps t’appartient… Tu parles !

Un jeune homme s’approcha d’elle, un dossier en main, accompagné de cette femme au beau visage, ses longs cheveux noirs se mouvant au même rythme gracieux que ses pas. Lui aussi lui souriait gentiment. Elle les regarda tous les deux, allant de l’un à l’autre. Aucun d’eux n’arborait le moindre sigle sur ses vêtements. Pas des vêtements de soignants, du simple civil. D’ailleurs, elle doutait même d’être dans un hôpital. Avec des rideaux aux fenêtres, des murs aux couleurs gaies, une terrasse, si ce n’était le lit médicalisé et la machinerie la supportant, elle aurait pu se croire dans une chambre d’hôtel. Mais avec toute cette sincérité, cette bienveillance désarmante qu’ils affichaient tous, peut-être lui fallait-il taire cette paranoïa, et attendre de voir.

— Ne bougez pas, dit-il, comme elle se redressait sur un coude.

Il vint enclencher le mécanisme levant la tête de lit, après avoir posé le dossier dessus.

— Voilà, on sera mieux comme ça pour discuter… Je vois en effet que vous êtes bien de retour parmi nous.

Quand il lui demanda la permission de procéder à quelques tests, pour vérifier, inquiet des séquelles qu’elle pourrait avoir, elle opina, se laissa faire.

Une fois terminé, il prit un tabouret pour s’asseoir.

— On m’a dit que vous aviez quelques petits soucis de mémoire.

Tara hocha la tête en soupirant.

Oui.

— On va voir ensemble de quoi vous vous souvenez. Vous vous rappelez de l’attaque ?

Une nouvelle fois.

Oui.

Le docteur échangea un regard avec Adama restée en arrière, puis revint sur Tara.

— À ce qu’on m’a dit, votre moto a été projetée sous les explosions, et votre jambe s’est retrouvée dessous, c’est ça ?

Elle opina.

Oui.

— Puis ils vous ont capturés ?

Oui.

Elle remit la main sur son œil, le regarda avec l’autre.

Il manque quelque chose. Je vois, juste, rien d’autre.

— Oui, on vous en a remis un, mais sans mettre en route la petite “option”. Mes collègues ont estimé que vous n’aviez pas besoin de cela pour le moment, qu’il fallait vous laisser un peu tranquille.

Elle regarda ensuite sa main, son autre main et son bras.

— Ils vous les ont remis aussi. Nouvelle version, nouvel alliage. Nous avons suffisamment progressé pour faire ça en douceur… un peu grâce à vous.

Il soupira.

— Et quoi ensuite ?… Enchaînée ? Affamée ? Des chocs électriques, vu les restes de petites brûlures que vous aviez sur tout le corps.

À chaque fois, elle confirma.

— C’est là qu’ils vous ont arraché les ongles ?

Elle secoua la tête. Ils la virent mimer une main enfonçant quelque chose sous l’ongle du pouce.

— Et vous avez tenu jusque-là.

Elle hocha une nouvelle fois la tête, arborant cette fois-ci un sourire mauvais sous un regard assuré.

Oui.

— Et ensuite ?

Son regard s’assombrit. Elle fixa le vide un instant, secoua la tête avant de poser sa main sur le côté gauche de son cou d’abord, y rester un moment sans sentir quoi que ce soit, les traces de piqûres disparues depuis longtemps, évidement, puis sur le haut de son dos, touchant le pansement.

Il vint presser son autre main un instant.

— Oui, je… Je suis désolé, mais il vous restera des marques, malgré des soins qui vont durer encore longtemps. Vous avez été gravement brûlée.

Il attendit de recroiser son regard, signe qu’il avait récupéré son attention.

— Il y a encore autre chose, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il encore plus doucement.

Ils la virent fuir du regard à nouveau, un regard brûlant, rage impuissante. Puis elle ferma les yeux, fort, très fort, respirant comme si quelque chose l’oppressait, commençant à trembler un peu. Elle recouvrit ses yeux de son bras, l’autre s’avançant, lentement, hésitant, le poing serré, vers le bas de son ventre.

— Je vois, dit-il en venant le retenir avant qu’il n’atteigne sa cible, le stoppant et le guidant en douceur jusque sur le matelas à côté.

Il ne la lâcha pas.

— C’est là que vous avez…

Céder, oui.

Silence.

— Vous avez tenu jusque-là… Tout ce temps… N’importe qui aurait pu craquer bien avant.

Elle n’avait qu’une envie, leur tourner le dos, se retrouver seule, se recroqueviller sur elle-même, en elle-même, comme elle l’avait fait plus d’une fois sur leur vieux canapé, lors de coups durs, alors que ses compagnons n’étaient pas loin. Impossible aujourd’hui, ses jambes prisonnières, le reste disparu.

Des coups durs… Et ça, c’était quoi ?

Il attendit un long moment, le temps qu’elle s’apaise un peu. Elle finit par dévoiler ses yeux, révélant un regard triste, un peu perdu un instant.

Il pressait toujours son bras, alors que la femme, témoin silencieux, apparemment impassible jusqu’ici, s’était rapprochée de deux pas, prête à agir si besoin.

— Mes collègues vous ont réparé pour rétablir le côté… comment pourrait-on dire, fonctionnel, mais il y a peu de chance que vous retrouviez… des sensations. Si vous le voulez, nous avons un spécialiste ici. Il peut peut-être faire mieux. C’est un vrai don du ciel, notre Dr Mukwege à nous.

Elle eut un tic d’agacement.

À quoi bon…

Silence.

Il éloigna sa main.

— Autre chose ?

Elle regarda d’un côté, de l’autre, fronçant les sourcils. Elle plaça sa main devant son nez, comme on le fait contre une mauvaise odeur, puis elle finit par secouer la tête.

Non, rien. Juste cette puanteur…

Elle montra ensuite toutes ces cicatrices sur son ventre, ses côtes, ses jambes.

Et ça, et ça, tout ça ? C’est quoi ? Mes jambes n’étaient pas si abîmées.

— Vous ne vous rappelez pas ?

Non !

— Nous ignorons tout ce qui les a provoqués, mais vous aviez de graves blessures, des hémorragies internes, sans parler des chocs électrique, tout cela pouvant laisser des dégâts irrémédiables. Vous avez dû être opérée plusieurs fois. Vous revenez de loin, de très loin… Vous savez, votre cerveau a peut-être volontairement coupé l’accès à ces souvenirs. C’est une sorte de mécanisme de protection… Il est possible que nous vous aidions à vous rappeler, et avec le temps, cela pourra aussi vous revenir, mais c’est peut-être mieux comme ça. Sachez qu’ici, nous sommes là pour vous. Si vous ressentez le besoin de parler… N’hésitez pas.

Son visage se ferma. Elle l’ignora un moment.

J’aime pas ça. Que m’ont-ils fait tout ce temps ?

Il finit par se lever.

— Vous savez, j’avais prévu de venir à vous aujourd’hui, justement pour voir où en sont vos jambes. Si vous êtes d’accord, on va regarder.

Il testa sa sensibilité tout le long de la jambe, puis sur la plante de ses pieds. Chaque fois, elle avait réagi. Puis il lui demanda de bouger les doigts de pied. Elle grimaça de douleur, s’agrippant au matelas avec ses mains, mais à chaque fois, elle les bougea, et le pied avec.

— C’est bon signe. Je peux vous opérer dès demain pour enlever tout ça. Après, rééducation. Je vous préviens, ce sera long. Et vos genoux sont très abîmés. Au mieux, ils risquent de vous trahir parfois… Je ne sais pas si vous en avez conscience mais… Je préfère être franc. Le combat, pour vous… c’est terminé. Vous ne pourrez plus marcher normalement.

Elle le regarda, impassible.

— Sauf si vous acceptez l’autre solution, ajouta-t-il en montrant son bras.

Elle secoua la tête.

Non, assez, tout ça…

Cette simple conversation l’avait aidé à y voir plus clair. Même si tout se mélangeait encore dans sa tête, même si elle ignorait comment, elle savait où elle était, pourquoi, et par qui. Il lui fallait désormais digérer cette vérité. Après l’opération, elles l’aidèrent à se lever pour la première fois. Poser chaque pied par terre lui fit mal. Entre gémissements et grimaces, si elles ne l’avaient pas soutenue, elle serait tombée. Rapidement, elle dut céder, se laissa installer dans un fauteuil roulant. Mais au moins, elle put enfin prendre une douche. Une vraie, à l’eau chaude. Une fois assise sur son lit, elle s’abandonna à une envie irrésistible, atterrissant la joue directement dans son oreiller. Ses assistantes suivirent le mouvement. Elle ne sentit même pas quand elles portèrent ses jambes jusque sur le lit, avant de les placer le plus confortablement possible, lui expliquant au passage comment utiliser les coussins aux formes étranges pour éviter toute douleur, chaque fois qu’elle voudrait changer de position. Avec toutes ces attentions, et le fait de pouvoir retrouver un semblant d’indépendance, elle se sentit humaine à nouveau.

Et les semaines défilèrent, chaque jour avec les mêmes rituels qu’elle suivait mécaniquement. Soins, rééducation, repos pour reprendre des forces, et lutte, lutte pour réapprendre à marcher, lutte pour ne plus avoir mal, si possible, lutte pour réapprendre à vivre.

Vivre. Oui, mais.

Elle voyait toutes ces femmes s’agiter, papillonner, tourner autour d’elle, prendre soin d’elle, exister autour d’elle. Elles l’entraînaient même parfois dans leurs moments de détente, comme leurs bains de mer, sans jamais la quitter du regard, à se demander ce qu’elles craignaient. Elles l’entouraient de leur présence, de la chaleur de leur humanité. Elles l’entouraient de vie.

Mais.

Le jour, chaque fois qu’elle avait mal, à chaque fois qu’elle ne pouvait ôter ce corps de sa vue.

Et la nuit, surtout la nuit, ou une autre réalité se rappelait à elle.

Nombreuses furent leurs tentatives de l’aider à s’habituer à ce corps. Un jour, Fatima l’avait trouvée devant un miroir, trifouillant ses cheveux en tous sens, bataillant, ciseau en main, ces cheveux sauvagement coupés, le cuir chevelu martyrisé, et dont certaines mèches arrachées repoussaient blanches. Fatima le lui avait pris des mains.

— Veux-tu que je te les arrange ?

Oui.

— Tu voudras les laisser repousser long ?

Non. Coupe, rase, fait ce que tu veux.

Après, Tara s’était regardée, impassible, insondable.

Comment leur dire ? Comment leur faire comprendre ?

Seraient-elles capables de comprendre ?

Vous n’êtes pas ma réalité. Je ne veux pas, je ne veux plus de cette réalité, ni de l’autre non plus. Je ne veux plus rien. Je n’ai rien à faire là. Tout cela est inutile. Je ne sers plus à rien. Je suis fatiguée. Je veux juste oublier, partir dans le néant, comme ils l’ont tous fait… Elle n’aurait jamais dû.

Et tous les jours, elles l’entouraient de leur présence, la choyant, la portant, ne la laissant respirer que quand elles l’installaient là, face à l’immensité de la mer, et qu’elle somnolait, bercé par le ressac, étrange moment de paix.

Sinon, il n’y avait que la nuit qu’elle était seule. Elles avaient cessé depuis un moment déjà de surgir à chacun de ses cauchemars. Ne restait juste qu’une petite lumière, comme si cela pouvait aider.

Seule cette femme, Adama, parfois, était là. Comme si elle avait toujours été là. Elle se tenait assise dans le fauteuil de la chambre, comme l’avait fait un jour, assez tôt après sa reprise de conscience, un autre soignant, un soignant de l’esprit, comme elle l’avait compris. Il n’avait pas insisté, ce sera quand elle le voudrait, si elle le voulait. Mais depuis, elle l’avait remplacée. Parfois présence silencieuse mais attentive, parfois encourageant, suggérant, proposant qu’elle se libère, qu’elle était là si elle avait besoin d’en parler. Depuis quand la veillait-elle ? Était-ce une illusion, ou l’avait-elle vraiment priée un jour de lui faire confiance, lui certifiant qu’elle était à l’abri ici, qu’elle ne craignait plus rien, alors que son visage se mêlait à la souffrance que lui infligeait son bourreau, Mahdi refusant de répondre à sa supplique. N’avait-elle pas déjà pris sa main dans la sienne ? Ne l’avait-il pas déjà emmené avec lui dans les limbes ?

Cette nuit encore, alors que Tara s’était réveillée en nage, tremblante, la gorge serrée comme après avoir trop crié. Elle s’était tournée, encore ébranlée, quand elle croisa son regard.

Pourquoi est-elle encore là ? Pourquoi autant d’attention ?

À chaque fois, Tara refermait les yeux, voire se retournait, l’ignorant. Au bout d’un moment, elle sentait une main lui caresser les cheveux et le front un instant, parfois une invitation à boire une décoction qu’elle laissait à sa disposition, puis plus rien. Et cette nuit-là ne fit pas exception. Tara la fixa deux secondes, puis se retourna, lui présentant son dos.

Silence.

— Tara ?

Oui, quoi ?

Elle tourna sa tête vers le plafond, intriguée tout de même.

— Tu as mal aux jambes.

Plus une constatation qu’une question. Tara réalisa alors qu’elle serrait et pétrissait machinalement une de ses jambes, comme si cela pouvait aider.

— Mets-toi sur le dos.

Ton ferme, impératif. Elle obtempéra, la laissant faire tout en faisant mine de l’ignorer. Adama retira le drap, entreprit de lui masser les jambes, utilisant une crème pour se faire. Et Tara serra les dents pour mieux supporter, attendant la fin en fixant le plafond.

Contact frais sur sa peau, puis douce chaleur…

Tara commença à redresser la tête.

Et cette odeur particulière…

Elle ne la connaissait que trop bien.

— Voilà… Dans ton cas, cela te soulagera un moment. Mais il faudra recommencer. Viens me voir chaque fois que cela devient trop dur à supporter.

Le meilleur moyen pour assurer la réussite de ce traitement, elle ne l’ignorait pas. Le lâcher-prise, elle ne l’avait pas oublié. Meilleur moyen aussi de se déconnecter, fuyant ainsi d’autres souvenirs réveillés par cet acte si simple mais disparus à jamais. Sa tête retomba, bascula sur le côté, et elle ferma les yeux, alors qu’Adama lui recouvrait les jambes d’une couverture avant de remettre le drap sur elle.

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