24 – 1 Quelque part, je te hais

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Le lieu de la première attaque était bien choisi. La route principale aboutissant à cette base, en grande partie cachée par une forêt, favorisait une arrivée en nombre en silence et sans être vu. Juste avant le lancement de l’opération, Mahdi avait tiqué en voyant Tara retirer manteau et pull, ne gardant que son gilet de protection avec juste un débardeur en dessous.

— À ton avis, pourquoi j’ai emmagasiné de la chaleur ? lui dit-elle avec malice. Et puis, je vais avoir chaud !

Elle vérifia les attaches du bouclier de son bras droit, de sa ceinture qu’elle avait bien fournie, et de son harnais. Oreillette en place, elle attendit le signal.

— Snipers en position. Tara, tu confirmes celle de leurs guetteurs ?

Elle se concentra sur leurs sortes de vigies, vérifiant qu’il n’y avait pas d’autre mouvement suspect sur le mur séparant les tourelles. Fabrication moderne tout cela, mais très inspiré Moyen Âge. Pour voir de l’autre côté la veille, ils avaient dû grimper aux arbres. Malgré tout, tous se tenaient prêts à toute éventualité, rien ne garantissant qu’ils n’aient pas loupé quelque chose par cette méthode.

— Ok. Paré ?… Feu !

Leurs experts en tir visèrent et tirèrent en même temps, éliminant leurs cibles en silence. Tir efficace. Rien ne bougea dans les secondes suivantes.

— Tara, à toi !

Elle fonça au pied du mur, à quelques dizaines de mètres à gauche de l’entrée principale. Puis elle projeta un grappin, escalada la muraille jusqu’au sommet. Tentant d’abord d’être discrète, par sécurité, elle fit le moins de bruit possible, resta accroupie en haut du mur. Un aller-retour du regard pour une vision panoramique, permettant à ses compagnons reliés en direct de vérifier et corriger leur stratégie. Elle eut une pensée pour une autre spectatrice.

Regarde-moi ça. Comme si on ne s’était jamais quitté. On va voir s’ils se souviennent de moi.

— C’est bon, lui dit Simon. Lâche-toi.

Elle se redressa.

Ses lèvres s’écartèrent alors que son vide intérieur s’alourdit et remua. Elle ouvrit deux petits sacs qu’elle avait de chaque côté de sa ceinture, y saisit dans chacun une petite boule gris-noir bien particulière, et elle leur retira ce petit élément qui les rendaient inoffensives, tout en choisissant ses cibles.

Elle balança son bras en arrière pour donner de l’élan à la première, et la lança.

— Ça va…

Fit de même avec la suivante.

— Chauffer !

Une première explosion, suivit de près par une deuxième. Et pour ne pas ralentir le rythme, elle refit le même manège, une fois, deux fois, trois fois, tout en se baladant l’air de rien sur le muret entre chaque salve. Et toujours en suivant sa gauche, semant le chaos sur son passage. Cela les éveilla très rapidement, ils furent assez réactifs. Elle espéra qu’ils n’étaient pas trop malins non plus.

Une partie de leurs effectifs alla jouer les pompiers-secouristes, pas évident avec plusieurs foyers déclarés. Les autres cherchèrent l’origine de ces explosions et la trouvèrent.

Venez, mes amis, je vous attends…

Elle stoppa, prit bien la pose pour qu’ils voient à qui ils avaient affaire, les toisa du haut de son promontoire, grand sourire aux lèvres, les gratifiant de ce regard sauvage, impitoyable.

Elle savait que pendant ce temps, elle transmettait des infos importantes qui permettraient aux autres de savoir quand intervenir. Elle ne bougea et se rabaissa que quand ils la mirent en joue.

— Bien joué ma belle. À nous, maintenant.

Et la grande double-porte métallique de l’entrée fut défoncée par une explosion.

— Phase 2, c’est parti !

Ses vieux ennemis ne l’abandonnèrent pas tous, loin de là. Ça n’aurait pas été drôle sinon. Son gilet et la protection de son bras rappelèrent leur efficacité, mais il fallait qu’elle continue à bouger, et vite. Elle avait saisi une arme à feu dans sa ceinture, leur répondit. Son œil en repéra deux qui la regardaient en colère, mais sans chercher à l’atteindre, ne sortant pas leurs armes. Elle rangea rapidement son pistolet pour saisir dans chaque main un couteau de combat, lames contre le bras.

Cher œil, j’espère que tu es infaillible en calcul !

Elle s’était ramassée sur elle-même contre le bord du mur, prit appui, puis s’élança.

Attention, les gars, j’arrive !

— Je te dis qu’elle est de retour, entendit-elle. Mais qu’est-ce que…

Elle leur arriva dessus, jambe en avant, se servant d’eux comme amortisseur tout en les neutralisants.

Et fauche !

D’un geste de ses bras, elle trancha leur chair, ne leur laissant pas le temps d’en dire plus. À jamais. Travail net et rapide.

Elle cherchait déjà ses cibles suivantes, suivant du coin de l’œil l’entrée en force de ses compagnons. Jouer les appâts pour les distraire, puis les chiens fous, ça elle pouvait le faire. Elle adorait même le principe, et elle en remercia encore intérieurement Simon, qui en avait eu l’idée. Elle pourra ainsi s’amuser un moment. Et elle partit à la chasse, fauchant tous ceux qui s’essayaient à l’atteindre. Elle alternait entre ses couteaux, son arme à feu et son cher bâton, aussi pourvu en lames, ou parfois sans, pour assommer d’abord. Elle appelait ça sa danse, danse macabre qu’elle n’effectuait aussi bien que parce qu’elle trichait avec la nature. C’est probablement cela qui la protégeait de la plupart des attaques contre elle. Son œil décelait le moindre micro-mouvement, lui permettant d’anticiper ne serait-ce que l’intention d’un tireur. Rares étaient les professionnels restants de marbre avant de tirer. Et rares ceux parvenant à se cacher suffisamment tout en ayant le champ nécessaire pour viser.

On pouvait créer un mythe comme ça.

Elle finit par rejoindre l’offensive de ses compagnons.

— Tara, tu tombes bien.

— Une petite révision ? C’est parti !

Elle se trouva un autre promontoire, une sorte de gros container transformé. John la projeta pour l’aider.

— Ça arrive par la droite, les gars. Go, go, go !

Elle leur donna d’autres indications en direct, ainsi que Simon recevant le visionnage des caméras portées par les autres, appréhendant l’ensemble depuis le camion.

Elle ne pouvait plus traîner. Elle était de nouveau visée. Elle passa de l’autre côté, descendit, contourna le petit bâtiment improvisé, remonta à l’aide d’un tas d’ordures, jouant ainsi au chat et à la souris avec ses poursuivants. Elle arriva au final juste au-dessus d’eux, en catimini, alors qu’elle les entendait se demander où elle était passé. Ce fut peut-être son ombre qui attira leur attention.

— Fais gaffe, elle est là ! C’est bien elle ! La pute au lion !

— Oh… Comme c’est vilain… ironisa-t-elle.

Elle pencha la tête en faisant la moue.

— Faites donc preuve de plus d’imagination. Pourquoi pas…

Elle s’apprêta à sauter, positionnant son bâton vers l’arrière pour lui donner plus d’élan, en le maintenant à deux mains, lames sorties.

— Juzo Suzuya !

Elle avait sauté.

Et tranche !

Ils respiraient encore, la fixant, atterrés de surprise.

— Vous ne connaissez pas ? Bande d’incultes.

Elle termina le travail.

Pour beaucoup d’autres, elle n’eut pas le loisir de discuter aussi longtemps.

— Attention ! Il y en a qui se planquent dans les intérieurs pour nous tirer dessus.

C’est là qu’elle regarda une nouvelle fois autour d’elle. La configuration se modifiait. Tout le monde ne s’en était pas aussi bien sorti, et elle n’était pas la seule à courir entre deux planques pour éviter les tirs. Il restait les plus récalcitrants, et voir certains des siens à terre…

— Bon sang, il faut les tuer… Tous ! s’exclama-t-elle d’une voix rauque.

Les siens l’entendirent.

— Allez, allez, on y va !

Elle en vit s’élancer avec une rage nouvelle. En quelques mots lancés sous l’émotion, elle avait ravivé leur soif de vengeance pour les plus anciens, de justice pour les autres. Elle se rapprocha d’eux, ils se répartirent la traque.

— On va t’aider à faire le travail, ma belle ! Ne garde pas tout pour toi !

Elle les vit s’élancer, regard brûlant et cœur battant, puis elle les suivit. Ils écumèrent le reste de cette base, sans scrupule car composée uniquement de ces militaires.

— Hey, y en a qui se carapatent par l’arrière !

— Comment ils ont fait ?

— Un mur, ça se descend ou ça se saute. Moi, je saute.

Ce qu’il fit. John se rua de toute la force de ses jambes, mais trop tard. Sur ce coup-là, ils eurent affaire à des petits malins.

— Il faut aller à leur poursuite.

— Tara, je ne pense pas…

Elle fut interpelée par le ton de Simon.

— Quoi ? demanda-t-elle malgré tout d’un ton revêche.

— Viens voir. Je ne suis pas loin derrière toi.

Elle grogna, mais l’écouta. Elle le retrouva avec Mahdi, qui avait suivi de loin.

— On va les perdre définitivement, ronchonna-t-elle. Ils vont prévenir les leurs.

— Inutile, c’est déjà fait.

Il lui montra l’œil d’une caméra. Elle soupira, comprenant qu’elle n’avait pas vraiment réfléchi. Et même sans cela, ils avaient forcément une communication orale.

— Mais quand même, ça en fera toujours moins…

— Tara, non, répondit Mahdi.

Elle le fixa. Regard noir et enflammé.

Il sourit. Un sourire triste.

— Elle est bien de retour…

Avant qu’elle ne rétorque quelque chose, Simon lui tendit une gourde d’eau. Elle la prit d’un geste agacé et se mit à boire. Par réflexe d’abord, puis elle but, encore et encore. Elle venait de réaliser à quel point était desséchée, encore essoufflée, et le cœur battant à tout rompre. De nouveau un regard d’ensemble.

Non, elle ne pouvait pas leur demander de courir encore pour aller se battre. Cela devait faire des heures qu’ils étaient sur le pont.

Elle s’affala, assise par terre pour se reprendre, coudes posées sur les genoux. Une façon de donner raison à ses deux compagnons. En tendant la gourde à Simon, elle remarqua enfin ses propres mains. Elle les mit toutes les deux face à ses yeux, les contempla, gantées de poussière et de sang.

— Il vaut mieux se reposer cette nuit. Nous n’aurons plus cet effet de surprise demain.

Et Simon eut raison.

Base du même style architectural pour ce second poste-frontière, mais impossible de s’en approcher discrètement. De toute façon, ils étaient attendus. Le combat démarra donc à distance, se résumant à un florilège de tonnerre et de feu des deux côtés. La porte céda malgré tout.

L’intérieur, différent aussi. Cette fois-ci, des civils étaient présents. Les hommes et les femmes de cette base avaient pensé à se préserver un peu de plaisir, officiel ou non. Avaient-ils à subir cette fureur ? Ou devaient-ils en faire des victimes innocentes ?

Au milieu de cette folie, impossible d’éviter ces dommages collatéraux. Mahdi dut endosser son rôle, mais pas facile auprès de gens pour qui c’est vous le monstre.

Ce deuxième jour, le combat fut plus rude et plus long. Tara se donna dans cette lutte, ne s’arrêtant que rarement pour de maigres pauses. Et tout comme ses compagnons, ils se battirent jusqu’à l’épuisement. Ils n’avaient que peu de relève, et ils en auraient de moins en moins au fil des jours. Il fallait donc assurer l’écumage au maximum.

La nuit suivante, ils dormirent dans les camions, prêts à bouger immédiatement en cas de besoin. Lorsqu’on désigna sa couche à Tara, elle se laissa quasi tomber dessus. Elle ne prit même pas la peine de se changer ou de manger. Elle n’arrivait même plus à penser, juste à se préserver pour le lendemain.

Rêvait-elle ? La sensation d’un linge humide sur son visage.

— Mahdi, c’est toi ?

— Oui.

— Ne t’approche pas, je suis souillée de sang.

— Je sais. Laisse-moi te laver le visage…

Le lendemain, levé, manger, trajet, combat à nouveau, manger si la force, dormir. Et encore, le quatrième jour, et ainsi de suite les jours suivants. Mais jamais elle ne voulut faillir devant l’ennemi.

Elle trouva les fioles qu’elle cherchait dans un des camions des médics. Elle emporta une seringue avant de retourner à sa couche. Il la trouva assise là, à batailler avec les éléments.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Mahdi se tenait dans l’encadrement de la porte.

— J’ai mal…

Il secoua la tête en pinçant les lèvres. Il n’avait pu manquer de remarquer son regard fiévreux, ainsi que les crises de tremblements de ses mains.

— Laisse-moi t’aider.

— D’autres ont besoin… tenta-t-elle.

Il l’ignora, lui prit la seringue et lui fit la piqûre espérée.

— Tu t’épuises, dit-il sombrement.

— Je sais… Pas le choix. Tu as voulu lâcher les chiens sur eux, eh bien… Le chien a du mal à desserrer la mâchoire…

Alors qu’elle se laissait tomber sur son duvet, les yeux fermés, ne souhaitant que sombrer, il dut la rattraper au vol. Une barre, solide, fiable, soutenait son dos, et un cœur battait contre son oreille. Reconnaissant la sensation des fourrures de son manteau frôler sa peau, elle pensa à sa forêt fourmillant de tous ces êtres y vivant en toute liberté, protégeant les quelques humains abrités en son cœur en leur offrant un peu de chaleur et de nourriture. Ainsi entourée, enveloppée, à l’abri, elle se laissa sombrer en toute confiance. Il ne la laissait et ne la laisserait pas tomber.

Le son régulier des battements la berça.

— Tuer, je dois les tuer… les tuer tous.

Elle rêvait encore. Mais pourquoi la sensation si nette, si réelle, de sa main sur son front ?

Cela la détendit de suite.

— Mahdi ?

Ses mains glissant sur son visage, douce caresse, puis…

— Mahdi ? C’était quoi ?… si doux sur mes lèvres…

À nouveau cette pression, plus ferme. Elle voulut y goûter et…

Quel rêve étrange. Quelle sensation étrange, mais si…

— C’est bon…

Encore. En plus doux, plus tendre et plus profond.

Puis un bien-être confus, alors que son cœur se mettait à battre un peu plus fort.

— Mahdi ? Je sens de l’eau sur mon visage. Il pleut ?

— Oui, c’est cela… Laisse-moi te mettre à l’abri.

— Mmh.

Des mains maintenant délicatement son visage, deux pouces lui essuyant les joues. Puis elle rêva ensuite qu’il venait se caler contre elle pour la mettre dans son cocon protecteur.

À son réveil, elle était seule.

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