Désir confiné

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  Devant le miroir de la salle de bains, Laïa s’observe. Elle a presque fini de se préparer, elle n’attend plus que lui, impatiente. Ses yeux bruns sont divinement sublimés par un smoky maîtrisé – il faut dire que question maquillage, Laïa a la main –, ses cheveux remontés en un gros chignon sur le haut de son crâne lui donne des allures de pin-up. Il aime les coiffures un peu rétro, et que son visage soit dégagé, il lui répète sans arrêt que ses yeux sont magnifiques, et il le pense, indéniablement.

  Elle a mis son ensemble en dentelle noir et bleu nuit, caché sous une robe blanche à broderie anglaise. Un choc des cultures, un contraste. Elle sait que ça lui plaira. Elle s’est épilée complètement, a fait la chasse au moindre poil intrépide. C’est important pour elle, même si lui s’en fiche.

  S’il y a bien quelque chose qu’elle a apprécié durant ce confinement, c’est de pouvoir oublié un peu son apparence. Elle aime prendre soin d’elle, se pomponner, mais lâcher un peu la bride à son corps lui a fait du bien – leur a fait du bien à son corps et à elle. Elle est néanmoins plus que ravie de s’apprêter à nouveau pour un regard masculin.

  Hervé… Il est un peu plus vieux qu’elle – beaucoup plus vieux qu’elle en fait. Ça ne la dérange pas, au contraire, à dire vrai, ce serait plutôt l’inverse, elle n’aime pas beaucoup les jeunes, il la traite comme un bout de viande, comme un dû. Les hommes plus mûrs, eux, sont plus tendres, plus avenants, ont plus envie de discuter, de prendre leur temps… Elle préfère leur compagnie. Elle a hâte d’entendre Hervé sonner, d’apercevoir cette lueur enflammée dans ses yeux, de sentir à nouveaux la chaleur de sa peau contre la sienne, les caresses dissolues dans des murmures tendres. Et le désir ! Oh qu’elle aime voir en son partenaire monter le désir, qu’elle aime l’attiser, le rendre intenable. Le tirer dans la chambre, se caresser, se chercher, se repousser, se trouver et jouir ensemble.

  Laïa ne tient plus, les deux mois de confinement ont été particulièrement difficiles à supporter. Privée de contact physique, seule, isolée. Son appartement deux chambres, à la décoration aussi impersonnelle qu’un tableau pinterest lui sortait par les yeux. Jusque-là cocon rassurant, ses quarante mètres carrés s’étaient transformés en prison sans geôlier. Elle ne voyait plus personne, ses voisins n’étant pas ses meilleurs amis, et le défilé d’hommes dans la chambre avait brusquement cessé, sans prévenir. Certains insistaient pour venir la voir malgré les interdictions de déplacements non essentiels, elle refusait. C’est qu’elle avait quand même un peu peur, après tout, du virus, et de la police.

  En plus de la solitude, Laïa s’était retrouvée financièrement démunie, dans l’impossibilité de continuer son activité professionnelle, et sans pécule de côté – Laïa a toujours travaillé le minimum pour garder son confort, ni plus, ni moins. Une telle crise lui a fait l’effet d’un électrochoc. Si jamais quoique ce soit lui arrivait, elle finirait sûrement à la rue. Heureusement, elle avait pu compter sur la solidarité de ses collègues. Entre ceux et celles ayant su réinventer leur travail à distance et les autres économes, elle avait trouvé un soutien essentiel. Elle avait tenu la tête hors de l’eau grâce à la solidarité du milieu, qui lui avait permis de tenir les deux bouts. Pour le reste, elle avait trouvé réconfort dans les repas distribués par les « restos du cœur » à côté de chez elle. Elle avait un peu honte de se retrouver dans cette situation, non pas qu’être dans le besoin soit en soi source d’embarras, ce n’était pas la première fois, mais elle savait qu’en travaillant davantage avant, elle aurait eu un « parachute en cas de besoin », comme lui disait Claire. C’est quand même sacrément important, un parachute. Oui, sauf que Laïa se pensait justement à l’abri des « cas de besoin ».

  Mais heureusement la fin du confinement a été déclarée, tout va pouvoir reprendre, à la normal. Enfin, « à la normal »… presque. Devant le miroir, Laïa fait la moue, elle se demande comment ses clients vont prendre les nouvelles restrictions, elle risque bien d’en perdre une partie.

  Alors qu’elle s’apprête à apposer la touche finale à son maquillage, Laïa repose le rouge à lèvres sur le rebord du lavabo : avec un masque c’est inutile. C’est la première fois qu’elle imposera l’absence de baisers, elle sait qu’Hervé en sera déçu.

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