Veiller au grain

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 « Depuis quand suis-je planté là ? », voilà ce que Olof se demande alors que les oiseaux moquent ses dernières heures. Veillant sur sa parcelle, les bras grands ouverts pour embrasser ses champs, Olof résiste.

 Il a tout affronté, et les années ne l’ont pas épargné, ça non ! Alors que les propriétaires terriens sont partis depuis longtemps, abandonnant leurs cultures ; alors que ses frères sont tombés, les uns après les autres, leurs membres jonchant le sol, et leur carcasse pourrissante, Olof a vaincu le vent, bravé le froid, survécu à la neige. Le dernier arrivé, celui qui gardait le potager du plateau, pourtant plus chétif, moins vaillant, a été le dernier à s’écrouler. Tenait-il sa robustesse de sa jeunesse ? Ou étaient-ce les collines qui l’avaient protégé ? Toujours est-il qu’aux premières pluies de l’hiver, son sourire enfantin a commencé à se casser la gueule, les éléments l’ont défiguré… Il tenait bon pourtant, comme il pouvait. Olof le voyait, de loin quand les vents lui permettaient, mais que pouvait-il faire ? Il a fini par perdre la tête et s’effondrer. S’il avait pu, Olof aurait versé quelques larmes.

 Cet hiver aurait bien pu l’anéantir, lui aussi. Il a cru que les flocons l’engloutiraient, ils n’ont fait que lui glacer l’âme ; que les vents l’emporteraient sur leur sillage, ils ne sont parvenus qu’à lui faire baisser la tête. Olof a tenu bon, et se tient encore droit, aussi droit qu’il peut. Olof mourra ici, et ses restes nourriront la terre qu’il a protégée, c’est son destin.

 Ah ! il revoit encore, ses premiers jours de veilleur. Lui, le plus beau de tous, le plus haut placé, là, sur le haut de la colline. Son regard portait sur toute la vallée et sur tous ses frères. Et ses beaux habits !? Pas grand chose, mais propres... Qu’en est-il aujourd’hui ? Guenilles, haillons ! Et où sont passés les rires, et la vie ? Et les sourires des enfants ? Tous envolés comme les feuilles mortes. Pourtant, qu’il était heureux de voir ces visages ravissants ! Et son travail félicité ! Il se souvient… Ils dansaient, ses frères et lui au gré du vent, leurs yeux balayant l’horizon selon le souffle des cieux.

 Oui..., ils régnaient sur la colline, régnaient sur les champs… Aujourd’hui, leur royaume n’est que dévastation et mauvaises herbes, et la vermine même ne le craint plus. Il restera cependant, fidèle au poste, toujours, fidèle à ses racines, aussi téméraire que ses frères.

 Soit, que le vent lui courbe encore l’échine, lui vole la vue ! Que la pluie le détrempe !

 Les tempêtes lui ont dérobé son fier chapeau, et le soleil lui brûle les tempes et le front depuis déjà trois - ou est-ce quatre ? - étés. Et les oiseaux poursuivent leurs moqueries. et son champ n’est plus que champ de ruine ! Seuls quelques germes de blé tentent encore de percer la surface, et Olof voudrait les saisir, les couver, les protéger de ces satanés piaffs ! C’était sa mission ! Et alors que les coquelicots lui grimpent les jambes, Olof entend… des piaillements ? Une brise légère tourne sa tête de jute, assez pour apercevoir, sur son bras, des oisillons tendrement nichés dans sa paille. Son coeur de foin se serre...

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