Chapitre 40 - 2 mai, West Hollywood - Downtown Los Angeles

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Lorsque Charlie se gara sur le parking de la clinique Sunny Vale, Joe descendit d’une voiture de patrouille qui repartit aussitôt.

— C’est bon, j’ai le mandat, on peut fouiller et prendre tout ce qu’on veut, pourvu que ça ait un lien avec le Docteur McLay.

— Parfait, allons-y. Il nous faut de bonnes empreintes et si possible de l’ADN.

Emma Jones, qui les avait déjà éconduits la veille, était de nouveau à la réception.

— Vous voilà de retour, à qui voulez-vous parler aujourd’hui ?

— Le Docteur McLay, je vous prie, demanda Charlie.

— Je suis désolée, mais vous n’avez pas de chance, il est absent pour le moment.

— Nous avons un mandat nous autorisant à fouiller son bureau, pouvez-vous nous y conduire ?

— Je ne peux pas quitter mon poste, mais j’appelle le responsable de la sécurité. Il va vous accompagner.


Quelques instants plus tard, un homme se présenta comme responsable des services techniques et de la sécurité. Après avoir résumé la situation, Joe lui présenta le mandat signé par le juge Muller et lui demanda de les mener au bureau de McLay. L’homme ne fit pas de commentaire et leur ouvrit la porte d’un cabinet de consultation privé. La pièce comportait une partie administrative, meublée classiquement. L’endroit était impersonnel, peu de décorations, quelques diplômes et certificats fixés sur les murs mais curieusement aucune photo n’était visible. Normal pensa Joe, si cet homme n’est pas le « vrai » McLay, il ne peut pas afficher sa photo de promo ou sa remise de diplôme. Sur le bureau lui-même, seul un écran était posé, aucun papier ni stylo.

— Il n’y a pas d’ordinateur ? demanda Charlie.

— Les médecins ont tous des ordinateurs portables, qu’ils peuvent emporter avec eux.

— Savez-vous si la clinique a un serveur où sont sauvegardées les données des employés, la messagerie ?

— Ce n’est pas stocké ici, c’est chez un prestataire extérieur. Je pourrai vous donner ses coordonnées.

Charlie ouvrit les tiroirs du bureau, ils ne contenaient rien de remarquable. Elle glissa quelques crayons dans un sachet de plastique. Le meuble situé le long du mur était inévitablement garni de revues et ouvrages de médecine, sans intérêt pour les policiers. Un paravent séparait le bureau de la zone d’examen. Charlie reconnut les accessoires usuels de ce genre d’endroit, table mobile, tableau lumineux pour l’affichage des radios, boîtes de gants, flacons de solutions antiseptiques, rien de personnel. Elle reporta son attention sur le coin « hygiène ». Un lavabo et des produits de désinfection des mains jouxtaient une petite zone kitchenette. Une bouilloire électrique et plusieurs boîtes de thés y étaient à disposition, ainsi que plusieurs tasses et mugs. L’un d’eux n’avait pas été nettoyé et contenait encore un fond de thé noir. Charlie le prit avec précaution et l’examina avec attention. Plusieurs empreintes digitales y étaient nettement formées. Sur le bord du récipient, une marque était visible, les lèvres, à coup sûr.

— Le ménage n’est pas fait régulièrement dans cette pièce, demanda Charlie ?

— Si, bien entendu, mais le soir. Le Docteur McLay est parti tard hier, il a dû se préparer un thé après le passage de l’équipe de nettoyage.

— Et bien c’est notre chance, répondit Charlie en glissant le mug dans un sac.

Munis de leurs prises, les deux policiers quittèrent la pièce que leur guide referma à clé.

— Si vous voulez bien nous communiquer les coordonnées de votre prestataire informatique, nous allons les contacter très rapidement, dit Joe.

— Attendez-moi à la réception, je vais chercher les contacts et je vous rejoins.


Quelques minutes plus tard, les deux enquêteurs roulaient vers les locaux de la police scientifique.

— Si ce « McLay » n’est pas le chirurgien Texan, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ?

— Le véritable McLay a disparu subitement. Il a quitté son emploi et son appartement sans laisser d’adresse. Après une période floue en Asie, il réapparait et se fait embaucher à Sunny Vale. Ou plutôt, quelqu’un qui se fait passer pour lui réapparait. L’imposteur est sans doute lui-même médecin, et même un bon chirurgien, résuma Joe.

— Si un cartel mexicain veut mettre la main sur une clinique d’esthétique, il leur faut introduire un praticien qui travaille pour eux.

— Alors le véritable McLay est au fond de l’océan ou dans le sable du désert, paix à son âme, conclut Joe.

— Je suis presque certaine que si on va présenter la photo de « notre » McLay en Thaïlande, ils reconnaitront l’humanitaire qui s’est refait une virginité là-bas.

Le technicien examina rapidement le mug et confirma la similitude des empreintes avec celles relevées sur la Camaro et sur le verre.

— Pour l’ADN, il me faudra un peu plus de temps, mais à mon avis, ça ne nous apprendra rien, vu que les empreintes ne sont pas fichées, il est peu probable que l’ADN soit dans notre base de données.

— C’est déjà ça, le FBI peut lancer la recherche, je leur envoie un texto, dit Charlie.

L’agent Mellow répondit presque immédiatement. Il proposait un point téléphonique un peu plus tard dans la journée, il aurait les réponses à ce moment. Charlie accepta le rendez-vous.


— Et si tu devais rechercher à qui la mort de Sam Page profite, où commencerais-tu ?

— Que penses-tu du siège de Pacific Page Inc. ? Ils doivent avoir des juristes au courant de la succession, et au pire, ils nous donneront le nom de l’avocat de leur patronne.

— OK, dit Charlie, on repasse au bureau pour tenir le chef au courant et faire quelques recherches et on y va.

Après avoir briefé le capitaine, Joe lança une recherche sur PPI. Il n’eut pas de mal à trouver l’adresse du siège et les noms des principaux cadres. Les bureaux de PPI se situaient dans un immeuble du centre. Il ne leur fallut que quelques minutes pour s’y rendre et être accueillis par une afro-américaine énergique qui se présenta comme Linda White, directrice juridique de PPI. Elle invita les policiers à la suivre jusqu’à une petite salle de réunion et leur proposa des rafraîchissements.

— Vous avez sans doute une idée du motif de notre visite, débuta Charlie. Nous enquêtons sur le décès de Madame Page et nous souhaitons plus particulièrement savoir quelles dispositions ont été prises pour assurer la pérennité de l’entreprise après la disparition de la principale actionnaire.

— C’est une tragédie pour nous tous, répondit Linda. Même si nous n’avions pas souvent l’occasion de croiser Madame Page dans nos locaux, tout le monde l’appréciait ici. En pratique, c’est Monsieur Blankart qui dirige la société. Je suppose que dans un premier temps, rien ne va changer, en tout cas jusqu’à la prochaine réunion du conseil d’administration. Il n’y a pas encore de date de fixée.

— Puisque Madame Page n’exerçait pas directement ses prérogatives, je suppose que vous aviez des contacts avec des personnes qui veillaient sur ses intérêts. Pourriez-vous nous communiquer leur coordonnées ?

— Oui, bien sûr, il n’y a rien de confidentiel. Madame Page était représentée par le cabinet d’avocats Burton, Jones & Klein LLP. Ils sont installés tout près d’ici.

— Merci, répondit Joe. Madame White, savez-vous si Sam Page et Monsieur Blankart avaient des divergences sur la façon de diriger la société ?

— Je ne pense pas qu’il y avait de réel conflit entre eux, non. Tout au plus Madame Page était-elle parfois un peu plus prudente que Monsieur Blankart et il lui est arrivé de ne pas accepter d’aller dans certaines affaires qu’elle jugeait trop risquées ou un peu éloignées de notre métier de base.

Charlie fut intriguée par cette information et creusa un peu plus dans ce sens.

— Quel genre d’affaires traitez-vous normalement ?

— À l’origine, Monsieur Page avait créé la société pour valoriser la fortune de sa famille dans l’immobilier. Je crois qu’un Page avait trouvé de l’or au début du XXe siècle. Par la suite, il a développé l’entreprise dans les biens haut de gamme. Des villas et des appartements pour les stars du cinéma, des bureaux pour des sociétés de production ou de communication, principalement ici à Los Angeles. C’est un business model sans trop de risques, et de bon rendement.

— Et que souhaitait Monsieur Blankart ?

— Il voulait investir dans d’autres opérations, des casinos, des restaurants, et pas seulement à Los Angeles. Il voulait aller plus au sud, à San Diego. Il voulait s’associer avec des partenaires mexicains et développer des activités de loisir de l’autre côté de la frontière.

— Qu’en pensait Madame Page ?

— Je crois qu’elle n’avait pas de grande ambition, la société marchait assez bien pour elle. Ses conseillers étaient plutôt réticents eux aussi. Ils ne souhaitaient pas diluer les parts de Samantha. Et puis dernièrement, il y a eu la clinique. Sam était amie avec Madame Freeman, qui travaille à Sunny Vale, et elle aurait voulu l’aider à financer un projet d’agrandissement. Le problème c’est que très vite, Monsieur Blankart a voulu voir plus grand. Il aurait voulu racheter tout. Je ne sais pas pourquoi, ce n’est pas notre domaine d’activités.

— Vous êtes la juriste de l’entreprise, vous avez nécessairement dû vous renseigner sur ces partenaires mexicains. Qu’en savez-vous ?

— Et bien, pour être tout à fait honnête, pas grand-chose, et cela me préoccupe moi aussi. J’en avais parlé à Samantha il y a quelques semaines. Il s’agit d’hommes qui n’ont pas vraiment de références et qui proposent d’apporter beaucoup d’argent.

— Iriez-vous jusqu’à dire que ce sont des prête-noms ?

— Je ne sais pas, je n’ai pas assez d’éléments, mais en tout cas, ce ne sont pas des institutionnels avec pignon sur rue.

— Merci beaucoup pour ces informations, Linda, conclut Charlie, nous allons nous entretenir avec les conseils de Madame Page. Dans l’immédiat, pourriez-vous garder cette discussion privée, ne pas en parler avec Monsieur Blankart ?

— Vous pensez qu’il pourrait être impliqué dans la mort de Sam ?

— Nous retournons chaque pierre, nous n’avons aucune raison de le croire pour le moment, mais ça nous aiderait s’il pouvait rester en dehors de cette discussion.

— Très bien, tant que cela ne m’oblige pas à lui mentir.

— Parfait, voici nos coordonnées, n’hésitez pas à nous contacter si quelque chose vous revient en mémoire.

Joe consulta sa montre, il leur restait un peu de temps avant d’appeler le FBI.

— On tente les avocats ? C’est à deux blocs d’ici.

— OK, fit Charlie, on n’a rien à perdre, sinon un peu de temps.


L’immeuble abritant les locaux de Burton, Jones & Klein LLP faisait peut-être partie du patrimoine de PPI, en tout cas l'endroit respirait le luxe et l’opulence, sans ce mauvais goût ostentatoire si fréquent à Los Angeles. Une réceptionniste en uniforme très strict les accueillit aimablement et effectua quelques recherches pour trouver avec qui les mettre en relation. Joe examina l’environnement, le comptoir en bois noble était surmonté d’une plaque de marbre, sur le mur s’étalait la liste des avocats associés, une bonne trentaine de noms, gravés en lettres d’or. « Ce n’est pas chez eux que je viendrai pour mon divorce, pensa Joe ».

— Monsieur Goldsmith va vous recevoir. C’est l’associé qui gère les affaires de Madame Page.

Simon Goldsmith avait la soixantaine, la silhouette lourde et le cheveu rare, mais il était vêtu avec soin, costume sur mesure et boutons de manchette précieux. Le même style de chevalière que celle de l’agent Mellow. « Ivy League, se dit Charlie ». Les deux policiers se présentèrent et expliquèrent leur démarche comme ils l’avaient fait quelques minutes plus tôt auprès de Linda White.

— Madame Page avait pris des dispositions testamentaires, expliqua l’avocat. N’ayant pas d’enfant ni de famille proche, elle a choisi de transmettre ses parts de la société PPI, qui représentent plus de 70% du capital et des droits de vote, à une fondation caritative et de nous confier un mandat d’administration pour une période de 20 ans. Juridiquement parlant, à ce jour, c’est moi qui exerce le contrôle ultime sur la société. Ces dispositions seront présentées au conseil d’administration de PPI dans un délai très court.

— Nous nous sommes entretenus avec Madame White, qui nous a fait part des ambitions de Monsieur Blankart et de ses projets de développement. Qu’en pensez-vous ?

— En tant que garants du capital de Pacific Page Inc. nous ne pouvons bien entendu pas souscrire à de tels risques. Nous avions alerté Madame Page à ce propos il y a quelques temps et il est évident que nous allons mettre un frein à ces projets.

— Que pensez-vous des investisseurs mexicains que Monsieur Blankart aurait voulu associer au capital de PPI ?

— Je ne peux pas m’exprimer sur ce sujet, mais nous ne sommes pas favorables à une telle évolution, vous devez bien le comprendre. Et Monsieur Blankart devra le comprendre lui aussi.

— Oui, je vois. Si j’étais à sa place, je mettrais à jour mon CV.

— On peut le dire comme ça. Ceci dit, je n’aime pas beaucoup Blankart, mais sachez qu’il a beaucoup à perdre du fait de la mort de Samantha Page. Je ne vois aucune raison pour lui d’avoir contribué à son élimination.

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