Chapitre 11 - 21 avril, Santa Monica & Hollywood

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Philippe ouvrait la route à allure modérée. Il retrouvait le plaisir de rouler sans but dans cet urbanisme qui l’étonnait toujours. Il avait vécu presque un an à Los Angeles, mais il restait impressionné par cette ville. Les Etats-Unis, et particulièrement la Californie inspiraient en lui des sentiments contradictoires. Au premier abord, il adorait l’espace, l’optimisme, l’esprit d’entreprise des américains, mais il détestait aussi leur matérialisme, leur enfermement dans leur culture du toujours plus.  Pour le moment, après avoir rejoint Lincoln Boulevard, il descendait vers le grand port de plaisance de Marina Del Rey. Il gardait en permanence un œil sur ses rétros pour s’assurer que Ange se trouvait bien derrière lui.  Ange conduisait avec une grande concentration. La Road King était tout de même plus sérieuse que la 883 qu’il avait conduite en France. Il prenait peu à peu possession de l’engin, commençait à mieux en percevoir le comportement, même si pour le moment il n’avait pas entrepris d’utiliser les nombreux instruments affichés sous ses yeux.


Pour Ange, c’était une totale découverte. Son seul séjour aux Etats-Unis remontait à ses années de lycée, pour un échange scolaire, dans une petite ville de Pennsylvanie. Il avait bien entendu, comme tout le monde, regardé nombre de films et de séries ayant pour cadre la cité des Anges, mais ce qu’il découvrait dépassait ce qu’il avait imaginé. Philippe lui avait expliqué quelques principes de circulation spécifiques au pays, les feux tricolores placés au-delà de l’intersection, la possibilité de tourner à droite au feu rouge ou encore le principe des carrefours à quatre stops où chacun passe à tour de rôle mais il lui faudrait encore un peu de temps pour se sentir totalement à l’aise.  Après une dizaine de minutes, ils arrivaient à Santa Monica, extrémité ouest de la mythique route 66, l’autre bout se situant à Chicago. Philippe prit à gauche pour les rapprocher de la mer et ils se retrouvèrent face au Pacifique.


Après avoir parqué les deux machines, les compères s’installèrent sur un banc face à l’océan. Ange était émerveillé par la vue qui s’étendait bien plus loin que l’aéroport. Il pouvait voir les avions atterrir et décoller à une incroyable fréquence. Au large, plusieurs grandes iles étaient visibles. Philippe lui indiqua Santa Catalina, au sud et Santa Cruz, plus loin, à l’ouest.  À leurs pieds, en bas de la falaise, la grande jetée et son parc d’attractions, dont la grande roue était bien visible ainsi que le vaste espace de loisirs sportifs, Muscle Beach, établi sur la plage.

— La route juste en-dessous de nous, c’est la Pacific Coast Highway, elle file vers Malibu et longe l’océan sur une cinquantaine de miles. Ce coin, c’est le paradis pour les surfeurs. On va la garder pour demain.

— C’est magnifique, je n’aurais jamais imaginé un tel endroit dans une ville comme Los Angeles.

— Oui, et tu n’as encore rien vu !

Les deux amis restèrent encore un moment à regarder hommes et femmes passer en courant ou en rollers. Ange prenait plaisir à observer les corps musclés, à peine cachés par les mini-shorts et les brassières fluo. Philippe de son côté avait porté un œil plus professionnel sur un groupe de femmes, de toute évidence plus âgées, en pleine séance de Pilates sous les derniers rayons du soleil.

— Des clientes de John sans doute !

Ange suivit le regard de son ami.

— Excuse-moi mais je préfère la course à pied.

— Oui, je vois ce que tu veux dire. La semaine prochaine, on a prévu de revenir à Venice Beach, tu pourras courir avec elles si tu veux, directement sur la plage. Tu as intérêt à être en forme. Elles s’entrainent tous les jours.

— Julie sera là.

— Bah, de toute façon tu ne les rattraperas pas.

— C’est vrai, j’ai passé l’âge de courir après les voleurs, c’est pour ça qu’ils me mettent derrière un bureau.

— Mon beau commissaire pourra séduire les fliquettes du Quai. Ah non, c’est vrai, vous avez déménagé.

— Parle-moi plutôt des infirmières de ton service. C’est vrai qu’elles ne portent rien sous leur blouse ?

— Tu sais bien que je ne mélange pas le travail et le sexe. Et puis c’est un mythe de toute façon.

— Comment le sais-tu alors ?


Les deux amis continuèrent à converser ainsi, de bonne humeur. Sur leur horloge biologique, restée à l’heure de Paris, il était presque trois heures du matin. La fatigue commençait à se faire sentir, favorisée par l’inactivité.

— Allez, assez rêvassé, on ne va pas coucher là.

Les deux amis quittèrent leur banc à regret pour retourner vers leurs machines. Comme Ange prenait place sur sa Road King, Philippe regarda ses pieds chaussés de vieilles Nike.

— Il te faut des bottes.

Ange eut l’air surpris et regarda ses chaussures usées certes, mais confortables.

— Imagine que tu t’arrêtes dans le désert pour un besoin naturel. Tu t’éloignes un peu, tu marches sur un rattlesnake ou un sidewinder, tu es mort.

Les deux hommes éclatèrent de rire.

— Sérieusement, on cherchera ça demain. Pour le moment, on remonte vers Hollywood.

Philippe toujours en tête, les deux machines commencèrent la longue remontée de Santa Monica Boulevard. 15 miles jusqu’au cœur de Hollywood. Philippe prit à gauche sur Fairfax Avenue, traversant Sunset Boulevard, jusqu’à Hollywood Boulevard que les deux Harley parcoururent à petite vitesse. Philippe tourna à nouveau à gauche, passant au pied de l’immeuble caractéristique des disques Capitol, puis sous l’autoroute, un dernier virage à droite sur Franklin Avenue les mena au Best Western où Philippe avait réservé. L’établissement, resté dans le style des années 60, était construit autour d’une piscine extérieure, les chambres typiquement desservies par des coursives extérieures. Ils avaient réservé une seule chambre, avec deux grands lits. Après avoir jeté en vrac leurs sacs de voyage et fait un rapide état des lieux, Ange se jeta sur le lit.

— Ne t’endors pas maintenant, viens plutôt faire un tour à la piscine. On ira diner ensuite.


Quelques minutes plus tard, les deux compères se retrouvaient au bord du bassin. L’endroit se trouvait maintenant dans l’ombre mais la température restait encore assez élevée et l’immersion fut des plus plaisantes. Seules deux femmes étaient encore présentes, sur des transats, un verre à la main. Les entendant parler, l’une d’elle les interpela.

Hello, are you French ?

Philippe fit quelques brasses pour se rapprocher du bord et leur répondit dans un anglais parfait.

— Oui, nous venons juste d’arriver de Paris. Nous débutons un voyage à moto en Californie.

— Etes-vous gay ?

La deuxième femme dissimula un sourire.

— Non, pas du tout, pourquoi ?

— Alors vous voudrez peut-être boire un verre avec nous ?

— Avec plaisir, je m’appelle Philippe et voici mon ami Ange.

— Moi, c’est Michelle et voici Joan.

— Enchanté.


Ange, dont l’anglais manquait un peu de pratique laissait Philippe mener la conversation mais avait parfaitement compris le sens général. Il sortit promptement de l’eau et proposa d’aller chercher des boissons pour tout le monde. Michelle n’était plus de première jeunesse, mais avait conservé un corps musclé. Elle portait un bikini bleu ciel laissant deviner une poitrine généreuse. Le bas était noué assez haut sur les hanches, ses cuisses étaient fuselées. Philippe lui donnait un peu plus de cinquante ans, mais il savait que si elle était passée par le bistouri de John, elle aurait aussi bien pu en avoir dix ou quinze de plus. Son amie Joan semblait un peu plus jeune, d’allure hispanique. Un peu plus ronde que Michelle, elle offrait aux deux hommes un sourire qui en disait long sur ses intentions.

— Nos maris nous ont abandonnées pour la soirée. Ils ne pourront pas diner avec nous. Voulez-vous les remplacer ? Nous avons réservé chez Musso & Frank pour quatre, à sept heures.

Les deux hommes se regardèrent un instant, l’invitation était directe et le langage corporel de ces femmes disait clairement « baise-moi ».

Ange eut un petit signe de tête que Philippe prit pour un « oui » et confirma.

— Ce sera un plaisir, mais ensuite, il nous faudra rentrer assez vite car nous sommes debout depuis près de vingt-quatre heures.

— On se retrouve à la réception alors.

De retour dans la chambre, les deux hommes se regardèrent en riant.

— Tu te rends compte de ce qu’on vient de faire ? Ces femmes sont chaudes comme un braséro.

— Toi tu es gâté, mais moi je fantasme toujours sur les gros seins. J’espère que la petite brune est à ton goût. Et puis il faut défendre notre réputation.

— Tu as des capotes au moins ?


À l’heure dite, un Uber attendait devant la réception pour les emmener, quelques centaines de mètres plus loin, jusqu’au célèbre restaurant.  Musso & Frank est l’un des plus anciens établissements de Hollywood, ouvert en 1919 sur ce qui allait devenir la plus célèbre artère de Los Angeles, constellée des étoiles du théâtre et du cinéma. Le restaurant, resté quasiment inchangé, accueille toujours les clients dans ses box de bois sombre et de moleskine rouge. Un maître d’hôtel vêtu d’une veste rouge à large col noir les installa à une table ronde, avec un banquette en U. Les deux femmes s’installant au milieu, Ange s’assit à droite de Michelle et Philippe à gauche de Joan. Regardant la salle, Ange fut surpris de la façon dont les femmes étaient vêtues. Il avait l’impression d’assister à une soirée de gala tant les tenues étaient extravagantes pour un simple diner en ville. Michelle portait une robe noire drapée, les pans croisés bas sur le devant, laissant deviner les rondeurs de son buste. La robe descendait très bas, sur des escarpins à talons vertigineux. Joan de son côté avait opté pour un ample corsage de soie beige fermé d’un gros nœud noué en lavallière. Pour le bas, elle avait choisi un pantalon noir qui lui faisait une seconde peau. Aux pieds, elle portait des bottines à talons. Les deux amis avaient de leur côté fait de leur mieux mais leur trousseau limité ne leur avait pas permis autre chose que des pantalons de toile et des polos, ce qui leur donnait tout de même un air sportif branché. Après le premier Martini, spécialité de la maison, la conversation s’était un peu emballée et Ange avait eu un peu de mal à suivre, se contentant d’approuver sans trop s’engager.


Lorsque le vin fût servi, gastronomie française oblige, les deux femmes avaient sérieusement commencé à perdre pied. La main droite de Michelle s’était hardiment aventurée sous la table, d’abord sur la cuisse puis sur le sexe de Ange. Joan de son côté s’était rapprochée de Philippe et lui racontait sa vie sentimentale, négligée par un mari trop souvent absent justifiant des compensations sans lendemain pour punir le goujat. Le repas terminé, les deux américaines parties ensemble vers les toilettes, les hommes se regardèrent en se demandant comment cette soirée allait se finir.

— Je suis trop crevé pour faire quoi que ce soit de plus ce soir. Il faut que j’aille dormir.

— Moi aussi, de toute façon, je ne serais bon à rien. Tant pis pour la réputation des French Lovers. On les raccompagne à leur chambre et au lit.

Les femmes avaient du mal à marcher droit avec leurs talons hauts et les deux hommes, chevaliers servants, durent courtoisement les conduire jusqu’à leurs chambres respectives. Ange eut à concéder à la galanterie un French Kiss alcoolisé qui le conforta dans sa détermination à rompre là. Philippe offrit à Joan un aristocratique baise-main la laissant surprise pendant qu’il s’éclipsait. Cinq minutes plus tard, Ange verrouillait la porte de leur chambre et chacun se jeta sur son lit. Il ne leur fallut pas longtemps pour sombrer dans un profond sommeil.

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