1. le début de la fin

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ARIES

 Le temps était pluvieux, comme souvent à cette époque de l'année. Juillet était le mois le plus froid de l'année selon les dernières statistiques en date. Dans les ruelles pavées humides de la capitale, un jeune homme brun aux tatouages apparents se faufilait dans la foule, se frayant un chemin jusqu'à la boutique de livres de la troisième avenue. Il entra, l'air confiant, dans son manteau noir parsemé de gouttes. Le libraire était un vieux monsieur. Il avait les yeux en amande d'un bleu foncé voilé de blanc et ses cheveux grisonnants caractérisaient sont âge avancé. Il s'avança doucement vers lui, le dos courbé par les années. Le jeune homme lui sourit amicalement.

 « Aries, le plaisir de ta présence n'est certainement pas due à une soudaine envie de te mettre à la lecture, je présume, plaisanta le vieil homme avec un sourire ridé.
 — Tu ne me connais que trop bien, Reny.
 — Un café ?
 — Volontiers. »

 Il attrapa la bouilloire derrière le comptoir et servit l'eau brûlante dans deux tasses similaires, dans lesquelles il ajouta quelques cuillerées de café en poudre.

 « Du sucre ?
 — Jamais. Je l'aime noir et corsé, mais tu le sais déjà.
 — Je demandais par politesse. »

 Il lui tend la boisson fumante avec un sourire bienveillant et lui proposa de s'asseoir, ce que le prénommé Aries s'empressa de faire sans rechigner.

 « Allons, vas-tu me dire ce que me vaut ta visite ?
 — Les autres m'ont dit de passer te voir, alors je suis venu.
 — Je vois... »

 Il regarda ailleurs, l'air pensif.

 « C'était à prévoir, reprit Reny après un instant. J'espérais seulement qu'après tant d'années, tu viendrais me voir plus par envie que par obligation.
 — Ne le prend pas comme ça...
 — Tu as été un fils à mes yeux.
 — Tu as été un père pour chacun d'entre nous.
 — Et je vais en payer le prix. »

 Alors qu'il s'apprêtait à boire une gorgée de café, Aries stoppa tout mouvement, digérant la nouvelle. Il observa son ancien mentor avec tant de questions dans la tête qu'elles s'emmêlèrent. Mais il n'en posa aucune.

 « Il vont t'arrêter, murmura-t-il comme si le fait de le dire à voix basse atténuerait la probabilité que ça arrive.
 — Oui. J'ai prévenu tous les autres. Demain, ils m'exécuteront sans dernières volonté.
 — Comment ..? »

 Tant de choses affluaient dans son esprit, il n'y avait aucune cohérence. Reny posa sa tasse sur le comptoir et se leva. Il lâcha un soupire funeste.

 « Tu sais comme il font, Aries. Quand on devient un Outsider, on devient une cible. Je voyais depuis un moment déjà mes voisins nous épier. Ils avaient découvert que je vous hébergeais il y a quelques années.
 — Tu nous as renvoyé ensuite.
 — Oui, je vous ai donné de l'indépendance. Vous avez prit un appartement, trouvé du travail. Mais vous étiez là tous les jours pour mes cours. Il faut croire que c'était trop suspect pour que les gens n'y prêtent pas attention.
 — Il ne peuvent t'exécuter que si tu perds la totalité de tes points !
 — J'ai vu la police de l'Etat débarquer ici samedi dernier. Ils ont prétexté avoir des preuves contre moi. Il ne me restait que dix points, ils ont simplement trouvé de quoi m'inculper définitivement. »

 C'était trop stupide. Comment était-ce possible ? Aries tournait en rond, cherchant une solution. Reny avait été comme son père, il était tout à ses yeux. Il l'avait recueilli si jeune qu'il ne se souvienait pas du premier jour où il avait mit les pieds dans cette librairie. Il l'avait élevé. Il lui avait apprit à marcher, parler, lire, écrire, compter. Plus tard, il lui avait enseigné comment se servir d'une arme, comment se défendre. Il lui avait donné plus que ce que ses parents biologiques ne lui avait jamais offert : une famille. Il avait ensuite sauvé de la misère et de la rue onze autres adolescents. C'était un homme bon. Aries n'avait jamais su comment le remercier et il allait le regretter toute sa vie durant.

 « Tu connais l'Etat, reprit Reny avec tristesse. Je n'ai pas le droit de réunir plus de trois personnes dans un même lieu. Ils considèrent que c'est monter une rébellion et c'est prohibé dans trois articles de lois.
 — C'est de la merde. Ils ne peuvent pas le prouver, on devrait aller au tribunal !
 — Personne n'entend un homme qui a passé les trois quart de sa vie à être un Outsider, tu le sais aussi bien que moi. Mais je ne regrette en rien tout ceci. Vous êtes ce que j'ai de plus cher au monde, et je ne vais pas dissoudre ce qu'on a construit pour rentrer dans les codes de cette société aberrante.
 — Qu'est-ce qu'on va devenir si tu n'es plus là pour nous guider ?
 — Leo a demandé la même chose, rit le vieil homme.
 — Que lui as-tu répondu alors ?
 — Qu'elle prendrait naturellement les commandes et vous emmènerait vers votre destinée.
 — Tu divagues. Leo, en tant que chef ?
 — C'est une femme de caractère, je te l'accorde. Mais c'est ce qui fait d'elle une leader invétérée.
 — Contrairement à moi, j'imagine... »

Il afficha une moue boudeuse, rendant son visage plus enfantin que d'ordinaire.

 « Tu as un potentiel immense pour diriger les autres, j'en suis certain. Tu seras là pour la seconder et la guider durant ses moments de doutes. Il vaut mieux pour ta santé mentale que tu n'endosses pas les responsabilité liées à ce rôle, crois moi.
 — Très drôle. »

 Il esquissa un sourire forcé, sarcastique.

 Néanmoins, il avait raison. Aries avait des qualités exceptionnelles pour diriger. Il était ambitieux et loyal. Pourtant, il était trop instinctif et impatient pour arriver à garder le groupe soudé. Reny était parfait pour eux. Il avait l'âme d'un père et d'un leader à la fois. Il avait une autorité incontestable et ses choix étaient justes. Personne n'imaginait quelqu'un d'autre que lui à la tête des douze. Il se préparait à mourir depuis longtemps, il en était convaincu. Il avait du préparer Leo a sa succession depuis son arrivée. Aries se souvient comme il était avec elle. Il ne cessait de lui inculquer ses valeurs qu'il considérait comme primordiales. Il ne faisait ça avec personne d'autre. Il enseignait au cas par cas mais il était toujours profondément bienveillant. Il avait eu de longues discussions avec lui, durant lesquelles ils s'amusaient à refaire le monde avec un optimisme qui frôlait la naïveté.

 Souvent, il se demandait ce qu'aurait été sa vie s'il avait connu ses parents et qu'il avait vécu avec eux dans une véritable demeure. Ce qu'aurait été sa vie sans cette application qui régissait le quotidien de tous les habitants de ce pays. Socialistic était en charge de catégoriser le niveau social de tous les inscrits. C'était obligatoire. Dès la naissance, ils enregistraient le profil du nouveau né qui passerait son existence entière dans la peur de perdre ses points. La haine que ressentait Aries à propos de ce système était effroyable. Il maudissait la terre entière d'avoir instauré le moyen de condamner a mort des personnes qui brisaient les lois pour le bien de la minorité. Aujourd'hui, son mentor, son père allait se faire exécuter comme une bête en abattoir simplement parce qu'il avait fait ce qu'il pensait être le mieux. Le cœur d'Aries se brisait à mesure qu'il réalisait. Reny n'allait plus être de ce monde dans quelques heures à peine. 

 « Je n'ai jamais eu l'occasion de te remercier. »

 Le vieil homme fronça les sourcils en signe d'incompréhension. Aries précisa :

 « Tu m'as recueilli et sauvé par la même occasion. Je n'ai jamais pris le temps de te dire merci pour ça.
 — Tes actions allaient dans le sens de ta gratitude, fils. Te voir grandir et devenir un homme était suffisant.
 — Le monde ne sait pas ce qu'il perd, crois moi. »

 Il ne pensait jamais le faire, et pourtant. Aries s'avança vers lui et le serra dans ses bras. Il avait envie de pleurer, de crier, de frapper. Aucun son ne sortit de sa bouche. Il se contenta de transmettre sa tristesse et sa colère dans ce geste affectif si peu représentatif de son caractère.

 Quelques minutes plus tard, dans un adieu qui lui déchira le cœur, il lui adressa son dernier au revoir.



TAURUS

 Face à son reflet dans le miroir de sa salle de bain, Taurus se demanda ce qu'il avait fait pour en arriver là. Il observa ses cheveux dorés mal coupés retomber sur le haut de sa nuque. Ses iris vertes étaient bien plus pâles que d'ordinaire. Il avait les jointures de ses mains blanchies à force de serrer ses doigts sur le lavabo et sa gorge lui faisait un mal de chien. Il imaginait encore Reny lui enseigner l'art et la manière de se servir de ses compétences à des fins criminelles. Il ne l'avait jamais vraiment apprécié. Il aurait voulu être un gamin comme les autres. Au lieu de ça, il s'était fait prendre comme un débutant en train de voler du matériel dans l'agence la plus surveillée de la capitale et s'était retrouvé à être un Outsider que personne ne voulait aider. Excepté Reny. Pour sûr, il l'avait hébergé, recueilli, élevé comme un père. Mais il avait fait de lui un véritable criminel. Pour cela, Taurus lui en voulait.

 Maintenant, il était mort. Il n'irait pas jusqu'à dire que Reny lui manquait, à vrai dire, il se sentait libre à présent. Libre de couper les ponts avec les autres et de commencer sa vie comme il l'entendait. Pour commencer, il allait récupérer ses points.

 Il attrapa son téléphone sur son lit et ouvrit Socialistic. Vingt pour cent. Le chiffre était agressivement écrit en rouge sur son écran, comme s'il criait au monde entier qu'il n'était qu'un moins que rien, un individu de bas étage, un Outsider mérité. Pour récupérer ses points, il fallait aider l'Etat. Ce n'était pas si simple. Bien sûr, ramasser des papiers dans la rue, aider une personne âgée à traverser, tout cela lui valait du bonus, mais tout le monde se chargeait déjà de toutes ces actions.

 Les gens étaient obsédés par leurs points, effrayés à l'idée d'en perdre. Ainsi, les rues étaient propres à ce qu'on puisse manger par terre et aucune mamie ne marchait seule sur un passage piéton. Pour recouvrir une place acceptable dans la société, au delà de cinquante pour cent, il fallait faire des choses dingues. Livrer des criminels à la police, dénoncer les actions des autres en récoltant des preuves irréfutables ou encore dissoudre un groupe d'Outsider puissant. Il n'y en avait que trois dans la capitale : Les Black Raven étaient des bouchers. Ils se servaient de la peur pour se protéger et contre toute attente cette manière fonctionnait relativement bien. Les Brain Spirit possédaient une intelligence prononcée. Pirates internet, ils utilisaient leurs compétences en informatique pour voler des points aux autres habitants. Enfin, il y avait les Shadow Cats. Personne ne savait où ils se trouvaient, même sur l'application. Etre invisible aux yeux de l'Etat leur permettait de vivre sans avoir de problèmes.

 Il y avait une raison au fait que ces trois gangs subsistaient encore dans cette société souhaitait absoudre la criminalité. Personne ne savait comment récolter les preuves nécessaires à leur arrestation. Hors, elles étaient obligatoires pour procéder à un retrait de point.

 Durant un instant, Taurus eu une idée éclairante. Ils n'étaient pas recensés comme groupe d'Outsider mais dans les faits, les douze en étaient un. Pour recouvrer cent pour cent de ses points, il lui suffirait d'aller au centre de la capitale et demander une réunion avec un officier de la Police d'Etat. En donnant le nom de huit d'entre eux, il aurait la quantité maximale de points. Pour entrer dans la brigade de recherche de l'Etat, il était nécessaire d'en avoir cent. Il fallait qu'il en fasse parti, c'était le seul moyen d'avoir la vie qu'il rêvait. Là bas, il pourrait avoir à disposition le nécessaire pour connaître la position de chaque individu ayant un pied sur le territoire. De toutes les éventualités qui venaient dans son esprit, c'était la seule qu'il avait trouvé pour avoir la possibilité de retrouver son petit frère.

 Eden. Souvent, i entendait sa voix enfantine retentir dans ses oreilles. Certains jours, il le voyait partout, à chaque coin de rue. Savoir s'il était encore vivant était devenu une obsession. Il devait le retrouver, c'était son but depuis toujours. Lorsqu'il lui a été enlevé, il lui avait fait une promesse : un jour, ils se retrouveraient.

 Ses pensées sont soudainement interrompues par deux coups frénétiques à sa porte d'entrée. Il se lève, suspicieux. Il regarde à travers le judas optique et lâche un soupire avant d'ouvrir. Capricorn, son meilleur ami, est planté là. Il trépigna de nervosité.

 « Leo m'a envoyé.
 — Tu as beau être comme un frère, c'est une information qui m'est égale.
 — Reny n'est plus là à présent.
 — Tu connais ma position sur le sujet, répliqua Taurus sèchement.
 — En effet. Il reste que, même si tu veux partir, tu te dois au moins d'entendre ce qu'elle a à nous dire.
 — J'irais, plus par curiosité qu'envie, mais je répondrais présent. 
 — Merci. Je sais pourquoi tu souhaites quitter les douze et je respecte ta décision. »

 Un voile de tristesse traversa ses yeux.

 « Tu me manqueras, c'est certain.
 — Eden est une priorité, pas vrai ?
 — Il l'est. »

 Taurus baissa les yeux. Non pas qu'il se sentait coupable, mais il savait que ça peinerait son ami.

 « Peut-être que Leo pourra t'aider, alors.
 — J'en doute. »

 Ce n'était pas un mensonge. Dans son esprit, la suite des événements était claire. Le groupe allait vers une fin certaine. Durant un instant, la culpabilité l'envahit. Observé par les yeux suppliants de son ami, il ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. Il allait le laisser seul à un avenir sans nul doute fatal.

 Capri avait été là pour lui, chaque jour durant depuis que Reny l'avait recueilli. Ils avaient partagés tous leurs secrets, jusqu'au moindre détail. Ils s'étaient entraidés, rassurés, élevés l'un et l'autre. Comme deux faces d'une même pièce, ils se complétaient mieux que quiconque.

 « Je suis désolé.
 — Je sais. »

 Le visage de Capri est voilé par la tristesse. Avec les autres, il arrive à se montrer incroyablement distant et froid, mais avec son ami le livre est ouvert et lisible à son sujet. Son côté sensible est quelque chose qui met Taurus quelque peu mal à l'aise. Souvent, il ne trouve pas les mots pour le réconforter.

 « Tu sais, essaya-t-il maladroitement, on est pas obligé de couper tout contact après tout.
 — Ce n'est pas ça.
 — Alors qu'est-ce que c'est ?
 — Tu vas te faire exécuter. »

 Taurus leva les yeux au ciel. Il s'apprêtait à changer de sujet mais Capri s'expliqua avant qu'il ne puisse le faire.

 « Tu es intelligent, c'est un fait. Tu possède une logique infaillible et une mémoire excellente. Je n'arrive pas à croire que tu puisses être aussi idiot quand il s'agit de ton propre intérêt. »

 Il pinça les lèvres, visiblement vexé. La colère prit vite le pas sur ses émotions et il arbora son air cynique.

 « Idiot ? Excuse moi mais contrairement à toi, je ne reste pas planté là à attendre que les autres m'aident constamment. Je fais les choses seul quand j'estime qu'elles valent le coup, peu importe les conséquences.
 — Le problème est là, tu ne réfléchis pas avec calme et recul. Qu'est-ce que tu imagines, au juste ? Tu es un Outsider. A la minute où tu auras dicté les noms, ils te retireront des points pour complicité de criminalité. Si par chance tu n'arrives pas à zéro, tu te retrouveras seul dans un monde où l'on renie les gens comme nous.
 — Que veux-tu que je fasses ?
 — Que tu laisses une chance à Leo. »
Le blond secoua la tête catégoriquement.
 — Hors de question qu'elle me dirige. J'acceptais que Reny le fasse parce que j'avais une dette envers lui, et me montrer obéissant était un signe de respect. A elle, je ne lui dois rien.
 — Si, tu lui dois au moins de l'écouter. Qui te dis qu'elle ne trouvera pas un moyen de trouver ton frère ?
 — C'est impossible.
 — Tu la sous-estime. Je pense que tu devrais au moins essayer.
 — Bien, je vais le faire. Je vais le faire parce que tu es en train de me taper sur les nerfs et que je suis fatigué d'entendre ton discours plein d'espoir. Mais quand je ressortirais de son appartement, je veux que tu me laisses quitter les douze. »

 Vivement, Taurus attrapa son manteau sur le canapé et l'enfila, déterminé. Il avait conscience que ce qu'il allait faire était mauvais, mais il fallait qu'il retrouve Eden. Quel que soit le prix à payer.

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