Scène : 15 : épilogue

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Je ne savais pas comment j’avais été secouru, mais je revins à la vie dans un hôpital, le corps meurtri. Une infirmière vint me voir peu après mon réveil. Elle articulait des mots, je percevais chaque mouvement de son gros visage sans entendre le moindre son.

Le lendemain, le médecin et moi pûmes communiquer à l’aide d’une ardoise. J’appris les circonstances de mon sauvetage. J’avais subi un grave accident, on m’avait retrouvé dans l’échelle de la cheminée du tunnel.

Au fil des semaines, j’ai pu remarcher d’abord avec deux cannes, puis une seule. Mon audition revint progressivement. Par contre, les pourtours de mon champ visuel se peuplaient de formes mouvantes, comme des vers brun orangé qui ondulaient, toujours tapis. Le docteur m’avait expliqué que c’était dû à une altération du nerf optique, que cela devrait passer avec le temps.

Je doutais de ses paroles rassurantes. Les formes revenaient une fois mes paupières closes. La nuit, j’éprouvais des difficultés à dormir. Dans mes songes, les appendices se déployaient et prenaient l’allure de la créature du tunnel. Elle m’observait avec intensité avant que je ne me réveille, fébrile et en sueur.

Des policiers vinrent m’interroger sur les causes de l’accident et les raisons de ma présence lors des faits. Je leur révélai l’enlèvement, cachai la présence de mon revolver et de la stèle. Je n’aurais pas pu agir autrement, à chaque fois que j’évoquais cette roche mystérieuse, ne fut-ce qu’en pensées, les phénomènes visuels reprenaient. Je croyais préférable de laisser cette histoire enfouie.

Annette Riou me rendit visite le dimanche. Elle m’expliqua que la chambre de travail avait été scellée. Les ingénieurs avaient décrété qu’il fallait sécuriser l’édifice et avaient coulé des tonnes de béton par les cheminées.

Je reçus aussi un avocat. Il m’apprit qu’en tant que victime de l’accident, la compagnie Chagnaud me proposait vingt mille francs en échange de l’abandon de toutes poursuites. De quoi faire cogiter… Après tout, une de mes balles perdues avait certainement causé le désastre. Je finis par accepter vingt-cinq mille francs en plus du paiement de mes frais médicaux.

Lorsqu’Annette me rendait visite, je lui cachais avoir abattu son fiancé. J’essayais de régler mes litiges avec la morale. Je m’inventais des excuses, c’était lui ou moi, sa raison s’était déjà évanouie avant que j’appuie sur la détente. Ce genre d’idiotie que l’on se raconte quand on a mauvaise conscience.

Alors que je ne souffrais plus de problème de santé, que j’allais bientôt retrouver mon bureau sur les buttes Chaumont, je m’armais de courage. J’avais décidé de tout lui révéler.

Elle portait une belle robe, moderne et bien coupée. Elle semblait plus sûre d’elle. Je pensai d’abord qu’elle s’était mariée, mais aucune bague n’ornait ses doigts. Un peu troublé, je me concentrai pour lui expliquer les circonstances du décès de Julien.

— Annette, j’ai quelque chose à vous avouer.

— Moi aussi, Arthur. Je ne pourrais vivre plus longtemps sans vous le dire.

— C’est au sujet de Julien…

— De même, m’interrompit-elle en levant la main.

Je restais coi devant son aplomb.

— Julien Lebrun n’a jamais été mon fiancé. Je suis journaliste à la Lumière, j’enquêtais sur les disparitions de tunneliers, je patinais, j’avais besoin d’un homme pour pénétrer ce milieu.

— Mais… la photo ?

— Julien en pinçait pour moi, cette photo était une sorte de récompense…

Elle rougissait sous sa voilette, je ne savais pas encore si je devais me mettre en colère ou saluer sa prestation d’actrice. Après tout, j’avais survécu, retrouvé Julien et perçu une grosse somme d’argent en échange de mon silence. Malgré les efforts de la demoiselle pour tour à tour me flatter, me séduire ou me corrompre, je demeurais muet. Certains secrets doivent rester sous terre.

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