Scène 5 : Jour 1 : Chantier et coucher de soleil

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Cette histoire de disparition m’interpellait, je connaissais Plantieu et n’aurais aucun mal à lui soutirer quelques réponses. Et la gendarmerie de Montreuil ne se trouvait qu’à cinq kilomètres de mon bureau. À cette heure-ci, les braves représentants de l’ordre devaient avoir débauché et je ne pourrais les rencontrer que le lendemain. J’avais du temps à perdre avant le repas, je ne voyais rien de mieux à faire que de retourner au chantier.

Le soleil se reflétait sur la Seine. Les tuyaux déversaient leur fange dans l’eau déjà souillée du fleuve. Les équipes de nuit se tenaient près des cheminées d’entrée. Alignés, ils attendaient la sortie de la brigade de jour pour braver leurs douze heures de bagne.

Muets, en rang serré, une sorte d’orgueil s’affichait sur leur visage. Certains, sales, maigres et hirsutes, me donnaient une étrange impression, celle de rats effarouchés par la lumière.

Chaque ouvrier gardait les yeux fixés sur la cheminée par laquelle il descendrait bientôt, les corps se tendaient vers l’entrée. Je ressentais chez eux une impatience, semblable à celle des Parisiens devant les cabarets le samedi soir.

Lorsque la sirène retentit, la porte d’acier s’ouvrit. Les premiers gars sortirent. Les vêtements couverts de boue verdâtre, la casquette et le visage souillés, ils se tenaient droits et fiers. Éblouis par la lumière de fin d’après-midi. Leurs mouvements ne trahissaient aucune fatigue.

Je les suivais des yeux alors qu’ils se rendaient aux cabanes de chantier. Le groupe se sépara en deux. Les uns allèrent aux douches aménagées dans des tentes de toile tandis que les autres se présentèrent pour récupérer leur paie au bureau du personnel. Ils passèrent les palissades, me croisèrent sans un regard. Le visage fangeux, le corps couvert de boue, ils dégageaient une odeur terreuse. Ils m’évoquaient plus des monstres des profondeurs que des humains. Ils s’éloignèrent d’une démarche vive, sans faiblir.

Je me retournai vers les frontières du chantier. Les ouvriers qui sortaient de la douche se massaient devant la porte du contremaître et récupéraient leur paie. Propres, en vêtements de ville, le défi perçait dans leur attitude, comme une sorte de supériorité affichée.

Lorsqu’ils franchirent les barrières, aucun d’entre eux ne salua le garde. Il baissait les yeux, craintif.

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