Blanche neige et le chasseur

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La nuit était tombée sur la ville de Paris, capitale du lointain et mystérieux royaume de "France". Une silhouette encapuchonnée parcourait les ruelles tandis qu'un homme d'armes la suivait de près.

— Êtes vous vraiment obligé de me suivre d'aussi près ? protesta la silhouette d'une voix juvénile.

 — La reine a été très claire, votre altesse, répondit l'homme d'armes. Vous ne pouvez en aucun cas rester sans protection. Ou que vous alliez et quoi que vous fassiez, je vous accompagnerai. Mais soyez sans craintes, je ne suis pas chargé de vous surveiller, ni de faire un rapport à la reine sur vos activités.

— J'en suis fort aise. Mais dites moi, Sire Pierre, depuis combien de temps êtes vous gentilhomme du palais ?

"Sire Pierre" n'avait plus grand chose de commun avec le braconnier condamné à mort qu'il était la veille. habillé de neuf à la mode des gentilshommes de la cour, il n'avait gardé de sa barbe hirsute qu'une fine moustache et un léger duvet au bout du menton. De quoi séduire n'importe quelle demoiselle noble, et Blanche-Neige semblait séduite.

— C'est une très longue histoire, répondit le chasseur. Dans ma jeunesse, j'étais Maître louvier au service du Prince Vassilli, puis de son fils le Tsar Yvan. Je mettais en fuite les monstres des steppes qui terrorisaient les boyards: les loups bien sûr, mais aussi les ours, les ogres et d'autres créatures malveillantes. Puis j'ai eu envie de voyager, de découvrir d'autres peuples, d'autres coutumes et d'autres viles créatures à pourchasser. Mais en comparaison de la Russie, votre pays me semble bien pauvre en gibier digne de ce nom.

— C'est curieux, le Prince Vladimir, des principautés d'Outre-Danube a un fort accent mais le vôtre est différent. Êtes vous né en Russie ?

— Non votre Altesse, ma famille était de Hollande. Elle a du fuir après une mauvaise querelle entre les hanses et le Prince d'Orange.

Entretemps, ils arrivèrent devant une taverne à l'aspect rébarbatif.

— Pardonnez-moi votre Altesse, fit le garde du corps, mais vous n'avez pas l'intention d'entrer dans ce lieu mal famé ?

— Pierre... Pierre le chasseur, susurra Blanche-Neige d'un ton enjôleur. Vous n'êtes pas là pour me surveiller j'espère ? Vous me le promettez ?

— Je vous le promets, votre Altesse. Je m'inquiète seulement pour votre sécurité.

— Dans ce cas soyez aimable. Ne m'appelez surtout pas "altesse" tant que nous serons en ville... appelez moi Blanchelune. Il parait que c'est  sous la lumière de la lune que ma peau est la plus agréable à regarder.

Et c'était vrai... sous les reflets de la pleine lune, le contraste entre la peau de la princesse et ses lèvres rouge-sang était saisissant.

— Vous avez raison votre... dame Blanchelune, balbutia le chasseur. Vous êtes la plus belle femme du royaume que la lune ait jamais éclairé. En  tout cas, c'est ce que le miroir de la reine dit de vous.

— Le miroir de la Reine ? demanda Blanche-Neige.

— Oui madame. Elle possède un miroir magique qui dit toujours la vérité et qui sait tout sur tout le monde. Mais elle ne l'interroge que pour savoir qui est la plus belle femme du royaume.

— Alors elle sait tout sur tout le monde ? murmura Blanche-Neige. C'est assez effrayant de penser que nous pouvons échapper à sa surveillance, vous ne trouvez pas ?

— Elle agit pour le bien du royaume, fit Pierre le chasseur.

— Espérons-le, car si elle devenait jalouse de ma beauté, ce serait terrible... entrons, voulez-vous ? Vous pourrez prendre un verre et vous restaurer pendant que j'échangerai quelques mots avec les gens du peuple.

Ils entrèrent. Pierre s'installa au comptoir et commanda une chope de bière bon marché tandis que Blanche-Neige déambulait parmi les clients, comme si elle cherchait quelque chose ou quelqu'un. Après quelques minutes de ce manège, elle adressa quelques mots à un Hidalgo à la peau basanée. Ils se dirigèrent vers la sortie. Pierre les suivit, mais l'homme l'interpella.

— Signore ! s'exclama-t-il, je n'aime pas du tout la manière dont vous me regardez.

Il porta la main à son épée, Pierre reconnu une lame de Tolède.

— Allons Rodrigue, supplia Blanche-Neige, vous n'allez pas chercher querelle à mon protecteur ? C'est son rôle de me suivre et de garder l'œil ouvert pour qu'il ne m'arrive rien.

— Ha ! Vous avez oune protectore, répondit Rodrigue.

Pierre n'avait pas bougé. Armé de sa seule dague, il n'aurait eu aucune chance dans un combat en terrain découvert, mais dans l'exiguïté de la taverne, il aurait pu aisément surprendre l'hidalgo avant qu'il ne tire l'épée. Cependant, il avait préféré ne pas le montrer.

Il s'écarta de la sortie. Rodrigue passa devant lui en le toisant d'un air méprisant auquel il répondit par une indifférence polie.

Blanche-Neige et l'hidalgo marchèrent bras-dessus bras-dessous dans les ruelles, suivis de peu par Pierre le chasseur. De temps en temps, Rodrigue murmurait quelques mots à l'oreille de Blanche-Neige en l'embrassant dans le cou. A chaque fois, elle répondait par un rire cristallin.

— Rodrigue, vous êtes un grand fou !

ils s'arrêtèrent. Blanche-neige s'appuya contre une maison tandis que Rodrigue l'embrassait fougueusement en glissant les mains sous ses hanches. Pierre s'était arrêté à bonne distance, les observant de loin.

— Votre protectore ! murmura Rodrigue. Il ne pourrait pas aller un peu plus loin ? Nous serions plus tranquilles.

— Voyons Rodrigue, gémit Blanche-Neige, ne vous occupez pas de lui: il est payé pour cela.

— Ah c'est vrai... J'oubliais ce détail.

Il sortit de son pourpoint une petite bourse qu'il glissa dans le corsage de Blanche-Neige.

— Rodrigue, murmura-t-elle. Je suis très déçue.

— Pourquoi ? protesta l'hidalgo. Ce n'est pas suffisant ?

— Je suis très déçue, parce que vous me prenez pour ce que je ne suis pas.

— Ha ! ricana-t-il. Toutes les femmes disent ça, mais elles sont toutes pareilles.

La princesse se jeta à sa gorge et mordit sauvagement, tranchant la jugulaire et buvant avidement les flots de sang de l'hidalgo.

Incapable de réagir, Pierre le chasseur assista au spectacle, horrifié et incrédule.

 * * * * * *

Lieu sinistre parmi tous les lieux sinistres, la forêt de Rouvray faisait l"objet de toutes les craintes et les superstitions du menu peuple. Bien peu osaient s'y aventurer le jour, et personne n'aurait osé s'en approcher la nuit.

C'est pourtant sur la route de cette forêt que nous retrouvons Pierre et Blanche-Neige quelques heures plus tard. Le chasseur semble remis de ses émotions. Il semble de bonne humeur... presque enthousiaste. la princesse Blanche le suit d'un pas mal assuré avec des protestations de petite-fille.

— Voyons Pierre, gémit-elle. Pourquoi devons nous absolument passer par ici ? La grand route n'est-elle pas un moyen plus direct et plus rapide pour retourner au château ?

— En effet, dame Blanchelune. Mais vous sembliez tellement intriguées par ma qualité de chasseur que je n'ai pu résister au plaisir de vous faire découvrir mon élément naturel... C'est dans cette forêt que j'ai tué mon premier cerf royal.

— Oh, un cerf royal... Ne saviez vous pas que la forêt de Rouvray est une chasse royale depuis le roi Philippe ? ... Oooooh Regardez ces petites fleurs bleues, comme elles sont jolies.

 — Ce sont des mandragore, votre Altesse. Elles ne poussent qu'aux pieds des pendus. Bien sûr, il n'y a pas de pendu pour le moment, mais il est très probable que ce grand chêne serve régulièrement pour les brigands et les maraudeurs...

 — Ou pour les braconniers, chantonna Blanche-Neige en cueillant les fleurs. Vous avez de la chance que personne ne vous ait attrapé. Sinon, vous seriez peut-être suspendu à cette branche et de nouvelles fleurs pousseraient à vos pieds... Elles sont vraiment magnifiques.

— Oui, répondit le chasseur d'un ton lugubre, j'ai vraiment beaucoup de chance...

Blanche-Neige lui tournait le dos, le moment était idéal pour obéir aux ordres de la Reine.

— Dites moi Sire Pierre, vous êtes bien chasseur de monstres, n'est ce pas ? Sommes-nous vraiment en sécurité en nous promenant dans la forêt à une heure pareille ? Vous ne craignez pas les loups bien sûr, mais n'y a-t-il pas dans les alentours d'autres créatures plus redoutables ?

— Oui il y en a, votre Altesse, répondit le chasseur en brandissant son poignard et en avançant lentement vers sa future victime. Il y a d'abord les fantômes de tous ceux qui ont été pendu à cet arbre, il y a ensuite les loups-garou qui ne peuvent être blessés que par des armes en argent, et il y a pire: certaines rumeurs font état de créatures androgynes qui guettent les voyageurs le long des routes pour les attirer dans les lieux sombre et les délester de leur or.

— Ces pauvres créatures ne doivent pas être bien riches, fit Blanche-Neige en laissant éclater son rire cristalin, il ne passe jamais personne par ici... oh, regardez encore ça, comme c'est curieux...

— Quoi donc, votre Altesse ?

— Comme votre ombre semble redoutable quand vous brandissez ce poignard. On dirait presque que vous allez faire du mal à quelqu'un... Au fait, vous n'en avez pas besoin pour cueillir ces jolies fleurs bleues, il n'y a pas d'épines.

Elle se retourna d'un bond, tenant des deux mains son bouquet contre la poitrine, et le fixa d'un regard intense.

— Mais vous n'avez pas l'intention de me faire du mal. N'est-ce pas, Pierre le chasseur ?

— Non votre Altesse, je ne vous ferai jamais de mal.

Ses yeux étaient magnifiques. Comment peut-on faire du mal à une créature avec un tel regard... Maléfique ne lui avait-elle pas dit quelque chose à propos du regard de Blanche-Neige ? Oui bien sûr... ne jamais croiser son regard. Mais pourquoi ? Pourquoi cacher des yeux aussi beaux ? Pierre le chasseur avait reçu l'ordre de tuer cette malheureuse créature mais en cet instant précis, il donnerait sa vie sans la moindre hésitation pour que ces yeux ne se ferment jamais.

— Est-ce vrai Pierre ? murmura-t-elle. Vous êtes prêt à donner votre vie pour moi ? Comme c'est romantique... Vous ne pouvez pas imaginer ce que ça me fait d'être aussi près de vous et de savoir ce couteau à la lame d'argent si près de ma poitrine. La Reine vous a ordonné de me tuer n'est ce pas ? J'ai toujours pensé qu'elle était un peu jalouse de ma beauté.

— Oui votre altesse, répondit le chasseur.

Ses doigts s'écartèrent, le poignard tomba sur le sol. Au moment ou elle l'enlaça, il lui présenta sa gorge. Elle y posa délicatement les lèvres.

— Oh non, je ne vais vous tuer, Pierre le chasseur. Car nous sommes chasseurs tous les deux et nous nous ressemblons trop pour nous faire du mal, n'est-ce pas ? Et je n'ai pas envie qu'après vous, la Reine m'envoie un autre chasseur, puis un autre et encore un autre... Savez-vous ce que nous allons faire ? Je vais partir dans la forêt et vous allez retourner chez la Reine en lui disant que vous avez obéi à ses ordres. Ainsi, elle me laissera tranquille et elle vous donnera votre récompense.

Pierre le chasseur sentit le sol se dérober sous ses pieds, il perdit l'équilibre et roula dans l'herbe avec Blanche-Neige, toujours accrochée à son cou.

L'odeur des mandragores lui donnait le tournis.

* * * * * *

— Et ensuite ? qu'est ce qui se passe ensuite ? demanda Mordred. Qu'est-ce qu'elle lui fait ?

— Et bien ensuite... heu... - Fradj me regarda en hésitant, je fis "non" de la tête - ensuite, il ne se souvient plus de rien et on ne sait pas ce qui se passe.

— Comment ça il ne se souvient plus ? Mais on se souvient toujours de ce qu'on fait, non ?

— Non, et c'est à cause des mandragores, elles donnent mal à la tête et on oublie tout, voilà.

— zut alors ! ça devenait intéressant.

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