Par une douce soirée

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Elle traversa la cuisine d’un pas vif. L’odeur vint caresser ses narines, d’abord subtilement, ce qui la fit ralentir inconsciemment. Elle s’arrêta complètement lorsque l’effluve se fit plus franc. Elle leva le nez pour humer l’air. Le parfum gourmand du gâteau au four réveillait de délicieux souvenirs d’enfance en l’emplissant peu à peu. Elle oublia un instant ce qui l’avait amenée là, et se laissa bercer par ses souvenirs. Sa mère devant les fourneaux, le tablier constellé de petites taches. Son petit frère, bataillant pour amener une chaise à ses côtés, puis l’escaladant laborieusement pour se hisser à sa hauteur. Son visage rayonnant tandis qu’il rinçait soigneusement les pommes, ou les disposait sur le fond de tarte. Son petit doigt qui traçait des formes dans la farine étalée sur le plan de travail.

Mais qui donc avait eu le temps de pâtisser aujourd’hui ? Elle n’avait vu personne s’activer en cuisine.

Comme elle se laissait aller à faire ressurgir ces images du passé, une pensée vint effleurer son esprit, comme une caresse, sans qu’elle puisse la saisir. Elle se concentra un instant pour la formuler, mais n’y parvint pas. Sans doute une idée furtive, qui reviendrait quand elle ne chercherait plus. Elle secoua la tête pour disperser ses rêveries, sans toutefois réussir à se débarrasser totalement de la sensation d’omettre quelque chose d’important.

Allons, qu’était-elle en train de faire avant de rêvasser ?

Elle se détourna de la cuisine, abandonnant le gâteau à sa cuisson, et s’approcha de la fenêtre. Le coucher de soleil était particulièrement beau ce soir. Les jaunes et oranges se mêlaient au-dessus de l’horizon en un spectacle saisissant. La lumière rasante du soleil faisait rougeoyer les nuages, et en dessinait nettement les contours, tandis qu’une brume grise s’élevait du sol. La fenêtre était ouverte, une brise légère fit voleter les petits cheveux de sa frange. L’air lui sembla bien chaud, pour la saison. Elle referma toutefois la fenêtre, la température chuterait vite dès que le soleil aurait totalement disparu. D’ailleurs, un feu brûlait déjà dans la cheminée en prévision de la fraicheur de la soirée.

Qui donc l’avait fait ce soir ? En tendant l’oreille, elle pouvait entendre le crépitement des flammes provenant du salon. Le claquement sec d’une bûche qui craque en brûlant. Pourtant, elle ne se souvenait pas avoir entendu son mari allumer le feu. En outre, il était absent aujourd’hui.

La même sensation revint la chatouiller, et s'insinua un peu plus dans son esprit, en y laissant un vague malaise. Elle fronça les sourcils, se sentit soucieuse sans réellement savoir pourquoi. Elle balaya la pièce du regard, cherchant un indice pour en trouver la source. Elle ne vit rien, mais la lumière avait changé à présent. Il faisait plus sombre, ce qui accentua encore son inconfort.

Elle percevait maintenant une musique entêtante. Il lui semblait reconnaître l’air. Elle se concentra pour l’identifier. C’était comme un refrain répétitif dont on n’arrive plus à se défaire, mais dont on ne connait pas les paroles. Le volume était de plus en plus fort.

D’où pouvait provenir cette musique ? Elle avait pourtant refermé la fenêtre, et aucun appareil n’était en route à la maison. Décidément, quelque chose n’allait pas, mais elle ne parvenait pas à trouver quoi. Il valait mieux aller vérifier. Elle tourna les talons mais fut retenue par le bras. On tirait sur sa manche, avec insistance. Elle ne parvenait pas à distinguer qui le faisait, car désormais, l’obscurité était intense. Était-ce de la fumée épaisse qui couvrait le sol, et l’empêchait de voir ? Le gâteau était visiblement resté trop longtemps au four, le parfum alléchant était devenu plus âpre, et ses yeux commençaient à piquer. Elle battit des cils plusieurs fois pour chasser les larmes qui lui montaient aux yeux, mais cela n’atténuait pas la brume qui obscurcissait sa vue. On tirait toujours sur ses vêtements, et le malaise qu’elle ressentait se teintait maintenant d’un sentiment d’urgence, pour se muer finalement en sourde peur. On lui secouait brutalement les épaules à présent :

« Madame ! Madame, ouvrez les yeux ! »

Elle parvint à les ouvrir, mais ils piquaient toujours, et elle ne voyait pas mieux. La fumée avait envahi toute la pièce. Elle suffoquait. Elle essaya de prendre une grande respiration, mais cela la fit tousser. En revanche, elle entendait nettement les voix des hommes qui s’agitaient autour d’elle, le crépitement du feu était plus fort, l’air était toujours chaud, brûlant même. Elle tourna la tête en direction des voix, et se redressa sur son lit. Elle se leva, désorientée, on la guida vers la fenêtre. Elle était bel et bien ouverte, alors qu’elle aurait juré l’avoir fermée ! Dans un état de stupeur, elle se sentit soulevée, et d’un coup fut sur les épaules d’un homme au casque brillant. La tête ballottant contre le pompier, elle émergeait lentement du sommeil profond d’où elle avait été brusquement extraite.

A mesure que la compréhension s’installait dans son esprit, l’angoisse grandit, enfla jusqu’à l’oppression. L’odeur piquante du gâteau trop cuit devint fumée, le coucher de soleil devint brasier, et la musique entêtante une sirène hurlante. Et son doux rêve brutalement laissa place à un cauchemar bien réel. Elle était totalement éveillée à présent. Le souffle coupé, le cœur serré, elle vit sa maison brûler.

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