Le Phénix Bleu

de Image de profil de Vendarion d'OrépéeVendarion d'Orépée

Avec le soutien de  Azermelt, Sila P., NM .L 
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Avant Propos:

Le narrateur, Oxidor Trucidel d'Iril-Ranor est un Irildar, c'est à dire un elfe sylvain. C'est un rodeur expérimenté qui loue ses services aux autres seigneurs elfiques lorsqu'ils sont confrontés à des créatures dangereuses, ou qu'ils doivent protéger des lieux magiques.

Son employeur est un Prince Torildar — littéralement: "elfe des tours" — qui est confronté à des braconniers qui capturent les phénix bleus pour les revendre à prix d'or à des sorciers ou des alchimistes. Ce prince partage la garde du pays des phénix avec les paladins noirs, un ordre de chevaliers bretons, mais malgré leur but commun, les rapports entre elfes et bretons ne sont pas toujours au beau fixe.

Ce texte est un "premier jet" que j'ai écrit en moins de 15 jours en guise de "défi" en vue d'une publication dans une revue de nouvelles fantastiques qui est encore en projet, il reste donc pas mal de corrections à faire.

L'usage de la première personne et du présent sont venus spontanément dès les premières lignes, parce que toute l'aventure est centrée sur le point de vue du héros. Cependant il est encore possible que je les change pour un texte au passé, comme ceux que j'écris habituellement

* * * * *

Le jeune page m’examine des pieds à la tête, puis de la tête aux pieds, avec une effrayante grimace d’étonnement. Il n’a visiblement jamais vu de rôdeur de sa vie.

Pourtant, c’est bien un elfe, comme moi… enfin, presque comme moi. Car les Torildari affectionnent les arts magiques et se prétendent les plus intelligents et les plus civilisés de tous les elfes. Je ne contesterais pas leurs talents magiques, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi des individus aussi intelligents s’obstinent à porter des tenues aussi extravagantes… et surtout à s’étonner que les autres elfes n’en fassent pas autant.

— Et bien mon jeune ami, lui dis-je lorsque je suis fatigué de son petit jeu, puisque mes bottes vous intéressent autant, je me ferai une joie de vous en commander une paire à mon cordonnier. Mais dans l’immédiat, je vous serais très reconnaissant de me conduire à votre seigneur. Ma lettre d’invitation est-elle en règle ?

— Oui oui, balbutie-t-il. Tout à fait en règle, je suis juste un peu surpris…

— … que je sois venu aussi vite ! Mais c’est normal au contraire. Le prince Thénarion, Marquis de Hautecour, Seigneur-Gardien de la Hyavath, duc de Cornouailles et je ne n’ai pas retenu ses autres titres, a fait appel aux rôdeurs d’Iril-Ranor pour une mission de la plus haute importance, et je me suis précipité pour être le premier à l’accepter. D’ici quelques jours, tous les rôdeurs de la région feront la file pour être reçu et vous constaterez que, par rapport à eux, je suis vêtu comme un prince.

Il hausse les épaules avec une moue de mépris qui le donne une furieuse envie de lui coller mon poing dans la figure. Mais il se décide enfin à me guider dans le palais des Hautecour.

Ce palais est une immense bâtisse de pierres rouges et grises, avec une telle quantité des couloirs, de colonnades et de statues gigantesques qu’on a du mal à croire qu’ils n’ont mis que deux siècles pour le construire. Mon page me conduit jusqu’à une salle de réception ou quelques serviteurs s’affaire discrètement tandis que le maître des lieux est absorbé par une partie de cartes avec un adversaire digne de lui : un paladin noir. Et probablement un des maîtres de l’ordre si j’en juge par les dorures de son armure.

Mon jeune guide me demande de patienter et me désigne une table haute ou deux autres paladins noirs se trouvent déjà. Des rafraîchissements y sont posés, à disposition des invités.

Mais autre chose attire mon attention : dans un autre coin de la pièce, un énorme perchoir en chêne est posé près de la fenêtre. Sur ce perchoir se trouve une impressionnante créature ailée qui regarde l’extérieur par une large fenêtre en ogive. Ce plumage scintillant azur et orangé ne laisse aucun doute sur l’identité de la créature : un phénix bleu.

— Surtout n’approchez pas de l’oiseau, murmure le page. Il se méfie des inconnus et il faut posséder une certaine puissance magique pour l’approcher sans risques.

Ce benêt n’y connaît pas grand-chose… en plus d’avoir oublié ma profession.

C’est autant par défi que par curiosité que je m’approche de la créature (certains diraient : « de l’animal », mais les phénix sont dotées d’une redoutable intelligence, en plus de leurs talents magiques innés, et je trouverais malsain de les comparer à des bêtes sous prétexte qu’ils ont des plumes et pondent des œufs). Une fois à trois ou quatre mètres, je m’arrête et je regarde dans la même direction que lui en attendant qu’il réagisse. Après quelques minutes, il tourne la tête vers moi et pousse un petit cri rauque. Je lui réponds par un raclement de gorge et je tourne à mon tour la tête vers lui.

Il me fixe de son regard flamboyant.

C’est alors que je sors de mon corps et que je m’envole

* * *

Je vole au dessus d’une région montagneuse désertique lorsqu’un cri attire mon attention. Une femelle en chaleur. Ce n’est pas vraiment la saison, mais il y a toujours des retardatrices, et ce n’est pas pour me déplaire… Aucun rival n’est dans les parages, je m’offre le plaisir d’un petit looping et j’envoie la réponse : « ne bouge pas ma belle, j’arrive ! »

Deux vols planés plus tard, je survoles les abords des terres volcanique. Les appels semblent venir de la forêt à flanc de montagne. Cette petite sotte s’est probablement égarée… ah les femmes, il faut toujours qu’un mâle vole à leur secours. J’amorce la descente et j’entre dans la forêt en suivant le passage dégagé qu’empruntent habituellement les humanoïdes. Soudain, je suis empêtré dans une immense toile invisible. Plusieurs humanoïdes armés de gourdins se précipitent dans ma direction. Je pousse un cri de rage et je me démène comme un dragon pour essayer de me dégager. Les coups pleuvent sur ma tête et mes épaules alors que je crache un jet de flammes au visage d’un des humanoïdes.

Ses cris de douleur sont la dernière chose que j’entends avant de sombrer dans l’inconscience…

* * *

L’oiséau détourne la tête et reprend sa contemplation.

— Trio de dragons noirs, monseigneur. Je pense que je remporte la manche et la partie.

Le chevalier breton dépose ses cartes avec une fierté évidente. Son altesse a fini de jouer, nous allons enfin passer aux choses sérieuses.

Le paladin noir se lève et s’incline tandis que le prince elfique lui tourne le dos et se dirige vers moi.

— En effet, seigneur Jarok, annonce-t-il d’un ton indifférent. Vous avez gagné. À cent pièces d’or le point, ça doit faire cinq mille trois cent pièces… mon trésorier vous remettra une lettre de change que vous pourrez encaisser auprès des Dzurik.

Les Dzurik sont des banquiers gnomes qui disposent de comptoirs sur tout le continent.

— Cinq mille pièces d’or… le prix d’un château…

Il me regarde d’un air étonné. J’aurais peut-être mieux fait de me taire.

— Un tout petit château… ou une grosse tour avec quelques bâtiments en pierres pour faire illusion. Les vrais châteaux sont hors de prix. Mais passons dans mon bureau, nous serons plus à l’aise pour discuter. Au fait, je vois que vous et mon Phénix bleu semblez bien vous entendre.

— Votre ? Les créatures magiques ne sont pas faites pour vivre en captivité.

— Vous avez raison, acquiesce-t-il. Un de mes garde frontière l’a récupéré blessé en poursuivant des braconniers qui, malheureusement, lui ont échappé. Vous avez sans doute remarqué ces plumes grises, plus courtes que les autres sur son aile droite ? Une partie de son plumage a été arraché, sans doute au moment de sa capture, et il a fallu des semaines pour qu’il s’en remette. Je pense qu’il reprendra sa liberté dès qu’il pourra voler. À vrai dire, c’est un peu à cause de lui que vous ai invité.

Il se dirige vers une porte qui mène vers un petit bureau sobrement meublé. Je le suis.

— Comme vous le savez sans doute, Messire Oxidor, mon domaine est frontalier de la région volcanique de la « Hyavath ». Ça représente des avantages économiques puisque tout ensorceleur ou magicien désireux de l’explorer doit passer par mes terres, mais aussi une lourde responsabilité que je partage avec les paladins noirs : protéger cette région et les créatures qui s’y trouvent des trafiquants et charognards qui tenteraient de l’exploiter abusivement, ce qui inclut la capture de créatures magiques qui est strictement réglementée.

— Les paladins noirs… cet ordre de chevalerie fondé par Mordred d’Avalon à l’époque ou il est entré en révolte contre les bretons, avec l’aide des Torildari. Je connais un peu cette histoire, vous êtes vous même le descendant direct de Mordred et d’une princesse Torildar d’une maison mineure.

— C’est de l’histoire ancienne je sais que vous êtes vous même assez critique, pour ne pas dire hostile à la chasse aux créatures magique. La rumeur publique affirme que le Prince Naegrandar Erlarieth vous a intenté un procès pour avoir tué une guivre blanche qu’il destinait à son zoo privé, il vous réclame une très forte somme en dédommagement… plusieurs dizaines de milliers de pièces d’or.

— J’ignorais que la rumeur publique était aussi précise.

— Pour être honnête, je l’ai lu dans vos pensées.

— Il me semble que le code des magiciens interdit de lire dans les pensées de ses hôtes.

— En fait, c’est le phénix qui a lu vos pensées, et il me les a transmis… c’est tout à fait involontaire. Lorsqu’un magicien réussi à établir un lien spirituel avec un phénix, il peut acquérir une partie de ses capacités. Ce lien peut être naturel si le magicien réussit à apprivoiser le phénix, ou « contraint » par un rituel magique très déplaisant pour la créature. Et j’en arrive à mon problème : les phénix ne sont pas très nombreux, leur valeur au marché noir est considérable et il existe un trafic clandestin que les paladins noirs n’arrivent pas à endiguer. En particulier depuis le décès du chevalier Sarandic de Carchois, ancien grand maître qui tentait de rassembler des indices sur les braconniers… mais il n’a pas laissé d’indices à son successeur.

— Et vos gardes frontaliers ne peuvent pas régler cette histoire ?

— Avant de faire appel à vous, un de mes meilleurs officiers est parti dans la Hyavath pour reprendre l’enquête et essayer de rassembler de nouveaux indices, mais il a été tué par un troll des montagnes. Un bon enquêteur ne me suffit pas, il me faut à la fois un spécialiste des créatures magiques, un baroudeur et un combattant expérimenté. Je me suis renseigné sur la plupart des rôdeurs en activité : vous êtes clairement le plus qualifié.

J’hésite à répondre. Il y a dans cette histoire quelque chose qui ne me semble pas très clair… le maître des paladins noirs qui meurt juste avant de dévoiler ses indices, un officier expérimenté qui se laisse surprendre par un troll des montagnes, alors que ces créatures évitent justement les routes fréquentées.

— Vous savez qu’il n’existe pas de guivre blanches ? reprend-il d’un ton dégagé. La créature que vous avez tuée devait être un albinos. Autrement dit, une créature dégénérée.

— Je le sais, mais les juges d’Erlarieth sont persuadés du contraire, et bien peu réceptifs à mes arguments.

— J’ai dans ma bibliothèque un « Monstrum Arcanum » qui détaille parfaitement les créatures des marécages. Avec ce document, le prince d’Erlarieth devra renoncer à vous poursuivre.

L’argument était imparable.

* * *

C’est ainsi que le lendemain, je me retrouve à marcher sur les routes montagneuses de la Hyavath en compagnie de trois paladins noirs. Le Seigneur Jarok, Sénéchal de l’ordre qui exerce provisoirement la fonction de Grand Maître jusqu’à l’élection du successeur de Sarandic.

Jarok est un authentique vétéran, un solide gaillard qui, malgré ses 60 ans, est encore capable de diriger une armée. Ses cheveux entièrement blancs forment un curieux contraste avec sa cape et son tabard entièrement noirs. Sachant qu’il a aisément triomphé d’un prince Torildar dans un jeu de stratégie, il me semble évident que l’ordre des paladins noirs trouvera en lui un redoutable Grand Maître s’il devait occuper ce poste de manière définitive. Son second, Hagur de Clevert, est un sergent d’une quarantaine d’année à la broussailleuse barbe noire. C’est un colosse à la force exceptionnelle – c’est à dire, presque comparable à la mienne –, et un guerrier expérimenté. Le troisième paladin est un semi-elfe aux cheveux roux d’ascendance Irildar. Il répond au nom de Golwidhal et tenait le rôle de pisteur.

Nous suivons une route escarpée qui serpentait le long des montagnes. Par endroit, le chemin se réduit à une étroite corniche d’un pied de large. Mes compagnons franchissent l’obstacle en armure, sans même s’encorder. Ils me proposent un harnais que je refuse plus par fierté que par réelle assurance, mais finalement, je les rejoins sans plus de difficultés.

Après l’obstacle, nous arrivons à un petit plateau ou mes compagnons s’installent, visiblement décidés à passer la nuit sur place, ce qui ne manque pas de m’étonner.

— Oin s’arrête déjà ? Je ne pensais pas que votre forteresse était aussi loin.

— Elle n’est pas loin, répond le Sénéchal. On y sera demain à la mi-journée. Vous avez sans doute remarqué qu’on ne progresse pas aussi vite que sur une route de plaine.

— En effet, et j’imagine que c’est un avantage pour la défense de votre territoire… mais comment faites-vous pour acheminer les provisions et les matériaux dont vous avez besoin ?

— Deux fois par an, les gnomes de Castelforge font un passage avec leurs navires volants. Ils acheminent le matériel lourd, les armes et les outils. Les provisions sont acheminées par le chemin que nous prenons, à dos de mulet tant que la route est pratiquable, et à dos d’homme ensuite.

— Il n’y a pas d’autre route ?

Sire Jarok me dévisage curieusement.

— Aucune autre route à ma connaissance, pourquoi cette question ?

— Parce que les braconniers doivent eux aussi trouver un chemin. Je les imagine mal prendre le même que vous car, outre sa difficulté, il y a un très gros risque d’y croiser un de vos convoi de ravitaillement. À moins qu’ils n’utilisent les navires volants des gnomes.

— Les gnomes n’aiment pas les ennuis. S’ils étaient surpris à participer à un trafic douteux, le droit de passage dont ils bénéficient serait remis en question, et leur prospérité en pâtirait.

— De toute façon, ajouta le second chevalier (celui là s’appelle Hagur, le costaud du groupe), les vaisseaux volants des gnomes sont fouillés à l’arrivée. Même la cale réservée au Grand Maître de notre ordre est fouillée de fond en comble.

— Les gardes frontières font toujours du zèle, ça fait partie de leur métier.

— Mais ils ne sont pas eux-même au dessus des lois ! Notre grand maître a rang de souverain. Ses effets personnels ne peuvent être fouillés comme s’il était un vulgaire colporteur… ou pire encore : comme son vassal !

— Ça suffit, Hagur ! Ordonna Jarok. Pardonnez-lui Messire Oxidor. Il est vrai que les gardes frontières se montrent sévères et outrepassent leurs droits, mais vu les circonstances on peut les comprendre. Et puis, je préfère subir leurs excès de zèles que de prêter le flanc à des rumeurs déplaisantes. Ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont rien à craindre d’officiers intègres.

Hagur hausse les épaules et s’éloigne en grommelant. Je leur tourne le dos et fais quelques pas dans la direction opposée. Au fond, je n’ai pas du tout envie de prendre parti dans leurs querelles de frontières et de lois féodales. Alors que j’approche du bord du plateau, une idée me vient tout à coup à l’esprit.

— Et par le défilé, pourquoi ne serait-il pas possible de passer ? Il semble étroit, mais il est possible d’y passer, et même avec des animaux de bâts.

— C’est impossible, répliqua Golwidhal. A cause des trolls des montagnes bien sûr. Vous voyez toutes ces anfractuosités sur le versant opposé ? Ce sont des cavernes à trolls. Et il y en a également de ce côté-ci. Ils n’osent pas monter jusqu’ici parce qu’ils ont peur autant des phénix que des dragonnets, et aussi de nous bien sûr, mais des voyageurs assez fous pour passer par en-bas tomberaient inévitablement entre leurs griffes.

— Le garde frontalier qui vous a précédé a probablement eu la même idée que vous. On a retrouvé son corps au fond du ravin, a moitié dévoré par les trolls. Vous ne devriez plus y songer.

— Je suppose que vous avez raison. Vous connaissez la région mieux que moi… Et bien je vous laisse le premier tour de garde pendant qu’il fait clair, et je veillerai le reste de la nuit.

Et sur ces mots, je m’installe pour dormir.

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