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« Je suis un peu nerveux.

- Pourquoi ? sourit-elle. Je suis sûre qu'il t'appréciera.

- Probablement, mais tel que tu me l'as décrit, je doute qu'il approuve notre amitié.

- Ne t'en fais pas, il sait que je n'accorde pas ma confiance à n'importe qui. »

À ce moment, la porte du salon s'ouvrit et un homme de taille moyenne fit son entrée. Ses traits étaient plutôt quelconques, seul son regard sombre attirait l'attention, car au fond de ses yeux scintillait une lueur de sagacité comme l'ont parfois les hommes dont le métier est le négoce. Il ressemblait un peu à sa fille, mais elle devait plus tenir de sa mère. Malgré ses cheveux grisonnants, il avait fort probablement dû être brun, et comme sa fille et ainsi que la plupart des gens de ce pays. Il était vêtu de façon ordinaire pour les marchands de cette cité. Il traversa la pièce sobrement décorée pour les rejoindre, et prit la parole :

« Ainsi donc, voici celui dont me parle Ishtar depuis tant de semaines. »

Le jeune homme en question ne parvenait pas à déterminer sur quel ton il avait parlé. La demoiselle acquiesça et annonça :

« Père, voici Sem Ben Héli. J'imagine que je n'ai pas besoin de vous le présenter en détail car je vous en ai suffisamment parlé. »

Elle assortit sa phrase d'un sourire. L'homme les invita à s'assoir. Il prit lui-même place dans un fauteuil, tandis que les jeunes gens s'installaient chacun sur un canapé. Le père laissa passer un temps, puis commença :

« Ma fille m'a dit que vous voyagiez. Avez-vous visité beaucoup de pays ?

- Plutôt, en effet. J'ai vu une partie de ce coin du monde. »

La situation était difficile, il fallait donner une bonne image de lui à partir d'un élément que son interlocuteur réprouvait.

« Venez-vous de Palestine ? l’interrogea à nouveau l’homme. Votre nom semble l’indiquer. »

Il essaye de me cerner à partir de ce qu’il peut déduire… remarqua l’invité. Mais sachant qu’il se base sur une fausse information, il ne risque pas d’y arriver. Le premier mensonge plausible était mon nom, passons au second : mon origine.

« Mes parents y vivaient, à Ciqlag.

- Que faisait votre père ? »

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite.

« Je ne l’ai pas vraiment connu. Il est mort lorsque j’étais encore trop jeune pour me souvenir de lui. Ma mère m’a élevé seule.

- Je ne le savais pas, intervint Ishtar, je suis désolée.

- Ce n’est pas grave, la rassura-t-il, après tout ce qu’on ne connaît pas ne nous manque pas. »

En théorie… ajouta-t-il mentalement.

Le marchand prit le temps d’assimiler cette information avant de le questionner.

« Vous êtes donc de confession juive ? »

Aïe, pensa le voyageur, je sens venir le danger. En un sens, je m’y attendais. Je suis en terrain glissant car je ne sais ce qu’il pense des juifs. Je pourrais tout aussi bien lui dire que je me suis converti à l’Islam, mais je ne sais pas s’il est sunnite ou chiite. Et je ne peux tout de même pas lui dire que je suis agnostique. Il est temps d’inventer le mensonge plausible numéro trois.

« Lorsque j’étais enfant, je suivais les préceptes de la Halakha, mais ayant beaucoup voyagé dans les pays du Levant j’ai fini par m’intéresser au culte musulman et je m’y suis converti. »

Il décela pour la première fois de l’approbation dans l’expression de son interlocuteur. À sa surprise, le père ne lui demanda pas à quelle branche de cette religion il appartenait. Cependant, l’homme lui posa la question centrale :

« Pourquoi voyagez-vous ? »

Ah. On dirait un sujet de dispute comme ils nous en servaient pendant mes études. Bon, qu’est-ce que je lui réponds ?

‘‘Sem’’ entama une nouvelle improvisation :

« Lorsque ma mère est décédée, j’ai ressenti le besoin de m’éloigner des lieux où j’avais passé mon enfance. Je résolus alors de faire moi-même mon apprentissage en voyageant, jusqu’à trouver un objectif concret. Je sais que cela sonne un peu vain avec du recul, mais je suis encore à l’âge où je peux avoir des idéaux, alors autant en profiter. »

Ce bref et touchant récit était empreint d’innocence, et devait suffire à excuser son mode de vie vagabond auprès de ce père protecteur. Il avait d’ailleurs fait son petit effet, ce qui était un coup de chance non négligeable. Son hôte s’apprêtait à répondre quand un serviteur entra.

« Maître, le chef de la corporation des marchands est là et demande à vous voir. Je l’ai fait patienter dans le salon jaune.

- Mieux vaut ne pas le faire attendre. »

Il s’adressa à son invité :

« Je vous prie de m’excuser, mais je ne peux refuser cet entretien. J’espère avoir l’agrément de vous revoir bientôt.

- Moi de même. » répondit le jeune homme.

Le négociant se leva et quitta la pièce, précédé du serviteur. Le voyageur était légèrement étonné : celui qui venait solliciter audience auprès de son hôte n’était autre que le noble avec lequel il traitait. Pourquoi, après lui avoir confié ce contrat, allait-il voir le père d’Ishtar ? Il se rappela alors un détail. En enquêtant de son côté, il avait découvert qu’il existait une rivalité entre la corporation et le père de la jeune fille, car celui-ci n’en faisait pas partie et était malgré cela très influent. Il avait donc deviné que le noble, tout en étant chargé de le convaincre d’intégrer la corporation, projetait de le contraindre en enlevant sa fille. Et le jeune homme avait pour rôle de jouer les intermédiaires. Il devait reconnaître que les enjeux de ce projet le dépassaient. La solution trouvée par le noble excédait l’objectif final. Peut-être y avait-il plus ? Quoi qu’il en soit, cela ne le concernait pas, et il savait que s’il s’intéressait trop à cette affaire, sa curiosité naturelle risquerait de lui jouer des tours.

Ishtar, ignorant tout de ses pensées, s’adressa à lui :

« Je pense que tu n’as aucun souci à te faire. »

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