Showdown !

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Deux heures plus tard, après trois rappels et l'intervention brutale des mastards pour décourager les fans trop entreprenant, Molly était de retour dans sa loge, les mains débordantes de bouquets et de lettres parfumées. Elle commença par les déposer précautionneusement sur la table, à côté de ses ciseaux et du tas d’enveloppes de la veille, dument évidées, et remarqua à haute voix qu’il allait falloir trouver des vases supplémentaires. Puis elle s'assit devant la glace et commença à brosser sa lourde chevelure. Elle aimait ces moments de calme après le show. Son ivresse qui retombait lentement, et cette odeur de sueur et de clope qui lui collait au corps comme une seconde peau. Ce soir cependant, son intuition lui disait qu'elle n'en profiterait pas. Levant sa brosse à la hauteur de son oreille, elle planta son regard dans le miroir, au-delà de son reflet.

« - Bonsoir détective dit-elle le plus calmement du monde. Ne vous a-t-on jamais appris qu'il était impoli de s'introduire dans la loge d'une dame ?

- So sorry, lâcha Dick en écartant les robes derrières lesquelles il s’était cachée. I knocked, mais il n'y avait personne. » Avec une nonchalance étudiée, il rajusta son chapeau et se dirigea vers la porte. Les verrous claquèrent lourdement en se fermant. Conscient du regard de Molly dans son dos, il sortit son paquet de cigarette de dernier recours (celui qu’il gardait pour une fois qu’il avait fini le paquet d’urgence), et s'en cloua une dans le bec. Il se retourna ensuite, prenant soin de ne laisser aucune expression transparaitre sur son visage, et traversa la pièce pour tendre le rectangle de carton à la chanteuse. Celle-ci prit le fin rouleau dépassant de du fin linceul argenté et le planta au milieu de ses lèvres, sans quitter une seule seconde le détective des yeux. Elle ne cilla même pas quand il sortit son briquet et présenta la flamme à quelques centimètres de sa peau. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes à se toiser.

« - Eh bien en général, lâcha finalement Molly, comme si la dernière phrase de Dick venait seulement de s’évanouir dans les airs, les gens attendent que le propriétaire revienne avant d'entrer.

- Mais you are not la propriétaire, Molly, répondit-il avec douceur. De rien de tous cela ».

Elle se releva et se planta juste devant lui. Le tissu de sa robe cascadait le long de ses seins et de son ventre. Elle était belle, terriblement belle. Dick sentit un filet de sueur couler le long de son dos. Elle avança encore son visage et s'arrêta juste avant que ses lèvres si charnues ne touchent son menton mal rasé. Elle inspira alors une longue bouffée de tabac, et, toujours sans le quitter du regard, lui souffla la fumée au visage.

« - Voyons, détective », susurra-t-elle en rapprochant le reste de son corps. Maintenant, Dick pouvait sentir l'odeur de sa peau, et le contact insidieux de sa jambe nue contre son pantalon. Elle était si près qu'il pouvait sentir son souffle sur la peau de son cou. Ses dents serrées sur le filtre de sa cigarette, il ne recula pas. Ce fut finalement elle qui esquissa un pas en arrière, en sentant le révolver de Dick contre son ventre.

« - Vous n’êtes pas sérieux, ronronna-t-elle, son regard maintenant braqué sur l’arme.

- Je veux des noms, Molly, répondit Dick la voix tremblante. Je veux savoir qui a fait ça, and why. ».

Elle recula encore. Il avança. Balbutiant des petites suppliques incohérentes, elle tenta de se dérober. Son dos butta durement contre la table encombrée de bouquets. De grosses larmes perlèrent alors au coin de ses yeux tandis qu'elle éloignait autant que possible son visage et son buste superbe de la ligne de mire du détective. Ses deux bras martelaient presque sans un bruit le plateau de la table dans leur recherche aveugle d'une échappatoire. Luttant contre la vague de pitié qui l'envahissait, Dick se força à maintenir sa visée.

Comme un élastique trop tendu qui revient brusquement à sa place, le corps de la chanteuse se rabattit alors vers le détective. La douleur le transperça. Étouffant un cri, il se jeta de côté pour éviter un éventuel second coup. Son épaule se disloqua quand il heurta le sol, mais il réussit à rouler sur lui même et se mettre à genoux. Il leva son bras tremblant pour remettre Molly en joue, et dut le rabaisser, incapable de l’empêcher de trembler. Sa main gauche courut le long de son flanc et revint carmine. Du sang ruisselait d’une profonde entaille.

- « C'est donc vrai que vous êtes faibles devant les jolies femmes, ricana la chanteuse, ses ciseaux rougis encore à la main. Elle repoussa en arrière les quelques mèches sombres tombées sur ses épaules et toisa froidement Dick.

- Je sais que vous ne me ferez rien, lança-t-elle. Je lui ressemble trop, n'est-ce pas ? A cette serveuse que vous aimiez tant ».

Avec un clin d'œil complice, elle inclina la tête exactement comme Inga l'aurait fait et lui sourit, de ce sourire un peu timide que Dick avait appris à faire naitre au fil du temps. La gorge du détective se noua.

- « Je vais vous dire... » Continua-t-elle en sortant un curieux objet de sa poche. Autant que Dick puisse en juger, il ressemblait une télécommande de télévision, bardée à une de ses extrémités d'un cornet de klaxon et à l'autre d'une espèce de petite poche flasque. Le détective se tassa sur lui même. Molly se mit à rire.

- « Oui, vous avez bien deviné, c'est avec ça que je leur suce la moelle ». Elle déposa un léger baiser sur le cornet et s’avança vers lui tout en continuant à parler : « Je dois cependant vous avouer que je ne comptais pas l'utiliser de nouveau. Et encore moins sur vous ». Elle fit un nouveau sourire semblable à celui d'Inga et s’agenouilla devant lui.

- « Je me demande ce qui se passera si je m'ajoute vos maigres capacités de détectives, minauda-t-elle. Cette propension à l'alcool que vous avez, ça pourrait me ruiner le teint. Vous en êtes conscient ? »

Dick se ramassa encore un peu plus sur lui même. Le sang n'arrêtait pas de couler entre ses doigts. Des taches noires dansaient devant ses yeux.

- « How ? Croassa-t-il.

- Mais le plus simplement du monde, ricana la chanteuse. Figurez-vous que dans les bas fonds est apparu récemment un archétype qui se faisait appeler Maître Voodoo. Un peu prétentieux comme nom, certes, mais il possédait cette combinaison que j'attendais depuis si longtemps. Les Sciences Occultes et l'amour des machines. Vous imaginez ? Il n'aimait rien de plus que de bricoler avec des écrous et des boulons tout en récitant des incantations. Une belle aberration ».

Molly pressa l’étrange instrument contre le corps de Dick. Même à travers ses vêtements, il sentit le cercle froid du cornet peser contre sa poitrine.

« - Il n'a même pas compris ce que je comptais en faire, susurra Molly, des éclats de rire dans la voix. Encore un archétype bancal. Son auteur l'avait fait brillant pour créer, et seulement pour ça. Il était incapable d'appréhender le monde et sa cruauté. Incapable d'imaginer que je l'avais trahi même quand j'étais au dessus de lui l'arme à la main.

Elle repoussa sa tête en arrière pour rire pleinement.

« - Et maintenant vous devez mourir, mon pauvre M. Burman, c'est la règle. Le détective trop curieux et trop faible devant les femmes n'arrive jamais à la fin de l'histoire ».

Son rire fut couvert par le bruit de la détonation. Incapable de maintenir davantage sa prise, la main de Dick lâcha le révolver qui roula au sol.

Le détective resta encore quelques minutes assis à contempler le trou dans la poitrine de la chanteuse tandis qu’il luttait contre l'évanouissement. Puis, tant bien que mal, il se releva, retira le suceur d'âmes des encore chaudes de Molly, et tira sur ce qu'il restait de sa clope. Une fois celle-ci terminée, il récupéra son arme et la rangea dans sa poche avec la machine infernale. Il s'éloigna ensuite vers la porte, sa main gauche crispée sur son flanc pour arrêter le saignement. La blessure était impressionnante, mais pas si grave. C'était toujours comme ça, avec lui. Molly avait eu tord de penser qu'un seul coup suffirait à l'immobiliser. Comme elle s'était trompé en imaginant qu'il ne pouvait rien contre elle parce qu'elle était une femme. C'était bien le seul avantage d'être un archétype bancal créé par des imbéciles incapables de se mettre d’accord, se dit tristement le détective. Il y avait tellement de flous et de contradictions dans la définition de ses traits de caractère qu'il pouvait improviser quand une situation exceptionnelle se présentait.

Au bout du couloir miteux, il y avait la rue, humide et puante, où les premiers rayons de soleil éclairaient des tas d'ordures fumants. Dick eut un sourire sans joie. Maintenant, il pouvait aller voir Widjet. Et peut-être que d'ici deux ou trois jours, quand il aurait dessaoulé, il appellerait IronHelm pour lui expliquer.

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