Histoire en Noir et Blanc - Le mal de Tendresse

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A cinq heure du matin, le show battait son plein au Mal de Tendresse. Dick salua les mastards à l'entrée d'un signe de tête et poussa les lourdes portes. Aussitôt, une suffocante odeur de sueur, de tabac et de mauvais alcool lui sauta au visage. Sans se démonter, il navigua entre les relents d’haleine torve et les geysers d’incohérences avinées, au premier abord si calmes qu’on les croyait juste éteins, noyés dans leur propre jus, jusqu’à ce que soudain, sans aucun signe avant-coureur, ils se mettaient à cracher les pire incohérences crasses, avec telle puissance que vos tympans menaçaient de retourner chez leur mère s’ils étaient soumis à ce supplice une seconde de plus.

Dick finit par trouver une table vide dans un recoin discret. Il s'installa dos au mur et commanda un whisky à une paire de jambes effilées dans une jupe trop courte. Il ne savait pas encore ce qu'il cherchait, mais son instinct lui disait qu'il ne tarderait pas à trouver. Sur la scène, le présentateur de revue annonçait que la prochaine artiste à se produire serait la merveilleuse Molly. Un tonnerre d'applaudissement accueillit cette nouvelle.

Quelque part un piano égrena quelques notes mélancoliques, bientôt rejoint par le lamento d’un saxophone. Taquines, les mélodies se tournèrent autour, avant de s'étreindre langoureusement pour atteindre une petite acmé. Elle apparut alors dans le rond des projecteurs, éclatante dans sa robe argentée. Même les ténèbres de la salle semblèrent reculer tant elle irradiait. Elle avança jusqu'au bord de la scène, ses hanches ondoyant à chacun de ses pas, et saisit le micro d'un geste à la fois provoquant et tendre. Un soupir d'extase traversa la salle. Rejetant sa lourde chevelure dans son dos, la femme approcha l'objet de ses lèvres, presque à l'embrasser et susurra les premiers mots d’une chanson trop connue.

La main de Dick se crispa sur son verre. Il ne connaissait pas personnellement Molly No-Face, comme on l'appelait ici mais il l'avait déjà vue faire son show. Et la représentation d'aujourd'hui n'avait rien à voir avec son numéro habituel. Si le présentateur de revue n'avait rien dit, il aurait même pu croire qu'il s'agissait d'une autre personne. Et pourtant c’était bien elle. Il reconnaissait ses cheveux.

Sa tignasse, c’était le seul trait distinctif de Molly No-Face. Dick s'était laissé dire qu'elle était née en tant que personnage secondaire dans un quelconque roman de gare. Son créateur ne s'était jamais embarrassé à en faire une description précise, elle n'était pas assez importante pour ça. La seule chose qu'il lui avait donné, c'était ces cheveux là, noirs comme une nuit chaude, qui moussaient le long de son dos jusqu'au bas de ses reins. Elle n’avait jamais rien reçu d’autre. Pas même un nom de famille. Pas même un visage. C'était d'ailleurs pour ça que, quand elle était apparue, la personne qui l'avait recueillie avait décidé de l'appeler No-Face. En référence à sa figure où seuls les yeux et les la bouche étaient présents, et encore, à peine esquissés.

Or maintenant, les lèvres qui gémissaient le douloureux refrain étaient nettement dessinées, rouges et terriblement séduisantes. Et il en allait pour le reste du visage. Des pommettes ciselées avaient fait leur apparition, les joues s'étaient délicatement ourlées de roses. Sans parler de ces yeux noirs qui pénétraient la chair pour vous ravager les tripes. Rien à voir avec la Molly d'avant qui rabattait ses cheveux sur son visage avant de monter sur scène.

Puis il y avait aussi ce quelque chose d’autre. Un quelque chose de familier que Dick n’arrivait pas encore à identifier. Plissant les yeux, il essaya de se concentrer. Ce qui s'avéra franchement difficile. La Molly nouvelle version était proprement envoutante. Mais c’était justement ça ! Dans chacun de ses gestes, de ses pas, dans sa façon d'incliner la tête, il y avait un quelque chose de terriblement séduisant et de bien connu à la fois. Elle ondoyait sur la scène, à la fois aussi claire et attirante que l'eau d'une rivière au matin, et aussi douce et souple qu'un épi de blé caressé par la brise. La main de Dick reposa son verre un peu plus violemment que ce qu'il avait prévu, puis plongea dans les profondeurs de sa poche intérieure pour trouver son paquet de cigarettes. Cette affaire puait la mauvaise embrouille, décidément.

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