Histoire en Noir et Blanc - Bienvenue à Oncupponatime.

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Il était 13h52 à la montre de Dick quand il sortit de l'épicerie crasseuse où il s'était arrêté pour acheter ses cigarettes. Aussitôt, deux faeripatéticiennes lui proposèrent leurs faveurs, et un elfe l'aborda pour lui revendre une authentique imitation de briquet Prométhée. Dick les écarta et s'avança au milieu de la chaussée pour allumer sa cigarette au calme. Il ne prit pas la peine de regarder sur les côtés avant de s'engager, il était très rare de voir des véhicules passer dans le Quartier Ouest. A cause de leur incapacité à en ressortir autrement que sous forme de pièces détachées, sans doute.

Ce dont le coin ne manquait par contre pas, c'était d'archétypes suffisamment idiots pour penser qu'ils pouvaient se faire Dick Burman. Les deux Margouillas qui venaient de se décoller du mur lépreux à trois mètres de là, par exemple. Ils avançaient dans sa direction avec une nonchalance indiquant qu'ils pensaient avoir le matériel pour l'étendre raide. Donc au moins un couteau chacun, sinon pire. Si un auteur avait le cerveau suffisamment fêlé pour créer des lézards bipèdes à lunettes de soleil et vestes en cuir, il y avait fort à parier qu'il les avait affublés d'un quelconque attribut létal. Une salive empoisonnée, par exemple, ou des griffes capables de trancher l'acier. Etouffant un soupir lasse, le détective rempocha son paquet de vingt, maintenant dix-neuf, et, tournant le dos à ses encore potentiels agresseurs, prit le chemin de l'Abattoir.

Les gens évitaient l'Abattoir pour la même raison qu'ils découpaient leur nourriture en morceaux très fin et lui donnaient ensuite des formes amusantes : ils n'aimaient pas se rappeler qu'ils tuaient pour vivre. Cela d'autant plus que la communauté des Minotaures était très présente à Oncupponatime. Personne n'aime se dire qu'il boulotait la cousine par alliance de son voisin de palier. Dick, lui, n'avait jamais eu de problème avec sa nature carnivore, et il appréciait grandement les ruelles désertes autour de l'édifice. Il s'engagea dans l'une d'entre elle. Les pas des Margouillas sonnèrent bientôt derrière lui. Dick sourit.

Dix minutes plus tard, il tournait le coin de la rue du Grand Hiver, ses poches alourdies du contenu de deux portefeuilles. Il ouvrit d'une torsion du poignet sa toute nouvelle montre. L'heure à laquelle le Capitaine IronHelm l'avait convoqué était passée de quinze bonnes minutes, au bas mot. Dick haussa les épaules et s'alluma une nouvelle cigarette. Le poulet voulait sans doutes des tuyaux sur une histoire glauque, sinon l'incriminer, voire les deux à la fois, alors pourquoi se presser ? Chantonnant un petit air sans suite, le détective prit la direction de la colline aux kappas.

Le capitaine IronHelm était de loin l'archétype de nain le plus caricatural que Dick ait jamais vu : respectueux des lois, poète, et d'une loyauté sur laquelle on aurait pu tordre une barre de fer. Pire, il n'avait pas deux sous de rouerie et s'accrochait mordicus à un code de l'honneur voulant qu'on informe poliment à dix pas de distance un suspect qu'il allait être arrêté.

Dick ne comptait même plus les fois où les accès de chevalerie du nain avaient mal tourné et où il avait dû donner de sa personne. Parce que bien sûr, quand il fallait rattraper un suspect en cavale alors que tous les porte-paroles de la police chantaient en chœur qu'il était hors d'état de nuire, ce n'était pas le capitaine Ironhelm, si probe et si respectueux des lois qui s'y collait. Non, évidemment. C'était ce déclassé de Dick Burman. Les deux archétypes avaient donc développé un mépris cordial infusé d’une bonne dose de haine l'un pour l'autre, et chacune de leurs rencontres se terminaient traditionnellement en pugilat verbal.

Aujourd'hui, cependant, l'humeur n'était pas aux quolibets faciles. Pas depuis que Dick avait posé les yeux sur ce que protégeaient les trois rangées de bandes orange et les deux cordons d'agents soupçonneux. Un pied planté sur le petit remblai de la berge, il n'en finissait pas de contempler le désastre. La rivière des Kappas s'était changée en une flaque terne et gluante. Quant aux corps squameux qui y surnageaient, Dick préférait ne pas y penser. Les dents serrées, il se tourna vers IronHelm et grogna « You damn dwarf ». L'intéressé lui retourna un sourire las.
- Au moins, mon cher, fous ne pourrez pas dire que che fous ai vait fenir pour rien.

Dick hocha la tête, essayant de ne pas montrer combien l'affreux accent du nain le hérissait. Il savait pourtant bien que ce n'était pas la faute du capitaine si le type qui l'avait imaginé avait une idée hautement fantaisiste de la façon dont des personnages sensés habiter sous terre devaient s'exprimer. Pas plus que ce n’était celle de Dick si le collectif « d'écrivains » sensés donner naissance au privé le plus classe de tous les temps avaient pensé que vraiment, glisser des mots en anglais toutes les trois phrases était trop edgy.

« - Qu’est-ce que c’est que ce bordel, bloody hell ! Lâcha-t-il, sa troisième (plus que 17) cigarette frémissante d'une rage pas entièrement due au massacre.

- Ze qu’il rezte de la rifière ondoyante et de zez habitants, lui répondit IronHelm de sa voix minérale.
- Ca je vois bien, mais what happened ?

- Za ze zera à fous de me le dire. Le nain eût un petit rire sans joie et lui fourra une lourde enveloppe de papier kraft entre les mains. Ovviziellement, il z'achit d'un trachique acczident dû à la polluzion. Le Maire ne feut pas entendre parler d'autre choze. Les meurtres mazzivs ne zont pas très bien fus, zi près des éleczion. Auzzi che me zuis dit que fous pourriez fous rendre utile, pour une vois. Il zerait zependant bien que, contrairement à fotre habitude, fous rézolfiez zette avaire afec la même dizcrézion que l'aigle qui vent l'onde zans la troubler pour attraper za proie.

Sa dernière remarque raisonna dans le vide. Dick avait déjà tourné les talons. Il s'éloignait d'un pas lourd, son imperméable flottant derrière lui tandis qu’il maudissait à haute voix l’imbécile heureux qui avait eu un jour l’idée d’imaginer des nains poètes. « Et les détectives privés fumeurs », ajouta-t-il pour lui-même quelques rues plus loin, l’enveloppe coincée sous son bras alors qu'il allumait son briquet derrière la faible protection sa main en coupe. L'extrémité de la quatrième cigarette à ses lèvres se teinta d’un mauvais rouge, et, sans même y songer, Dick aspira une longue bouffée de tabac goudronné. Quel dommage quand même que ses créateurs n’aient pas pensé à le doter de poumons à l’épreuve du cancer.

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