Kappas bouillus, kappas foutus

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Le capitaine IronHelm, à la tête du second commissariat du quartier Ouest de Oncupponatime, était de loin, et avec une compréhension totale et assumée du caractère redondant de l’expression, l'archétype de nain le plus caricatural que Dick n’ait jamais vu. Respectueux des lois, poète, et d'une loyauté sur laquelle on aurait pu tordre une barre de fer. Pire, il n'avait pas deux sous de rouerie et s'accrochait mordicus à un code de l'honneur voulant qu'on informe poliment à dix pas de distance un suspect qu'il allait être arrêté.

Dick ne comptait même plus les fois où les accès de chevalerie du nain avaient mal tourné et où il avait dû donner de sa personne. Parce que bien sûr, quand il fallait rattraper un suspect en cavale alors que tous les porte-paroles de la police chantaient en chœur sur l’air de ‘Tout va très bien, madame la marquise’ qu'il était hors d'état de nuire, ce n'était pas le capitaine Ironhelm, si probe et si respectueux des lois, et de toutes les manières incapable de courser autre chose qu’une tortue arthritique[1] sur plus de dix mètres avec les quelques quarante kilos d’armure qu’il portait sur le dos en plus de l’uniforme règlementaire, qui s'y collait. Non, évidemment. C'était ce déclassé de Dick Burman (bon, et occasionnellement Gürdun Hegsïn, le privé sino-islandais qui parlait à sa plante en pot, quand Dick était trop saoul pour se bouger, mais Dick et Ironhelm remontait à suffisamment loin pour que le détective occupe la première place dans la liste de personnes à contacter en cas de tempêtes excrémentesques que le capitaine gardait dans le tiroir gauche de son bureau à côté de sa bouteille d’alcool nain soi-disant pour décaper sa cuirasse) . Les deux archétypes avaient donc développé au fil de leurs aventures communes un mépris cordial infusé d’une bonne dose de haine bonhomme l'un pour l'autre, et chacune de leurs rencontres se terminaient traditionnellement en pugilat verbal. D’ailleurs, Dick savait de source sûre que plusieurs des agents les plus expérimentaient tenaient les scores et lançaient régulièrement des paris sur qui, de leur capitaine ou du détective, gagnerait la prochaine joute insultatoire.

Ce jour-là, cependant, l’humeur n’était pas aux quolibets faciles. IronHelm n’avait même pas lancé une seule petite insulte quand Dick avait finalement passé son chapeau sous le cordon jaune, accroché à deux plans de bambous trop verts et souples pour être honnêtes, qui barrait symboliquement l’entrée à ce qu’un discret panneau présentait comme :


« La rivière des sept plaisirs – propriété privée, accès réservé aux membres ».


Dick avait bien tenté de lancer les hostilités. Toutefois, trois cordons de sécurités et deux rangées d’agents sur les nerfs plus loin, il comprenait enfin que cette désagréable sensation diffuse à l’arrière de son crâne n’était pas sa gueule de bois en train de s’étendre, mais son instinct qui lui soufflait « Shut the hell up ! » avec la délicatesse d’un orchestre symphonique en pleine interprétation de la Charge des Walkyries de Wagner devant l’amicale des vétérans sourds et malentendants du front de Dresden.

Un pied planté sur le petit remblai de la berge, il n'en finissait pas de contempler le désastre. La rivière des Kappas s'était changée en une flaque terne et gluante. Quant aux corps squameux qui y surnageaient, Dick regrettait de ne pas avoir l’équivalent mental d’une pierre ponce pour effacer leur image de derrière sa rétine. Les dents serrées, il se tourna vers IronHelm et grogna « You damn dwarf ». L'intéressé lui retourna un sourire las, plus effrayant, de l’avis du détective, que les mille et une nuances de dédains que le nain arborait d’habitude en sa présence.

- Au moins, mon cher, fous ne pourrez pas dire que che fous ai vait fenir pour rien.



[1] Même si, du propre aveu de Dick, il fallait se méfier des tortues à Oncuponatime. Les petites garces cachaient bien leur jeu.

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