Histoire en noir et blanc - Voix Off

3 minutes de lecture

Ce matin-là, Dick Burman se réveilla avachi sur son bureau, les doigts encore serrés autour d’une bouteille de whiskey vide, et le carillon guttural d’une voix off dans la tête.

« Oh no, not again[1] », grommela le privé en se passant lentement une main sur le visage. Non qu’il eût le moindre problème avec le fait d’entendre des voix. Beaucoup de gens entendaient des voix à Oncuponatime : des médiums aux télépathes, en passant par les prophètes, ou personnages que leurs auteurs avaient imaginés "schizophrènes" sans se donner la peine d’ouvrir un dictionnaire médical pour vérifier les symptômes, la liste s’étendait bien plus loin que ce que l’esprit à moitié embrumé de Dick tenait à parcourir. Mais en ce qui le concernait, la survenue d’une voix off ne signifiait qu’une chose : le début des ennuis. Et les trémolos de basse de celle qu’il se coltinait-là ne lui annonçait rien de bon.

Un instant, le détective considéra l’alléchante possibilité de juste replonger sa tête dans ses bras, et dormir jusqu’au lendemain. La voix off pouvait bien aller emm…er (damn ! fallait qu’il s’en coltine une PG-rated en plus !) les collègues, pour une fois. D’ailleurs, ils lui devaient bien ça, la semaine précédente, encore, il avait joué les acolytes pour trois d’entre eux, et fini la tête dans une flaque d’eau pendant que l’autre empaffé d’héroïnomane recevait tous les honneurs.

Hélas, le grondement rocailleux de la voix off continuait son énumération épuisante de ses états-d’âmes, ce qui revenait à dire qu’il pouvait s’asseoir sur ses chances de se rendormir. Sans compter le fait que non pas une mais deux lettres avaient été glissées sous sa porte pendant qu’il dormait, et que, disgrâce suprême, il ne lui restait plus que huit cigarettes dans le paquet froissé qu’il gardait scotché dans la partie supérieure de son tiroir pour les cas d’urgence. Tout se liguait pour le faire sortir de chez-lui aujourd’hui.

Le privé s’extirpa de sa chaise avec un gémissement, et se traîna jusqu’à la porte pour examiner les missives. La première était un prospectus (les factures n’arriveraient qu’à dix heures, avec la poste), pour ce qui ressemblait à un atelier de coaching en désintoxication.

« Sûrement une blague d’une des copines du Fruit’s Paradise », se dit-il en allumant sa première cigarette du matin d’une main tandis qu’il débouchait sa bouteille de whiskey anti gueule de bois de l’autre (un tour dont il n’était pas peu fier).

La seconde pièce de papier était un télégramme (les nains et la technologie !) du capitaine IronHelm lui intimant de se présenter à 9h tapantes, voire plus tôt si cela lui était possible, au lieu-dit « La rivière des Kappas. » Sinon…

Dick gratta vaguement sa barbe de trois jours (il ne prenait plus la peine de la raser, elle réapparaissait en quelques heures et se stabilisait à l’état « barbe de trois jours », sans jamais pousser davantage), et regarda le télégramme d’un œil vide. IronHelm était aussi pingre que précautionneux. Il ne se serait jamais fatigué à payer pour trois points de suspension sur un télégramme s’il n’avait pas prévu un retour de bâton sérieux au cas où Dick lui ferait faux bond. Bien. Dick reposa sa bouteille et considéra quelques secondes la montre au bracelet de cuir usé accrochée à son poignet. Huit heures et demi. Il avait juste le temps de faire un crochet en chemin.

[1] Ce n’est pas tant que le collectif d’auteurs qui avaient imaginé Dick Burman n’avait aucune imagination, c’est surtout qu’ils parlaient anglais comme des vaches espagnoles souffrant du syndrome de Tourette, et, plutôt que d’aller ouvrir un dictionnaire ou une grammaire, avaient décidé de « rendre hommage » à un auteur anglais très connu, sans trop s’inquiéter du contexte de la phrase.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Gobbolino ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0