Les Belles personnes - L’alphabronde et le Dorécahurige

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La discrétion était donc de mise. Dick s’abîma dans l’observa du panneau indicateur, une bouteille de bourbon tourbé et une cartouche de cigarettes intacte – les deux signes indiquant que le détective avait parcouru le périmètre sans rien trouver d’inquiétant – bien en évidence dans ses bras.

Après une poignée de secondes, Kieran se baissa pour rajuster sa sandale – son signal pour indiquer qu’elle en était arrivée aux mêmes conclusions que le détective. Puis, sans lui prêter plus d’attention que s’il avait été une mascotte démarcheuse pour association caritative, elle s’éloigna. Dick lui emboîta le pas à une distance raisonnable.

Elle se dirigea d’abord vers une extrémité de la promenade, prenant soin de s’arrêter devant quelques vitrines et kiosque, voire d’entrer dans certaines boutiques, avant de revenir, insensiblement, sur ses pas, sans que jamais il ne soit possible d’établir clairement le point de chute de sa trajectoire, ou si elle suivait une trajectoire définie pour commencer.[1] Même Dick, pourtant rompu aux techniques de filature, était bien en peine de deviner quel serait son prochain mouvement. Cela faisait partie de leur routine. Si quelqu’un avait été suffisamment malin pour percer à jour son déguisement, il ne verrait qu’une elfe désireuse de s’offrir un petit frisson en se promenant dans un lieu interdit, filée par un détective aussi discret qu’un ours de dessin animé pour enfants. Rien qui sorte de l’ordinaire à Oncuponatime

Si le curieux suffisamment malin pour éventer le déguisement de Kieran avait appartenu, par exemple, à l’Association des Paranoïaques Impénitents, il aurait pu, envers et contre tout bon sens, suivre le duo mal assorti de couloirs en escaliers mécaniques, jusqu’aux étages souterrains. Mais là encore, il aurait été bien en peine de trouver quoi que ce soit susceptible de justifier ses soupçons.

Ou plutôt, l’exact inverse. Les sous-sols du centre commercial, avec leurs allées sombres et humides, leurs lumières tremblotantes et les symboles mystérieux sur leurs murs, qui apparaissaient et disparaissaient en fonction de si on les regardait ou pas, étaient tellement surdéterminés pour titiller toute paranoïa que si elle y était exposée, celle-ci effectuait immanquablement un double salto vrillé sur elle-même devant tant de sollicitations, avant de venir chuchoter à l’oreille de son possesseur que la seule explication pour qu’une telle accumulation de loucheries soit laissée en liberté était que l’ensemble devait être innocent comme l’agneau qui venait de naitre et que quelqu’un avait voulu les manipuler pour leur faire croire que les lieux était coupable, mais ça ne prenait avec eux ! Ah !

Kieran et Dick, maintenant débarrassé du moindre risque d’être observé par un spectateur malvenu, se hâtèrent d’entrer dans une petite boutique à la devanture décorées de fleurs en bernes, coincée entre un commerce de cristaux anthropophages (rien de tel pour dissuader les démarcheurs importuns ! Rapportez votre cristal chez vous aujourd’hui, payez en trois fois sans frais !) et une oracle pratiquant la divination par les entrailles dont la réclame « Personne n’est jamais revenu se plaindre » masquait l’avertissement en minuscules caractères sombres gothiques: « Divination ancestrale pratiquée à même le client. Frais supplémentaires pour la désinfection de la lame. Les augures de mort imminente ne sont pas remboursées ».

Une fois la porte refermée, Kieran traversa rapidement la petite salle encombrée de plantes trop épuisées pour ne serait-ce que leur faire un croche-patte, et s’arrêta devant une grande tapisserie murale mangée aux mites, dont on pouvait encore distinguer qu’elle représentait une forêt, à condition de plisser les yeux de la bonne façon avec la tête un peu inclinée en arrière.

« Prêt ? ». demanda-t-elle pour la forme, une minute parès avoir empoigné la main du détective et l’avoir tiré à sa suite à travers l’entremêlement de fils.

C’était là le grand secret du plus-si-petit peuple. Ce que tout le monde appelait leur « plaine » était en réalité un plan d’existence en partie détaché de la réalité fictive, et atteignable en franchissant de ce que les elfes nommaient les orées : des points de jonction entre deux états opposés. La vie et la mort. La vision et l’illusion. Le vrai et le faux. La plaine et la forêt. L’alphabronde et le Dorécahurige. Ce qui se résumait, dans le langage de Dick à : « Fuckin’ magic ».

Il n’eût même pas le temps de s’arrêter pour récupérer ses esprits comme il l’avait fait les rares fois où il avait accompagné Kieran. L’elfe le trainait par le bras à travers buissons et fourrés, apparemment bien décidée à rattraper le temps perdu dans le centre commercial. Dick était obligé de courir pour suivre son rythme, et cela nuisait gravement à son image de privé flegmatique.

« Kieran, what the hell ? », réussit-il à articuler, après avoir dû baisser la tête en catastrophe pour éviter une branche basse.

« L’Essaim[2] t’expliquera tout, répondit cette dernière sans se retourner. Ce sera plus simple.

Damn, pensa Dick. La situation était encore pire que ce qu’il avait imaginé.

[1] Un peu comme cette phrase. Note to self : virer mon narrateur.


[2] Toute ressemblance avec le nom d’un Scribayen est absolument fortuite, et à quelques différences prêt, les deux n’ont absolument rien en commun.

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