Les Belles Personnes - Réminescences

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Et pire que tout, il y avait les elfes. Ou plutôt, leur absence criante. Où que se posent les yeux du privé, ils étaient presque immédiatement saturés par la vue de fourrures, feuilles, crocs, crinières, cheveux frisés d’un rouge douteux, antennes et transmetteurs en tous genre. Mais aucune oreille pointue dans son champ de vision.

Dans l’allée couverte sur laquelle donnait le supermarché – la promenade, paraissait-il que ça s’appelait, cette espèce de grande langue de faux bois et de véritable escroquerie, où chalands et clients pensaient circuler alors qu’ils n’étaient là que pour se faire avaler, mâcher et recracher par la longue suite de boutiques aux portes béantes, qui donnaient, selon le détective, tout leur sens au terme « société de consommation » – Dick pouvait compter pas moins d’une vingtaine d’espèces. Et il n’était que huit heure du matin. Juste devant lui, un chat bipède au large chapeau haranguait les promeneurs matinaux pour les inciter à jeter un œil à son présentoir de colifichets en métaux imaginaires. Parmi les quelques flâneurs sensibles à son boniment, Dick dénombrait un arbre d’essence inconnue, un autre à l’odeur caractéristique de kérosène - encore une victime d’un auteur un peu trop amateur de jeux de mots - une demie personification anthropomorphique, qui appartenaient soit à un dessin animé des années soixante-dix, soit à un panthéon quelconque, une grappe d’yeux flottantes – le chat devait être drôlement convainquant pour arriver à promouvoir des pendentifs et autre brillants d’hélix à une créature ne possédant ni cou, ni oreille – une dizaine de petits rongeurs en chapeaux-melons et monocles, sans mentionner castors en salopettes, limaces automates, grands anciens et autres héros d’histoires introspectives répétitives et mal dessinées, à peine visible dans leur fourmillement de traits sans remplissage, qui s’étaient contentés de jeter un regard avant de passer leur chemin.

Oncupponatime était, et avait toujours été, une communauté multispatioculturelle, et les elfes, parmi ses occupants les plus anciens. Damn ! Si pas les plus anciens tout court. Pour ce qu’en savait Dick, les petits salopiauds gambadaient déjà dans les mythes et légendes de l’humanité quand la notion de justice était encore tellement élusive que les prêtres supposaient qu’elle leur était envoyée d’un autre monde – autant dire que la genèse du début de commencement d’un Dick Burman, détective privé était encore loin d’être évidente.

La première personne que Dick avait rencontrée à Oncupponatime était un elfe, d’ailleurs. Il s’en souvenait comme si c’était hier. C’était par une sombre nuit d’orage. Déjà parce qu’une bonne moitié des nuits à Oncuponatime étaient des sombres nuits d’orage, ensuite parce que Dick suspectait que la plupart des auteurs responsable de l’existence du plan d'existence n’avaient jamais pris le temps de réfléchir au fait que le groupe nominal « sombre nuit d’orage » était un pléonasme.

C’était par une sombre nuit d’orage, donc. Dick se souvenait confusément d’une douleur lancinante. La convention littérature voulait qu’elle ait été localisée à l’arrière de son crâne, mais c’était un mensonge. Dick avait eu l’impression qu’un pic à glace avec une sale gueule de bois avait soudain décidé de retourner chacune des molécules qui le composait pour en faire un napperon en crochet. Sous le choc, il avait essayé de prendre une respiration, et échoué lamentablement. Pendant plusieurs instants extrêmement difficiles, il était resté à suffoquer, ses yeux ouverts sur les ténèbres humides devant lui, avant que ses réflexes ne s’enclenchent et qu’il ne comprenne, intuitivement, qu’il était allongé dans un caniveau.

Il lui avait encore fallu plusieurs secondes cruciales pour réaliser qu’il allait mourir s’il ne trouvait pas rapidement comment actionner ses bras. Plus tard, il apprendrait que bien des personnages passaient l'arme à gauche ainsi, au moment de leur arrivée, faute d’une insertion adéquate. Pour l’heure, il n’avait pas encore réuni les deux bribes de pensées susceptibles de lui permettre d’exercer une poussée de la main afin de se dégager.

C’était là qu’il avait senti une paire de mains empoigner fermement son trench, et tirer. Un mouvement fluide, impérieux, qui ne se souciait pas de détails tels que la gravité ou l’inertie. Une fraction de seconde plus tard, Dick était adossé à un réverbère, tandis qu’une main fine et froide s’insérait entre sa peau et le col de sa chemise pour essayer de desserrer sa cravate raidie par la pluie. Dick s’était confusément demandé s’il était en train de se faire dévaliser, avant de remarquer le képi soigneusement posé au-dessus des oreilles pointues de son sauveur. Presque aussi pire, avait murmuré quelque chose, quelque part, au fond de son cortex embrumé.

"Vous êtes sauf, maintenant", avait murmuré l’inconnu d’une voix mélodieuse, aux accents de whisky single malt de vingt an d'âge et de cigares roulés à la main. Ce à quoi la partie de Dick à peu près consciente, même abruti de douleur, avait voulu répondre par un reniflement méprisant. Dans les faits, le privé avait été pris d’une quinte de toux monumentale, dont chaque spasme, lui avait-t-il semblé, lui faisait régurgiter une quantité d’eau positivement absurde, qui s'écoulait par son nez et la commissure de ses lèvres en un long filet sale.

« Oh ! Ironhelm ! Rameute ton uniforme de bleusaille fissa, on a une corne verte en code rouge ! » avait-t-il entendu son sauveur hurler, avant de sombrer dans l’inconscience.

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