Les Belles Personnes : mutations.

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A Oncupponatime, les choses ne cessaient jamais de changer. Parfois des immeubles entiers mutaient du jour au lendemain et des gens qui s’étaient couchés parfaitement normalement la veille se réveillaient en apesanteur dans un vaisseau spatial, leur chat à moitié dévoré par un désintégrateur de particules retourné à l’état sauvage. Parfois, la transformation était plus longue, apportée morceau à morceau au fil des nouvelles arrivée.

C’était exactement ce qui s’était passé avec les Centre Commerciaux. Sans que personne ne s’en rende vraiment compte, les petites épiceries s’étaient agrandies. Leurs étalages étaient devenus des rayons. Les rayons des allées. Les produits habituels s’étaient soudains retrouvés rassemblés sur un coin d’étagère, flanqué de la mention « Authentique », « Terroir Historique » ou « Produit à partir d’une fictioferme tri-centenaire ». Des petits paniers en plastique noir ou vert avaient commencé à s’auto générer de manière anarchique dans le nouvel espace, et une génération entière de scientifiques s’était attelée à trouver la réponse à cette grande question : pourquoi ces bacs, pourtant non sentients, apparaissaient-ils partout dans les allées, sauf dans l’espace soudain ajouté juste après l’entrée, où les mots « PANIERS A VOTRE DISPOSITION » étaient inscrits en lettres rouges déjà à moitié effacées par des frottements inexistants.

Ces recherches, pourtant prometteuses (un des scientifiques était à deux doigts de prouver qu’il s’agissait en réalité de créatures animés non pas par un esprit mais par un amalgame de haine aveugle et de mesquinerie, après avoir enregistré plus de cinq cent cas où les paniers avaient disparu à l’approche de clients, ou s’étaient traitreusement matérialisé sous les pieds de clients innocents pour les faire trébucher – en ce qui concernait le cinq cent unième cas, le scientifique avait refusé de le prendre en compte. Malgré les dénégations du client en question, il avait la preuve formelle que celui-ci avait délibérément sauté dans un panier après s’être collé la mention « Impropre à la consommation » sur les feuilles et la tige, et avait fait le mort jusqu’à ce qu’une espèce de trench-coat ambulant et au visage flou ne se saisisse du bac et le renverse) avaient été abruptement interrompues lorsque les supermarchés avaient atteint leur stade d’évolution suivant.

Encore une fois, personne n’avait rien vu venir. Un auteur avait eu l’idée de faire intervenir un Centre Commercial dans une histoire. Un peu plus tard, d’autres l’avaient imité, d’abord peu, puis en b. Leurs personnages étaient arrivés, les uns après les autres, apportant la nouvelle et scintillante idée avec eux sans même le savoir. Les lieux s’en étaient imprégnés, et, doucement, les supermarchés avaient muté pour adopter cette nouvelle forme. Quand les habitants avaient enfin remarqué le changement, il y avait déjà sept Centre Commerciaux dans la ville-même et une bonne quarantaine dans toute la région.

Dick Burman y songeait toujours avec une pointe de regret quand il venait faire ses courses. Oh, bien sûr, il n’avait jamais vraiment connu les épiceries de quartiers et les minuscules bodegas autre part que dans ses aventures de papier. En vérité, les supermarchés étaient déjà solidement installés dans le paysage Ocuponatimeain quand un éditeur vieillissant avait demandé à un collectif d’écrivain dont la seule décence avait été de rester anonyme de lui concocter l’histoire d’un « vrai privé comme on en fait plus, et pas dans ce contexte actuel de zazous ». Mais une partie de lui (celle-là même qui le poussait à porter un trench-coat et un feutre même en plein soleil) ne pouvait s’empêcher de penser qu’une telle concentration de boutiques et de marchandises en un seul endroit était contre nature. Et la raison de Dick approuvait avec ardeur quand il se trouvait obligé de chercher quarante-cinq minutes durant où diable les paquets de pâtes instantanées avaient été stockés cette semaine. Sans parler de cette monstrueuse manie qu’avaient les centres commerciaux de se clore en début de soirée, et, comble de l’horreur pour le privé, de restreindre la quantité d’alcool achetable en une seule visite. A ce rythme, on allait bientôt lui demander sa carte d’identité.

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