Le légendaire de Basse Bretagne

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 Le soleil entamait sa lente descente entre les montagnes noires, réchauffant, pour quelques heures encore, la vallée fertile du Kerloan, lovée entre les confluents du Ster. Le bocage s’étendait à perte de vu à l’Est. Sa parure sauvage était mouchetée par des maisonnettes et des corps de fermes dispersés négligemment, comme s’ils n’étaient que dés lancés par un géant sur une table gigantesque. Les parcelles de seigle jouxtaient les pâturages de vaches bedonnantes et de riches potagers. A l’écart, se dressait, sur la plus haute colline, un vieux monastère de pierre brute, à demi caché par des arbres centenaires.

L’observateur lambda aurait put se laisser aller à la contemplation pendant des heures, sans même remarquer, à son côté, la brutale fin de cette abondance, là où le touffu bocage se transforme en lande acide. Balayée par les vents, délaissée par les habitants du pays, elle n’était revendiquée par personne, si bien qu’elle servait de frontière naturelle avec l’évêché voisin. C’est pourquoi il n’était pas rare d’y voir passer des mendiants vagabondant et des paysans pauvres en recherche de terres, dont les vaches paissaient là-bas l'ajonc que les autres ne récoltaient pas, et en donnaient du mauvais lait.

Cette soirée là, une ombre de la lande, plus audacieuse que les autres, se glissa le long d’un talus. Elle pénétra sur un chemin creux avec l’assurance du voleur au travail. Elle s’arrêta soudain à l’entrée d’un champs de céréale, et s’accroupit pour y déterrer les orties qui y prospéraient.

-« SKROUÏK !! » hurla la belette qui était cachée dans l’entrebâillement de la chemise de l’intrus. Elle avait repéré quelqu’un approcher.

L’homme leva la tête. C’était en réalité plusieurs ouvriers agricoles qui arrivaient en trombe.

- Tu le sais que c’est chez quelqu’un, voleur !

-Ce ne sont que des orties ! répondit l’étranger, ils rendront ma soupe plus consistante...

Il fit un pas en arrière.

-Il s’enfuit ! lança l'un.

-Choppez le ! répondit un autre.

-Ecoutez-mo… Ah !
Plaqué au sol, l’animal qui lui servait de compagnon lui faisait mal en se débattant. Il savait qu’il serait bon pour un sermon du prêtre et que sa venue serait connue de tout le village, si ce n'est la paroisse dès le lendemain. C’était bien là un dénominateur commun entre tous les bretons, tout étranger à ce village fut-il. Cela ne le réjouissait pas, il ne pourrait pas rester ici et réparer des babioles contre le logis comme il le faisait d'habitude; il savait qu'il aurait vraiment très faim le soir venu car il n'aurait pas mangé...

-Vous pensez qu’il faut le dire au chengelin ? demanda, penaud, un des hommes resté sur le côté.

- Parle pas comme ça de la sainte Magrit ! Tout va nous porter malheur, cracha l’homme qui plaquait l’étranger au sol. Il marqua un temps d’arrêt puis reprit.

-C’est quoi ton nom ?

-Laz, c'est mon nom, dit-il en un souffle douloureux.

-Viens avec nous Laz.

Une troupe s’était réunie sur le champs de foire. À sa tête fulminait un patriarche habillé d’habits brodés, appuyé sur son bâton de Monsieur, signe de son statut social. Les hautes maisons de pierres, tout autour, éclairaient légèrement la terre battue au travers de minuscules fenêtres. Des visages curieux des bourgeois épiaient aux fenêtres.

-Pouilleux de Chtou ! rugit l’ancien.

Laz était maintenu au centre sur le sol. Fier, il ignorait les piques de l’ancien. Il trouvait tout ceci ridicule et disproportionné. Il commençait même à envisager quelles options de fuite s’offrait à lui, avant de se raisonner : il n’avait aucune chance de réussir à se faire la belle.

Ses réflexions furent interrompues par l’arrivée d’une petite femme armée d’un bâton de pèlerin. Elle attirait irrémédiablement les regards vers elle par sa préstance, ou était-ce le fait que tout le monde se soit tourné vers elle qui lui donnait cette aura ? Les dernier rayons du soleil mouraient dans les langues de broderies qui entouraient sa coiffe blanche d’une mode inconnue, qui la différenciait définitivement des autres femmes du village. Laz comprit en la voyant pourquoi les ouvrier agricole appelaient « sainte ». Bien qu’elle ai l’apparence d’une jeune sœur banale, on aurait put croire que ces yeux sombres avait vu passer 5 ducs et autant de générations, c’est pourquoi il semblait si naturel de lui demander ses prêches.

-Vous vouliez me voir une dernière fois avant mon départ ? demanda-t-elle.

-Oui Madame répondit l’ancien soudain mielleux, l’homme que vous voyez là a été surpris à voler dans mon champs. Que faire d’une personne qui a commis un tel délit ?

-Tout dépend ce qu’il a volé, répondit la femme avec patience.

-Un malheureux bouquet d’ortie ! intervient Laz.

Piqué, le vieille homme le menaça avec son bâton « mais c’était le mien de bouquet d’ortie » !

-Bien, bien ! Des orties donc ? Quels torts cela va-t-il vous causer ?

-Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question ?

-Que comptiez-vous faire avec ces orties pour que vous gardiez ainsi cet homme ? Ou alors êtes-vous en colère car vous aviez mis du temps et de l’énergie pour que ce bouquet soit fourni ?

L’ancien fut décontenancé par ces questions, il ne percevait pas une once d’ironie ou d’agressivité dans la petite femme, mais de la candeur qui allait retourner l’assemblée contre lui. Soudain, la jeunesse de la fille lui parut d’une grande fausseté, et son aura, hostile. Il voulut mettre fin à cet échange au plus vite

-Essayez-vous de m’éprouver ? Par saint Yves, ces orties étaient sur mon terrain, un point c’est tout, en venant s’y servir sans y être invité, cet homme m’a causé du tort.

-Je comprends, et je vous le dis, Dieu vous le rendra d’autant que le tort a été fort. Et concernant ce jeune homme, il ne vous ennuiera plus car il partira ce soir même. Je peux vous l’assurer, car il fera avec moi la route vers le monastère de Koatuhel, si cela lui convient.

Tous les regards se tournèrent alors vers Laz, qui hochait la tête, sonné. Il allait s’en tirer.

Satisfaite, l’assemblée se dispersa rapidement car l’heure était à rentrer à son foyer. Magrit -car tel été son nom- vint s’assurer que Laz allait bien, et le pressa pour partir. Aller au monastère prendrait une grosse heure, « la longueur de quelques quantiques » avait-elle précisé, il ferait presque nuit noir quand ils arriveraient. Elle n’avait aucune affaire hormis sa modeste robe et son bâton de pèlerin qui cliquetait à chaque pas à cause de la coquille saint-Jacques qui y pendait.

Rouzig, le furet, s’agita et demanda de l’attention, il faisait de petits bruit pour signifier qu’il avait faim. Laz le caressa doucement pour le rassurer.

-Moi aussi, moi aussi mon ami…

En suivant les chemins tortueux qui sortaient du pays, Laz repensa à la scène à laquelle il venait d’assister, et fut décontenancé par la tournure qu’avait prise les événements. Lui qui n’était pas très religieux (et en même temps, comment un voleur, un vagabond comme lui pourrait-il l’être ?), pas méchant non ! Mais dévoué, il ne l'était pas. Il se surprit à voir dans sa nouvelle camarade de route une émissaire de Dieu ou au moins, un coup mystérieux de pouce du destin qu’il ne méritait pas. Il repensa également à la façon dont les gens du du coin avait appelé la jeune fille « changelin ». Sa tante lui expliquait, enfant, quand il n’était pas sage, que les changelins étaient des créatures malignes, douées d’un talent de métamorphose, qui leur permettait de prendre la place d’enfants humains, qu’ils dévoraient. Une telle entité pouvait-elle prétendre être touchée de la grâce de Dieu ? Laz en doutait.

La lune gibeuse monta dans le ciel en accompagnant les étoiles timides. Les bois bruissaient doucement aux rythme de la coquille. « Clic » « Clic », au moment ou Laz et Magrit sortirent du bocage pour s’enfoncer dans la foret, tous les champs de seigle, tous les potagers et tous les pâturages de la vallée se transformèrent en parterre d’orties.

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Le monastère sur les Montagnes Noires

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