CINQ SIÈCLES D’INNOCENCE

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 J’ai cinq siècles et ça se voit. J’ai la peau ridée, le teint jaune d’une fumeuse de havanes et mon ciel a perdu de sa superbe. J’ai mal vieilli. Et tout ce qui m’entoure aussi. La flore luxuriante dans laquelle je me prélasse n’est plus que crasse et boue. Et mes compagnons de galère ne sont pas plus reluisants… le chasseur a perdu sa fougue, son chien ses poils et les amoureux leur fraîcheur. Sans oublier que celui qui me menace depuis cinquante décennies est encore plus effrayant qu’avant. Les autres se sont presque évaporés de mon paysage. Tous sont terriblement crasseux. Moi la première.

 Mais il faut dire que je n’ai pas chômé durant ces cinq cents ans ! Et puis, dans mes nombreux voyages, je suis tombée sur des individus qui ne savaient pas m’aimer correctement. Alors à chaque fois il me fallait repartir... Je suis née en Italie, j’ai traversé l’Europe en diligence et par bateau, j’ai vécu à Madrid, à Londres puis j’ai échoué à Paris. On peut dire que j’avais sacrément la bougeotte. Pourtant c’est à Venise que j’ai passé toute ma vie.

 J’ai séjourné dans des lieux d’exception, j’ai été admirée par des têtes couronnées, j’ai reçu tous les honneurs et j’ai suscité le désir et la convoitise. Je ne vais pas jouer les modestes, hommes, femmes, tous étaient à mes pieds. Je sais très bien ce que vous vous dites : « Quelle chance ! ». Mais j’aurais mille fois préféré moins de soupirs enfiévrés et plus de constance. C’est vrai, j’ai côtoyé les plus grands et j’ai eu droit à tous leurs égards et pourtant, toute mon existence durant, j’ai été roulée, chahutée et maltraitée par eux ou à cause d’eux.

 Mes acolytes, l’homme nu et l’élégante au teint de porcelaine, ont passé cinq siècles à se dévorer des yeux silencieusement. Ils méditent certainement sur le sort souvent funeste d’un amour consommé. Cupidon a toujours son apparence de nouveau-né mais n’a jamais décoché sa flèche. Moi je fais toujours semblant d’être assoupie pendant que ce bon dieu de lâche soulève mon voile. J’ai passé près de deux-cent-mille jours allongée langoureusement devant cet être poilu. Le pauvre, depuis tout ce temps, il doit en avoir des crampes. Je me suis bien rendu compte qu’il n’est pas celui qu’il paraît être. Et que ces intentions sont tout sauf louables. Je suis autant à sa merci que le cerf derrière moi, cerné par une meute. Lui est sur le point de périr. Moi sur le point de perdre mon innocence. L’homme prend toujours ce qui ne lui appartient pas. Depuis la nuit des temps il pense que toutes les créatures terrestres sont son dû. Et que la moindre parcelle de l’univers existe pour son confort personnel. C’est une douce berceuse qu’il se chante à lui-même et qui dévaste tout sur son passage.

 J’ai passé mes trente premières années aux côtés de mon géniteur, un éternel insatisfait. Je n’étais jamais assez bien à ses yeux. Il a fini par me mettre à la porte et je ne l’ai plus jamais revu. Ça fait bien longtemps qu’il n’est plus de ce monde mais son empreinte reste à jamais gravée sur ma peau. Après mon départ du foyer paternel, j’ai atterri chez un homme qui me disait que j’étais belle en plusieurs langues. Mais c’est lorsqu’il me le disait dans sa langue natale que j’étais le plus émue. Ses accents en portugais, en italien ou en français laissaient vraiment à désirer. Oh et puis « Te quiero » c’est tout de suite plus intense non ? Mais malgré ses belles paroles, il n’était pas toujours tendre. Il revenait souvent avec un trophée de chasse sanguinolent, qu’il brandissait devant moi, tout fier. C’était pourtant un piètre chasseur. Mais pour garantir sa bonne humeur, sa cour s’arrangeait toujours pour abattre un animal, et lui laisser croire que c’était son exploit. Il avait une belle brochette d’hypocrites à ses basques.

 Philippe avait tout vécu en accéléré. À dix-huit ans, il était déjà père et veuf. C’était un homme extrêmement rigoureux. On le disait même tyrannique. Toutes ces rumeurs qui circulaient à son sujet, quelle horreur ! Je n’ai jamais trop su quoi en penser. Un homme pervers ? Heureux d'exécuter son propre fils et de se marier avec la jeune promise de ce dernier ? Il aurait piloté une machine de mort et de torture ? Mon petit homme prudent respectait pourtant à la lettre les règles strictes qui entouraient l’usage de la torture à l’époque. On le comparait à un loup. Moi je ne voyais en lui qu’un agneau. Mais il est indéniable qu’il avait un bon nombre d’ennemis assez doués en terme de propagande.

 En revanche, son fils quel fardeau ! De toute mon existence, c’est le personnage le plus exécrable qu’il m’ait été donné de rencontrer. Sa naissance, d’abord perçue comme une bénédiction s’était très vite avérée être la plus grande des fatalités. Sa mère, dans la fragilité de ses dix-sept ans était sortie de l’accouchement épuisée et gratifiée d’une sérieuse infection. Assez sérieuse pour la tuer en tout cas. Ce premier drame donna le ton.

 Tout était étrange chez lui, à commencer par son aspect physique. Il ressemblait à un bilboquet avec sa très grosse tête, posée sur un corps chétif. Vous savez comme moi que la taille de la tête n’est pas forcément proportionnelle à l’intelligence de son propriétaire. Vous ne vous étonnerez donc pas de savoir que cet enfant n’était pas particulièrement vif. Il faut dire qu’il avait hérité d’un lourd patrimoine génétique. Ses parents étaient doublement cousins. Et lorsqu’un imbécile se découvre une passion pour la cruauté, on peut redouter le pire. Dès l’âge de sept ans, il prenait un malin plaisir à torturer les animaux. Je le voyais souvent ouvrir la gorge du gibier encore remuant. Il était nerveux, impatient et irascible. Ses colères faisaient trembler les murs. S’il avait eu les plein pouvoirs à cet âge-là, tous ses précepteurs se seraient retrouvés pendus.

 Son père, à côté, faisait figure d’enfant de cœur. D’ailleurs Philippe me confiait souvent se sentir tiraillé entre ses sentiments paternels et une forme de rejet de la créature qu’il avait engendrée. Et lorsque ce père mal-aimant, veuf pour la seconde fois, eut la brillante idée d’épouser une jeune femme de quatorze printemps, d’abord promise à son fils, il décupla la rage de ce-dernier. Il est vrai qu’avoir son ancienne fiancée pour belle-mère, c’est un peu cruel. Le jeune hargneux multiplia alors les facéties pour se venger et mena une vie de dépravé. Un jour où il courait après une prostituée, il tomba dans les escaliers. Les médecins s’affairèrent pour le remettre sur pieds mais son état empira, malgré les innombrables purges et saignées. En désespoir de cause, on lui perça le crâne. C’était une opération assez risquée en ce temps-là… Le pays entier s’abîma en prières pour ce jeune homme qui ne méritait pourtant aucune grâce divine. Elle lui fut accordée. Un temps du moins.

 Cet heureux sursis n’eut pas pour effet de lui apprendre la bonté. Au contraire, sa cruauté redoubla. Il mutilait ses chevaux et ses serviteurs, sans distinction. Et j’assistais parfois à des scènes dont je me serais bien passée. L’une d’entre elles me marqua particulièrement. Je m’en souviens d’ailleurs comme si c’était hier. Je revois son cordonnier lui apportant des bottes trop étroites, j’entends encore le fou furieux exiger que le cuir de celles-ci soit découpé en lamelles et passé à la poêle et je me rappelle parfaitement du pauvre artisan ingurgitant péniblement son œuvre. Malheureusement notre petit tyran était non seulement cruel, mais aussi imaginatif.

 Je l’entendais souvent crier qu’il voulait commander les armées. Une sacrée ambition pour un homme à la sa santé si fragile ! Il rêvait de rôles de premiers plans mais était condamné à rester dans l’ombre. Il se voulait un destin de roi. À priori, personne d’autre que lui n’était mieux placé pour cela. Mais sa condition mentale et physique l’en écartait. Frustré, il menaçait de plus en plus souvent de tuer son père et dormait entouré d’armes. Philippe le traitait de fou. La dernière fois qu’il le fit, son fils hurla « Je ne suis pas fou ! Seulement désespéré ! » puis je le vis se rouler par terre, en pleurs. Suite à cet épisode pathétique, il fut dépossédé de ses armes et enfermé dans ses appartements. Sa santé déclina, et il fut emporté en quelques mois, à seulement vingt-trois ans.

 Suite à ce drame, Philippe afficha un air dévasté. En public du moins. « Ce que j’endure, le deuil de mon fils adoré, je ne le souhaite à personne, même pas à mon pire ennemi » répétait-il à l’envie. Mais lorsque les pleureuses quittaient les lieux, je le voyais enlever son masque et afficher un air soulagé. Satisfait même.

 Pour expliquer la mort de son fils, Philippe tenait un discours bien agencé « Vous savez, il restait souvent trois ou quatre jours sans manger, puis se jetait sur la nourriture le jour suivant. Il dormait par terre et réclamait de l’eau glacée. Je crois qu’il s’est laissé mourir. Il ne supportait plus son état maladif. » La vérité est tout autre. Philippe était ulcéré à l’idée de confier l’Espagne à ce fou. Il avait donc été décidé d’agrémenter les plats apportés au prince d’un poison au long cours. Se doutant de ce qui se tramait, le fils refusait de manger. Mais après plusieurs jours de diète, la faim l’emportait.

 Quel père indigne que ce Philippe pensez-vous. Mais même si c’est difficile à imaginer aujourd’hui, à cette époque, l’Espagne dominait l’Europe. C’était une nation glorieuse. Et il était inenvisageable que son avenir soit confié à un abruti sanguinaire.

 Mais je ne nierai pas que Philippe possédait quelques tares. En plus de sa capacité à assassiner son propre fils, il avait une certaine addiction pour les femmes. Mais bien que polygame, il se présenta par quatre fois devant l’autel, pour jurer amour, fidélité et soutien éternel aux femmes qui avaient le malheur de l’accompagner jusque-là. Sa propre nièce en fit d’ailleurs les frais. Au fond, et sans vouloir me vanter, je crois qu’il n’y a que moi qu’il ait aimé jusqu’à la fin de ses jours.

 Le pauvre homme passa sa vie en noir. C’était une époque où l’on célébrait plus souvent les enterrements que les naissances. Le tragique s’invita même à son troisième mariage. Au cours d’une joute organisé à cette occasion, le roi de France reçu accidentellement un éclat de lance dans l’œil. Bien que les médecins royaux furent autorisés à reproduire la blessure sur des condamnés à mort pour mieux la soigner, le malheureux mourut dix jours plus tard. Même les rois sont mortels.

 Après que le mien se fût éteint, je profitai encore un peu du soleil espagnol puis l’on me plaça chez l’ancien ennemi et nouvel allié du pays de Cervantes. Mais il allait bientôt perdre la tête.

 C’était un vrai tyran. Et quel avare ! Seul l’argent comptait à ses yeux. Il lui en fallait toujours plus. Et il n’était nullement question de le partager. Il avait été un enfant fragile, rachitique et maladif mais ça ne l’avait pas sensibilisé aux souffrances des plus faibles. Lorsqu’il était petit, ses chevilles étaient aussi fines que des épées. Il était obligé de les fourrer dans des bottes en cuir et laiton pour tenir debout. Il admirait son grand frère et essayait sans cesse de l’imiter. Mais ce-dernier fut emporté par une fièvre typhoïde, ce qui eut pour conséquence de replacer le petit souffreteux au premier plan. Il trouva d’ailleurs cela tout à fait normal. Il avait une haute opinion de lui-même et affirmait ne devoir rendre de compte qu’à Dieu. Ne le blâmons pas, il est aisé de n’accepter que la sentence d’un juge muet et sourd.

 Cet homme prétentieux, mon nouveau logeur, était sans doute le plus passionné des collectionneurs d'art. Il était amoureux des belles choses. D’ailleurs, je trouvais qu’en tant que bègue qui subissait son corps depuis toujours, il accordait une importance quelque peu excessive à son apparence. Il gardait toujours un chapeau vissé sur sa tête et déambulait fièrement, une canne au délicat pommeau d’argent à la main. Ses sept enfants n’étaient pas des esthètes en revanche. Tous posaient continuellement leurs sales doigts sur moi. Mais je ne leur en voulais pas. Une femme aussi dénudée, ça ne peut qu’attiser la curiosité enfantine.

 Je n’ai passé qu’une trentaine d’années avec le bègue. Il n’avait pas toujours été impopulaire mais il eut le tord de se retrouver en guerre. La guerre coûte cher. Et le peuple n’aime pas qu’on vide sa tirelire, surtout pour transformer ses propres enfants en chair à canons. Le coquet britannique finit donc sur l’échafaud, hué par la foule et me laissant à nouveau livrée à moi-même.

 Heureusement un cardinal me prit rapidement sous son aile puis à la fin du XVIIe siècle, je découvris les terres françaises. À mon arrivée je commençais déjà à être en piteux état. Mon premier siècle avait fait son œuvre. Mon troisième hôte était très différent des autres. Il était grand, fort, taillé pour vivre longtemps. Ça ne l’empêcha pas de connaître quelques petits tracas ceci-dit. Il avait vaincu le typhus et la rougeole et subissait régulièrement fistules, malaises et vertiges. Il aurait peut-être vécu encore plus longtemps s’il avait souffert moins de purges. Mais il fallait bien que les médecins royaux justifient leur emploi. Toutes ces vidanges l’avaient affaiblit. C’était une chose que nous avions en commun. À trop vouloir m’assurer l’éternité, on m’avait fanée plus vite que prévu. Durant mon long périple, j’ai subi des cures de jouvences dont je me serais bien passé. À chacune de mes escales, on a voulu prendre soin de moi et me rendre ma beauté. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions n’est-ce pas ? J’ai souffert le martyre. Des mixtures d’eau, d’essence, d’urine, de lait chaud, d’alcool et de sable m’ont fait perdre mon éclat et ma souplesse. On m’a rafistolée maintes et maintes fois, et avec plus ou moins de talent. À force de chirurgie intensive, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Toutes ces opérations m’ont terriblement défigurée.

 Mais revenons au dernier homme qui m’ait ouvert son palais. Sa venue au monde fut perçue comme un miracle après une union longtemps stérile. Ce qui lui valut le second prénom « Dieudonné ». Qui plus est, sa naissance fit presque office de traité de paix entre ses deux parents. Mais l’enfant eut à peine le temps de profiter des bras de ses nourrices et de savourer les regards aimants de sa mère. Lorsque son père fut mourant et qu’on lui demanda s’il était prêt à régner, sa réponse fut sans appel : « Je préférerais me jeter dans les fosses du château ». Du haut de son jeune âge, il savait pertinemment qu’être roi signifiait perdre en même temps son père et son insouciance. Il perdit les deux dès ses cinq ans.

 Je tiens à dire que, contrairement à la réputation qu’on lui fit plus tard, il était incroyablement poli et d’une très grande humilité en public. C’était surtout un bon-vivant. Il avait un sacré coup de fourchette et il raffolait tant des sucreries qu’il leur sacrifia sa dentition. Mais sa gourmandise ne s’arrêtait pas aux victuailles. Il dévorait la culture et s’enivrait d’art. Il vivait en musique et je me délectais des mélodies qui résonnaient dans tout le château. Lui-même jouait de la guitare depuis l’âge de douze ans. Et à cette époque-là, un tel instrument entre ses mains, c’était presque un sacrilège. Son jeu énergique reflétait sa vitalité sans bornes. Celle-ci s’exprimait aussi en mouvements. De musicien à danseur il n’y a qu’un pas. Ce boute-en-train ne se sentait jamais aussi bien qu’au cœur d’un grand ballet. Il y était prodigieux.

 Son amour de la vie ne s’illustrait pas que dans les arts. Il recherchait en permanence les plaisirs de la chair. Je sentais parfois son regard lubrique posé sur moi. Je ne suis pas pudique mais je n’avais pas prévu tous ces yeux me dévisageant et auscultant les moindres détails de mon anatomie pendant des siècles ! Mais de tous les regards que j’ai croisés en cinq siècles, le sien était sans nul doute le plus troublant. Le bienheureux menait une vie sulfureuse. Elle fut constellée d’au moins quinze maîtresse et vingt-trois enfants, légitimes ou pas. Mais, qui sait, ce coureur de jupons était peut-être un romantique contrarié ? Il avait renoncé à son grand amour pour la France après tout. Je l’entendais souvent dire qu’être roi était à la fois un métier et un sacrifice.

 De mon côté, je passais mon temps à le couver du regard. Il faut dire qu’il avait vraiment fière allure, malgré sa calvitie. Pour camoufler la perte de ses cheveux dès ses dix-neuf ans, il avait dressé une collection de perruques. L’une était pour la chasse, l’autre pour la messe, une troisième pour le bal. Chaque occasion avait sa perruque. Elles étaient signe d’opulence mais toutes étaient des tanières à vermine.

 Sur ses perruques, mon adonis garda sa couronne soixante-douze ans. Une incroyable longévité pour l’époque. Son règne connu bien des métamorphoses. Il se para de gloire dans un premier temps. Tout réussissait à cet homme charismatique. Il faisait rayonner la France et Molière amusait sa cour. Mais comme tant d’autres, il traversa une crise de la quarantaine. Et comme pour tant d’autres, ce fut le début des ennuis. Une fois veuf, il épousa en secret l’une de ses maîtresses. Mais, lui qui en avait à foison avait choisit la plus pieuse et la plus austère. Elle le mit face à ses pêchés, le brida, éteignit sa flamme. Et ce château qui avait hébergé tant de bals, de fêtes, tant de vie, se figea pour toujours. La cour devint rigide, attisant peu à peu la sourde colère du peuple. Dans ce contexte morose, le roi vieillissant traversa difficilement l’hiver de sa vie et vit ses héritiers partir avant lui. Versailles finit par ressembler à une maison de retraite luxueuse. Et le déclin du plus grand des rois se refléta alors dans trois-cent-cinquante-sept miroirs. Lorsqu’il a disparu de mon univers, mon cœur s’est gelé. À tel point que je crois avoir hiberné pendant presque trois-cent ans. Une petite ellipse à l’échelle de mon éternité finalement.

 Mon dernier souvenir marquant est lié à une récente voisine, Lisa. Elle attirait toutes les attentions. C’était une femme plutôt mystérieuse et très peu causante. Comme il lui fallait plus d’espace et que je suis assez imposante, on m’a enfermée. Entre quatre planches. Un enterrement avant l’heure il y a de cela quinze ans. Mais en vrai Italienne, je ne me suis pas laissée abattre.

 Je continuais de fasciner, alors on m’a libérée de ma prison capitonnée pour m’ausculter. Et on a entreprit de me remettre sur pieds. Je suis muette alors pour me comprendre, mes bienfaitrices ont du remonter le temps et découvrir d’où je venais, ce qu’il m’était arrivé et le sort que des mains inexpertes m’avaient infligé. Elles se sont montrées d’une infinie patience. Et quelle douceur ! Après cinq ans sous les mains de ces trois femmes, j’ai retrouvé ma beauté, ma fraîcheur et mon teint de pêche. J’ai partagé la vie de cinq grands hommes mais seules des femmes ont su me traiter comme je le méritais.

 Je suis née pendant la Renaissance et depuis, je n’ai cessé de renaître. On m’a admirée, jalousée. On a copié mon style et parfois mon apparence toute entière. Mais je suis unique. Je porte les stigmates de mon vécu. Je ne suis plus tout à fait celle que j’étais à ma naissance mais pas tout à fait une autre non plus. À quoi ressemblais-je la première fois où l’on a posé une main sur moi ? Je ne m’en souviens plus. J’ai traversé cinq siècles, ma mémoire me fait parfois défaut. Ce que je sais en revanche, c’est que j’ai beau avoir vu du pays, avoir côtoyé de grands noms et avoir eu une vue imprenable sur les coulisses de l’Histoire, ma vie est irrémédiablement figée. Je suis La Vénus du Pardo et je vis ma dernière seconde d’innocence pour l’éternité.

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