Chapitre I : Point Zéro

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— Mettez les dégâts sur ma note !

BAM.

La porte qui sépare la salle des cuisines s'échoue au sol sous le poids d'un corps. Un jeune homme brun, assiette pleine de mets en main, saute de la table à manger où il était assis pour venir s'y appuyer. Il dépose l'assiette sur la table, y prend une rondelle de carotte et s'avance vers l'homme écroulé sur la porte, face à lui.

— Tss, je t'avais dit qu'il était inutile de fuir... Mais tu en as fait qu'à ta tête ! se moque le jeune homme, en glissant la rondelle de carotte entre ses dents.

Les convives du restaurant qui avaient senti la tension à cette table plus tôt, se sont regroupées aux coins de la pièce. Aucun d'entre eux n'oserait s'opposer à cette altercation.

Le jeune homme porte une chemise et un pantalon, tous deux noirs. Ses cheveux mi-longs sont coiffés en un rapide chignon qui laisse des mèches s'échapper. Il a ce sourire moqueur de rivé sur son visage depuis un moment.

Sa stature avoisine celle d'une personne de la vingtaine, pourtant il est bien plus chétif que les autres garçons de son âge.

— Toi ! commence l'homme au sol, qui pousse sur ses jambes pour venir faire face à l'autre. Comment oses-tu t'en prendre à moi ? Tu ne sais pas qui je suis ?!

Le jeune garçon pouffe doucement avant de lui répondre :

— Freyde Filtz, fils de l'ex-ministre de l'armée. Accusé de vol, viol et tentative de meurtre par cette personne ici présente.

D'un geste de la main, le jeune homme désigne une femme blonde, assise à table, la tête baissée. Ses mains tremblent légèrement.

— Ah ! C'est cette conne, là ! De quel droit vous en prenez-vous à moi ? Cette pouffe n'aurait jamais pu se payer un ange vengeur !

— Attention à la manière dont vous parlez d'elle, elle est ma cliente. Et,...

Le jeune homme se tait un moment, il glisse sa main à sa taille et vient détacher un objet de sa ceinture. Celui-ci en main, il le présente à l'accusé et reprend :

— Je suis Masha, des Bureaux Judiciaires, monsieur Filtz, vous êtes en état d'arrestation. Votre procès aura lieu dans six jours. En attendant vous serez détenu à Bazra.

Badge témoignant de son appartenance aux Bureaux Judiciaires de la ville de Julyia maintenant en main, s'il y avait eu des opportuns prêts à s'interposer à l'altercation, ce n'était plus le cas désormais. Tous ont connaissance de la réputation des agents des Bureaux Judiciaires.

Freyde se jette alors sur la table la plus proche — celle couverte d'ustensiles de cuisine tous plus aiguisés les uns que les autres — et attrape un couteau. La lame est d'environ vingt centimètres.

L'accusé le fait tourner dans sa main avant de le lancer rapidement en direction de la blonde, toujours courbée et assise à table. Masha l'a vu, et donne un fort coup de pied dans la porte au sol pour la relever. Le couteau lancé par Freyde vient se loger dans la porte, maintenant dressée tel un bouclier pour protéger les convives de la salle.

— Filtz, je ne plaisante pas, commence Masha alors que la porte s'écroule de nouveau du côté dudit Filtz dans un bruit sourd.

Freyde grimace et lance ses bras devant lui pour exécuter un mouvement d'art martial. Ceci fait, il relève à son tour la porte à l'aide son pied et la projette en ligne droite dans la direction de Masha.

L'agent se penche en arrière, en angle droit, et la porte vient passer au-dessus de lui — le manche du couteau qui y est planté le frôle — pour traverser la fenêtre ouverte, au bout de la pièce.

— Putain ! jure Filtz en voyant que son coup n'a pas eu l'effet escompté.

— Bon, double F, tu commences à m'énerver, là. Je te laisse cinq minutes pour te rendre de ton plein gré. Passé ce laps de temps, c'est moi qui viendrai t'arrêter et croies moi, ça sera tout de suite moins drôle.

Une femme assez âgée qui se tenait au coin d'un des murs s'avance et dit :

— Pourquoi lui laissez-vous du temps ? Arrêtez-le ! Ce qu'il a fait est impardonnable !

Masha se tourne vers elle et lui sourit narquoisement :

— Ma petite dame, je viens de passer deux nuits complètes à interroger les frères Gatla. Je ne me suis rien mis sous la dent depuis hier. Là, de suite, j'ai la dalle. Ne vous inquiétez pas, ajoute l'agent en désignant Filtz, il n'ira pas bien loin.

Aussitôt des murmures se font entendre, les frères Gatla avaient causé bien des ennuis avant que les Bureaux Judiciaires ne les arrêtent enfin. Ou plutôt avant qu'un de leur agent indiscipliné ne provoque une scène au marché pour arrêter les frères. Ce jeune en question est Masha.

Ces deux derniers mois, les frères Gatla s'étaient pris d'amour pour les kidnappings et demandes de rançons. Mais la semaine passée, l'un d'eux avait égorgé en public le Marquis de la ville voisine avant de prendre la fuite. Nul n'en connaissait la raison. Masha avait ouï dire qu'il était question d'une femme, femme dont s'était épris l'un des frère et qui avait fini dans le lit du Marquis.

Ce Marquis, Caer Valdann avait été nommé par l'ancien Empereur, Tarsionne Liao, il y a quarante ans. Il avait pris ses fonctions durant cet ancien règne, et avait conservé ses droits et habitudes malgré le changement de pouvoir. Alors forcément sa récente mort — aussi horrible soit-elle selon certain — avait fait beaucoup de bruit.

La femme qui s'était avancée plus tôt se faisait maintenant toute petite, elle n'osera plus confronter directement un envoyé des Bureaux Judiciaires. Cette légère altercation lui avait suffit.

Masha, ayant jugé que la seule sortie est la porte principale qui mène aux escaliers — étant donné que celle-ci se trouve derrière lui — est retourné s'asseoir pour attendre que Freyde se décide à se rendre.

Le repas encore chaud sur la table faisait saliver l'agent. Il s'assoie à table et prend ses couverts en main.

Pourtant, Freyde Filtz se détourne de Masha pour se mettre à courir en direction de la fenêtre, à l'autre bout du grand bâtiment. Se sachant au deuxième étage, l'envoyé des Bureaux Judiciaires soupire en le voyant :

— Il n'osera pas.

Aussitôt, il se détourne pour continuer son repas. Il prend une première bouchée qu'il mâche, puis avale. Alors qu'il allait prendre sa deuxième bouchée, des exclamations étouffées se font entendre.

— Il a sauté !

— Ce fou !

— Quelqu'un ! Faites quelque chose !

Masha claque sa fourchette sur la table, le visage fermé avant de murmurer un :

— Fais chier.

Et de se redresser pour aller — lui aussi en courant — à la fenêtre. Sans même prendre de pause, l'agent s'élance par-dessus le rebord, en y prenant appuie, pour se voir bientôt chuter des deux étages.

Alors qu'il est encore dans son saut, et attend de retomber, Masha repère Freyde Filtz, déjà en bas qui s'enfuit en ligne droite vers les bois.

Il est solide ce bougre, aucune blessure après une telle chute, c'est assez impressionnant.

D'un geste ample, l'agent attrape son fourreau et vient donner un coup sec sur le mur dans son dos pour se propulser en avant.

L'élan qu'il a pris vient le placer plus loin devant Freyde, toujours dans les airs.

Masha se tend, raide comme un piquet, avant de se laisser tomber en ligne droite, les mains sur son arme prêt à la dégainer.

Lorsque ses pieds touchent le sol, le déposant juste devant Freyde, Masha sort son épée et vient en loger la pointe sur la gorge du fuyard.

L'agent des Bureaux Judiciaires esquisse un léger sourire.

— C'est fini, mon grand.

— Oh, vous croyez ? rit Freyde.

A peine finit-il sa phrase qu'il sort une épée courte de son dos. L'un des meilleurs endroits pour cacher des armes. Il vient repousser la lame de Masha avant d'essayer de lui porter un coup.

Sa rapidité surprend l'agent qui a tout juste le temps de tourner sur lui-même pour éviter une blessure mortelle. L'épée courte de Freyde Filtz vient couper le lacet de cuir qui maintenait les cheveux de Masha attachés.

— T'es gonflant, lâche l'agent.

Masha se remet droit sur ses pieds alors que ses cheveux retombent, épars, sur ses épaule. Ses cheveux maintenant libres viennent entourer son visage et lui donne un air plus féminin. Masha plante son épée dans le sol et prend appuie sur un seul de ses pieds pour se préparer à sauter.

Freyde n'y fait pas attention et se prépare à donner un second coup d'épée. Masha se tend et se sert de son pied droit — son pied d'appui — pour se surélever à hauteur de l'arme de son adversaire, elle vient ensuite prendre appuie sur cette même arme pour se propulser dans son dos en un temps moindre.

Une fois sur ses deux pieds, l'agent attrape violemment l'épaule gauche de Freyde d'une main, et son arrière bras de l'autre, pour exécuter une clés de bras avec ceux-ci. Avec la rapidité du mouvement, Freyde tombe à genoux et laisse tomber son épée au sol, non sans un gémissement de douleur du à la torsion effectuée par son bras gauche.

Masha frappe son épée courte d'un coup de pied pour la jeter plus loin, un sourire conquérant aux lèvres.

— Cette fois, c'est fini.

L'agent saisit la corde qui pendait à sa ceinture et l'enroule autour des poignets de Freyde, les croisant dans son dos, et le pousse d'une main pour le faire marcher. D'un pas trainant, l'accusé se résigne et avance. Son visage est fermé, mais l'amertume de la défaite et de l'échec erre dans ses yeux marrons.

Masha se penche pour attraper l'arme de Filtz par terre et sortir la sienne de la terre — qu'il rengaine —, avant de passer devant son prisonnier et d'attraper son bras gauche fermement pour le tirer à sa suite. Freyde Filtz serre les dents, son bras gauche est encore douloureux. Nul doute que cette clé de bras lui causera de beaux bleus.

Les longues mèches de cheveux de Masha fouettent son visage et il en soupire, se rappelant du coût du lacet de cuir qu'il portait plus tôt. Lacet réduit en charpie par Double F.

Ses cheveux bruns, encadrant maintenant son visage, lui rendent son apparence d'origine. Soit celle de Masha Mado, l'une des seules membres féminins des Bureaux Judiciaires de Julyia.

La brune accélère le pas et tire Freyde un peu plus fort, pour qu'il la suive.

— Hé, mais attends ! s'arrête brusquement Freyde Filtz.

Masha soupire bruyamment avant de se tourner pour faire face à Freyde.

— Qu'est-ce qu'il y a encore, double F ? il demande agacé.

Les yeux de Freyde parcourt le visage de Masha, avant de descendre sur son corps, puis de revenir sur son visage.

Sa bouche forme un un cercle, il est au comble de l'étonnement.

— Tu es une femme ! Depuis quand les femmes travaillent-elles pour les Bureaux Judiciaires ?

— Tss, c'est les cheveux, hein ? C'est pour éviter ça que je les attache. Mais t'en fais pas, je suis autant capable que tout mes collègues.

— Mais-..., commence Freyde avant de se faire interrompre.

— La ferme, j'ai pas envie de parler avec toi, le coupe Masha.

— N'empêche, une femme qui m'arrête ! C'est une histoire à dormir debout !

Masha s'est jetée sur Freyde pour enfoncer un morceau de tissus dans sa bouche, pour le réduire au silence. L'homme baragouine des phrases que nul ne peut comprendre. Effaré par les méthodes qu'utilise Masha, il finit par se taire.

— C'est bien mieux comme ça ! Et si ça ne te plaît pas, c'est pareil, sourit la jeune femme.

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