31e jour de Yosha

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Valturas est mort cette nuit.

Ces derniers jours ont été une lente décrépitude pour lui. Il a cessé de parler, il respirait juste, comme endormi en permanence. Il ressemblait à un cadavre. Lorsque je suis passé à son chariot peu avant le zénith de Sha, j’ai d’abord vu le corps de Birsha, la garde-malade, éventrée, comme dévorée par une bête. J’ai sifflé l’alerte.

Le camp s’est réveillé, les torches se sont allumées. Le corps de Valturas avait disparu. J’étais certain que c’était l’œuvre de Lofta, et ce que je commençais à soupçonner se confirmait.

Jamais encore personne n’avait assisté à une transformation aussi lente, aussi progressive. Concernant l’extein qui avait été changé dans le camp des mines, cela c’était fait en une nuit. JE suis sûr maintenant que c’était Lofta, là encore. L’idée que Valturas ait put être transformé en cette chose me remplit de dégoût. Comment peut-on changer un être humain en la chose la moins humaine qui soit ?

Le second sifflement d’alerte est parvenu du côté des tentes des officiers. J’ai accouru sur les lieux avec trois autres soldats pour voir plusieurs gardes étripés, gisant par terre ; un extein seul n’aurait pas pu faire ça. Mais quelque chose de plus préoccupant me nouait l’estomac : les chariots des blessés et des malades avait été placé à l’arrière des réfugiés, avant le quartier général temporaire, où se trouvaient les hécar et le capitaine. Je me demandai soudain s’il se pouvait que Lofta ait prévu particulièrement ce cas de figure.

Plusieurs soldats ont convergé vers notre position, et lorsque nous sommes arrivés devant la tente du capitaine, notre courage a vacillé : ils étaient une dizaine. Des corps chancelant, les bras balant, les pas traînant. Deux se sont retournés à notre arrivée. Sous la lueur de nos torches, on pouvait voir leur visage ; ceux-là semblaient récents, leurs traits n’étaient pas décomposés, juste leurs yeux hagards et leurs bouches ouvertes et baveuse.

Je parcourus rapidement les alentour du regard, pour m’assurer qu’il n’y en avait pas plus qui allaient surgir, et nous sortîmes nos épées.

Je n’avais encore jamais affronté d’extein, et je comprenais ce que signifiait le terme ; éteint, privés de sempi, ces êtres n’étaient pas vivants, ni morts. Les blessures semblaient ne rien leur faire, et l’un d’entre nous, Jormal de Garric, fut submergé. Avant qu’on puisse le dégager de l’extein qui lui avait sauté à la gorge, un vaste morceau de chair pendait à son cou, d’où jaillissait un puissant flot de sang poisseux.

Nelis de Florric eut la mauvaise idée de contrer un des extein avec sa torche, et c’est de là que partit l’incendie. L’extein fut repoussé sur la toile de la tente du capitaine, et celle-ci commença à être prise par les flammes.

D’autres soldats arrivèrent et encerclèrent les monstres. Bien sûr, la tente était vide depuis un moment déjà ; le capitaine l’avait probablement quittée en la découpant par l’arrière, dès qu’il les avait entendu approcher. C’était probablement lui qui avait donné la seconde alerte.

C’est alors que nous pensions la menace jugulée que la seconde vague arriva. Dix extein de plus, qui surprirent plusieurs soldats à ma droite, en en plaquant deux au sol avant de leur arracher la peau du dos avec leurs dents. Comment un humain pouvait-il à ce point être transformé ? pensai-je brièvement avant que mon regard ne fut attiré par une lueur, plus loin dans l’obscurité.

Je n’ai pas réfléchi, j’ai foncé. Je savais que c’était elle, Lofta. Elle, derrière tout ça. Elle, l’Obscuri, l’ennemie de Panium. J’aurais dû réfléchir.

Les mains puissantes m’attrapèrent et me jetèrent à terre. Ma torche tomba et éclaira le visage si familier de mon ami, me surplombant. Il était maigre, le regard comme ces monstres, la bouche baveuse, les orbites profondes. J’ai dit son nom ; il n’a pas réagi. Il ne restait plus rien de lui, dans cette enveloppe de chair morte.

Je tâtonnai le sol pour attraper mon épée tombée, tout en repoussant le cadavre qui m’assaillait. Comment pouvait-il avoir autant de force ? Ce n’était, jusqu’au dernier jour, qu’un sac d’os inerte. Comment pouvait-il l’emporter sur ma résistance ? Je ne sais pas. Peut-être y avait-il quelque chose à comprendre, dans la durée de la transformation. Peut-être que les extein gagnait en force avec la déchéance du corps.

Je fus secouru par deux soldats que je ne reconnus par, qui arrivèrent dans le noir depuis le centre du camp, ou les lueurs du brasier vacillaient. Valturas fut repoussé et tomba sur le côté. Je me relevai, attrapai mon épée et, sans réfléchir, me tournai vers mon ancien ami ayant basculé sur le sol terreux. La grimace d’horreur de ses traits violacés me retourna l’estomac, et j’enfonçai la pointe de mon arme dans sa gorge sans plus attendre. Je sentis la résistance de sa colonne vertébrale, et une fois qu’elle fut sectionnée, le corps cessa de bouger. Sans attendre, je fouillai des yeux l’endroit, espérant repérer la torche de la sorcière.

Je courus à sa poursuite lorsque je crus l’apercevoir, ignorant les appels de mes camarades. Je n’avais même pas pris ma toche, j’avais juste mon épée, tâchée du sang de Valturas. Cette sorcière allait le payer, d’une façon ou d’une autre.

Je la rattrapai à la limite est du camp, contre une falaise qui ne lui laissait aucune échappatoire. a torche éclairait ses traits affolés, presque naïfs. Je m’approchai d’elle et vis dans sa main une épée étrange par ses proportions et sa forme. Cette nuit-là, je fus bien inspiré d’éviter chaque coup, Sha soit louée. Lorsque j’eus tranché la tête de Lofta, je rapportai l’arme aux tentes des officiers, où la tente du capitaine avait été isolée et l’incendie contenu. J’expliquai alors mes observations face au regard sérieux et concentré sur capitaine Marshe.

« Un poignard de garde-mort », a-t-il dit.

Il expliqua que ce devait être avec ça que cette Obscuri avait changé nos hommes en extein. Ce poignard ne transperçait pas la chair ; les forges des garde-morts créaient aussi des armes qui atteignaient directement le sempi d’une personne. Le capitaine Marshe me remercia, et je passai le reste de la nuit à ma ronde. Cette pensée, des armes qui volaient les sempi, laissant des corps vides, errant ; des coquilles sans sempi… cette pensée ne me quitte pas, encore maintenant.

Ma nuit a été abominable. Je ne sais pas si j’ai dormi, je me suis réveillé tant de fois... Combien de fois, dans son sommeil, Valturas avait été transpercé par ce poignard, combien de nuit d’affilée Lofta avait reproduit cette insulte à la vie ?

Une pensée me vient à l’instant, un questionnement. Si réellement elle fait partie des Obscuri, que fait-elle ici ? A-t-elle agit seule ? Ou bien a-t-elle été envoyée ?

Nous attendons toujours devant les cavernes. Le capitaine Marshe s’est entretenu avec les êtres sous la terre, mais je ne sais pas ce qu’il s’est dit. Après ce qui s’est passé cette nuit, je ressens l’urgence plus que jamais. Lofta n’aurait jamais ciblé le capitaine de sa propre initiative. Elle avait plutôt l’air perdue, affolée, désemparée. Cette attaque a dû cacher autre chose.

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