Chapitre 7 - Partie 2

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L’indice est succinct et le New Jersey s’étend sur plus de 22 000 km². Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. La première idée de Davia est de taper le nom de George Templeton dans le moteur de recherche d’Internet réduisant ainsi le champ des possibles à une dizaine de villes. Elles n’ont pas le temps d’aller dans chaque ville pour demander à chacun des George Templeton s’il connaît la Prophétie. Elles préfèrent opter pour les villes dans lesquelles la magie est présente, Davia limite le nombre à trois villes. Princeton. Rosemont et Pemberton.

— Nous devons nous rendre dans ces trois villes, annonce Anedora, déterminée.

Mais Davia n’a pas l’intention de perdre son temps à frapper aux portes des George Templeton, non seulement parce que ce serait trop long, mais aussi car plus elles restent loin de Julia, plus le danger est grand. La priorité est de protéger la Clé. Elle demande donc à Anedora de lui accorder quelques minutes. Elle sort un petit pendule qu’elle a toujours sur elle, dans un petit pochon accroché à sa ceinture. Elle s’assoit sur son lit, ferme les yeux, prend le pendule dans sa main droite et tend la gauche en dessous. Anedora l’observe en silence. Il frémit. Il bouge légèrement puis commence ensuite à tourner. Il ralentit un peu puis se met à se balancer latéralement cette fois. Il ralentit pour la troisième fois et s’arrête d’un coup. Davia ouvre les yeux.

Pemberton, annonce-t-elle, on ne peut plus fière.

Anedora lui sourit chaleureusement.

— Alors, allons-y !

Elles décident d’employer « Air-Anedora » comme l’a surnommé Davia. Elles y seront plus rapidement et pourront régler cette histoire au plus tôt et de toute façon, le vieux Cherokee n’est pour l’instant, plus en état de marche.

Elles atterrissent dans une petite ruelle sombre, loin des regards indiscrets. Davia a imprimé un plan de Pemberton avant de partir et cherche maintenant l’immeuble où vit ce George Templeton. Il ne leur faut que quelques minutes pour rejoindre le bâtiment.

— Parfois, les sorciers ont vraiment de drôles d’idées.

— Pourquoi ? interroge Anedora.

— Parce qu’ils habitent généralement dans des coins reculés, des maisons individuelles, des forêts, bref pas au cœur d’un centre-ville bondé où on risque de les surprendre !

Anedora sourit.

— C’est parce que je ne suis pas un sorcier.

Les deux jeunes filles sursautent et se retournent vivement. Face à elles se tient un homme banal. Pas très grand, les cheveux mi-longs cendrés, un nez aquilin posé au milieu d’un visage bouffi. Son air bravache le rend très antipathique et l’absence de sourire ne fait qu’accentuer cet aspect de sa personnalité.

— George Templeton ?

L’homme s’avance vers l’immeuble qui se trouve juste en face d’elles, les dépasse sans un mot et entreprend de chercher ses clés dans sa poche.

— Excusez-moi, mais… vous êtes George Templeton ? insiste Davia.

Un cliquetis se fait entendre et la porte s’ouvre dans un grincement sinistre. Une odeur nauséabonde se dégage de la cage d’escalier, un mélange de moisissure et d’urine de chat.

— Suivez-moi, se contente de dire l’homme qu’elle supposait être George Templeton.

Elle jette un regard à Anedora. S’il n’est pas sorcier comme il l’a dit, il ne peut donc pas la voir.

— Votre « amie » aussi peut venir, lance-t-il déjà à mi-chemin dans les escaliers.

— Bon, je crois que nous n’avons pas le choix, dit Davia à contrecœur.

— Restons sur nos gardes, propose Anedora en suivant la sorcière.

L’odeur est encore plus insupportable à l’intérieur, elles montent les marches deux à deux pour rattraper l’homme espérant que son appartement soit moins dégoûtant. Après une interminable ascension, ils arrivent au tout dernier étage face à une unique porte marron en bois de chêne. L’homme ne sort pas de clés cette fois et pousse la porte sans même la déverrouiller. Davia a un mouvement de recul devant l’étrangeté de cet homme, mais son appréhension s’évanouit complètement lorsqu’elle aperçoit l’intérieur de l’appartement. Ce n’est pas un logement, c’est une forêt. Elles pénètrent dans cette jungle luxuriante, respirant l’air pur et vivifiant des arbres. Elles sentent même une légère brise fraîche sur leur visage. Un petit chemin de pierre se dessine au milieu des arbres au bout duquel se trouve une modeste chaumière digne d’un conte pour enfants. Elles suivent l’homme qui pousse la porte de cette dernière. Accueillies cette fois par l’odeur du bois et de la soupe de potiron, elles entrent sans rechigner. L’homme ne dit mot. D’un geste mal assuré, il invite Davia à s’asseoir à table en face de lui. Celle-ci s’exécute, la présence d’Anedora juste derrière elle la tranquillise.

— Toi ! dit l’homme en tendant le bras derrière Davia. Viens par ici, là dans le cercle près de la fenêtre.

Il pointe ensuite un cercle de craie blanche tracé au sol. Anedora comprenant qu’il s’adresse à elle, se place au centre du cercle, mais rien ne se passe. Davia ne voit aucun changement.

— J’aime bien voir à qui je m’adresse, lance l’homme à son attention, Anedora c’est ça ? reprend-il, et tu dois être Davia.

— Vous me voyez ? se contente de demander l’Ange qui n’avait pourtant pas envie de se montrer à cet inconnu.

— Évidemment. Tu es dans un cercle magique, il me permet de voir les êtres que l’œil humain ne peut voir normalement. C’est très utile, déclare-t-il avec un sourire qui se voulait chaleureux, mais qui faisait un tout autre effet vu le nombre de dents qui manquait à ce pauvre homme.

— Vous êtes donc bien George Templeton ? demande Davia.

— Quelle perspicacité ! raille-t-il.

Elle ne relève pas et continue.

— Où sommes-nous Monsieur ?

— Chez moi.

La discussion ne s’annonce pas facile.

— Pardon, mais je voudrais savoir quel est cet endroit ? Il regorge de magie.

— C’est parce que ce sont des sorcières qui l’ont créé.

— Vous connaissez des sorcières ?

— Plusieurs oui.

— La Grande Prêtresse avait donc raison, vous pourrez nous aider ?

— Tout dépend pourquoi jeunes filles.

Il se lève et se dirige vers le poêle à bois. Il touille dans l’immense casserole posée sur le dessus, attrape deux timbales en ferraille et les dépose sur la table. Il prend un pichet en gré dans le frigo et verse ce qui semble être de la citronnade dans les deux verres. Il en pousse un vers Davia et se rassoit.

— Je ne vous en propose pas, vous êtes morte, vous ne buvez pas.

— En effet, marmonne doucement Anedora, légèrement agacée par son attitude.

— Bon. Que me voulez-vous ? coupe-t-il soudain.

— Connaissez-vous la Prophétie ?

Il rit et secoue la tête.

— Question idiote. Que me voulez-vous ?

— Que doit-on faire ? lance Anedora de but en blanc.

— Sauver le monde, jeunes filles.

— Ça, nous le savons. Ce que nous ne savons pas, c’est comment ?

— Comment le saurais-je ?

— Bakène ne m’aurait pas envoyée ici sans raison…

— Peut-être. Mais je ne sais rien.

— Vous mentez, crie soudain l’Ange.

— Pardon ? demande l’homme, un air faussement offusqué sur le visage.

— Vous mentez. Je le sens. Vous savez quelque chose, j’en suis sûre.

Il la dévisage puis fait de même avec Davia.

— La Clé est en danger, ose Anedora qui tente une autre approche, ce qui n’est pas totalement inexact, Uriah les avait attaqués la nuit précédente.

Il paraît perplexe un instant, boit une gorgée.

— Elle doit survivre, quoi qu’il en coûte.

— Nous le savons et nous ferons tout pour qu’il ne lui arrive rien, mais…. Nous nous battons contre des moulins à vent, couine Davia.

Il fixe la sorcière avec insistance avant de se retourner vers Anedora.

— Vous formez une drôle d’équipe toutes les deux !

Il rit en se levant. Il ouvre le foyer du poêle d’où s’évacue une fumée âcre, remue le bois qui commence à manquer et referme la porte avec violence faisant sursauter Davia. Anedora ne le quitte pas des yeux, elle commence à douter de ce curieux personnage. Il reste immobile, leur tournant le dos. Les deux amies échangent un regard, Davia rejoint l’Ange. L’homme est toujours immobile. De longues secondes qui paraissent des heures puis ses épaules se mettent à tressauter.

— Anedora… murmure Davia en se pelotonnant contre elle.

Les épaules de l’homme vibrent de plus en plus, il toussote une fois puis deux puis trois. Pris d’une quinte de toux, il se plie en deux.

— Vous allez bien ?... demande Anedora sans toutefois bouger.

Pas de réponse. L’homme tombe à genoux. Cette fois, Davia se précipite vers lui pour voir ce qu’il lui arrive. Elle étouffe un cri en le voyant, l’Ange la rejoint aussitôt.

— Mais qu’est-ce que….

L’homme se relève, mais il est totalement différent. Il est beaucoup plus grand, beaucoup plus jeune avec un sourire rayonnant. Ses yeux verts étincèlent de satisfaction. Il passe sa main massive dans sa chevelure brune et sort de la pièce sans un mot.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demande Anedora à Davia. Tu y comprends quelque chose ? Je croyais que ce n’était pas un sorcier ?

— Je ne sais pas… je ne connais qu’une créature capable de se métamorphoser…

— Je suis un polymorphe, en effet.

Elles se retournent vers l’homme. Il a enlevé ses vieux vêtements troués et sales pour enfiler une chemise bleu nuit sur un pantalon de lin beige. Il est beaucoup moins antipathique.

Le polymorphe a la capacité de changer de forme physique à volonté. Ce sont des créatures plutôt solitaires. Éparpillées dans le monde, elles n’ont que peu de contact avec le monde extérieur, vivant généralement comme des humains, tout ce qu’il y a de plus banal. Certains sont du bon côté, comme Monsieur Templeton à priori, d’autres ont passé un pacte avec le Diable et doivent tuer pour survivre. Davia n’en a jamais rencontrés auparavant ou alors elle ne s’en est pas rendu compte.

— Pourriez-vous rejoindre le cercle jeune fille ? demande-t-il alors à Anedora sans la voir.

Elle s’exécute et réapparaît.

— Très bien.

Il lui sourit.

— Pourquoi nous avoir caché que vous étiez un polymorphe ?

— Et rater votre tête ? Non, jamais de la vie, c’était trop amusant. Et j’aime faire des entrées fracassantes.

Davia et Anedora ne relèvent pas. Elles perdent du temps et du temps, elles n’en ont pas.

— Bon, épargnez-nous, s’il vous plaît, votre cinéma et répondez à nos questions Monsieur Templeton, ordonne Anedora.

Il la fixe, méfiant. Son sourire éclatant a disparu. Il reporte son regard sur la sorcière qui est assise face à lui et se contente de la regarder patiemment. Il leur demande où se trouve la Clé, outre le fait qu’il aurait aimé la rencontrer, il est primordial qu’elle soit en lieu sûr.

— Pourquoi n’est-elle pas avec vous ? demande-t-il à l’attention de l’Ange.

— Nous avons préféré nous séparer, cela faisait beaucoup à encaisser en si peu de temps. Maintenant pouvez-vous nous dire ce que nous devons faire, je vous en prie, insiste l’Ange s’efforçant de ne pas perdre patience.

George Templeton se lance dans un véritable sermon sur la nécessité de protéger la Clé, il leur dit même que la cacher est la meilleure des solutions et que temps qu’elle reste en vie rien ne peut arriver. Davia veut en savoir plus sur la Prophétie.

— Comment doit-elle se réaliser ? demande-t-elle.

— Je ne le sais malheureusement pas, cela dépend de l’Élue.

— C’est-à-dire ?

— Tout repose sur elle. Tout repose sur vous mademoiselle. Si je ne me trompe pas, vous partagez votre âme avec la Clé ?

— Oui.

— Soyez attentive. Toujours. Aux signes, aux odeurs, aux bruits, à ce que vous ressentez. Votre âme est connectée et il faut qu’à chaque seconde vous soyez capable de savoir ce que fait la Clé, ce qu’elle ressent, si elle est en danger ou pas. Et vous vous fatiguerez moins si vous restez en permanence près d’elle.

Anedora lui explique alors ce qui s’est passé quelques heures plus tôt ainsi que l’attaque d’Uriah.

— C’était par précaution que nous nous sommes séparées, nous ne savions pas où nous mettions les pieds. Mais dès que vous nous aurez dit ce que nous voulons savoir, je retournerai auprès d’elle et je ne la quitterai plus.

— Sage décision. Vous m’avez l’air d’être une Élue réfléchie. C’est un bon point pour la suite.

— Et si vous nous parliez de la suite, demande Davia.

Il lui sourit.

— Je ne peux pas vous dire ce que vous devez faire, car je ne le sais pas.

Anedora manque d’exploser, mais il la stoppe avant même qu’elle ne commence à parler.

— Mais je peux vous expliquer comment j’ai empêché la Prophétie et sauvé le monde il y a 500 ans.

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