Montvil II

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Lorsque trois mois plus tard, Montvil reçut les chiffres, il tomba de sa chaise. Cette gamine, dont il ne se souvenait ni le nom ni le visage mais très bien l'arrogance, avait réalisé un exploit ! Les primos-auteurs qu'il lui avait refilés pour se débarrasser d'elle, composaient le trio de tête du trimestre avec soixante dix mille trois cent vingt-deux exemplaires vendus. Il ressentit un pincement au cœur. Comment avait-elle réussi, là où il échouait chaque année un peu plus ? Il demanda à sa secrétaire de convoquer cette satanée stagiaire en urgence.


Mégane fut contente d'entendre la voix de Carine sur sa messagerie. Elle l'attendait impatiemment, suivant avec plaisir l'évolution de ses résultats, identifiant avec précision l'origine de chaque pic d'achat. Cyril et Fred avaient bien travaillé, leurs blogs gagnaient en popularité. Les propositions de partenariat se bousculaient au portillon. Quant à Grégoire, l'adorable Grégoire, les invitations aux émissions télés pleuvaient. Joyeux et fier, il enchaînait les opérations de dédicaces dans les librairies et travaillait déjà sur un autre projet. Elle la rappela en fin de journée et la chargea de prévenir Montvil qu'elle passerait au Café de Fleur le lendemain dans l'après-midi.


Lorsque sa secrétaire en informa Charles, il eut du mal à contenir son énervement. Mais se radoucit et préféra se féliciter de l'argument que cette gamine venait de lui servir pour le rendez-vous, très important, auquel il devait se rendre justement le lendemain au même endroit. D'ailleurs, ce serait aussi bien qu'elle y assiste.


Fort de cette bonne nouvelle, il s'empara du téléphone et composa le numéro de la sœur de l'aveugle, comblé d'être en mesure de l'inviter à dîner. Cette star du petit écran peuplait ses fantasmes et remplissait tous les critères de ses projets matrimoniaux. Il dut se contenter d'une invitation à boire le thé, à condition de se présenter dans une demi-heure à son hôtel. Il attrapa son manteau et s'apprêtait à sortir lorsque Carine le héla pour l'informer que Monsieur Tradimard voulait le voir sans délai dans son bureau. Montvil bifurqua et emprunta l'ascenseur jusqu'à l'étage réservé à la direction.


Le père Tradimard l'accueillit d'une franche poignée de main. Après les politesses et les bonnes manières en usage au siècle dernier, Charles s'excusa d'être pressé prétextant un rendez-vous avec une illustre plume.


« Fort heureusement, nous hébergeons des écrivains à succès, sans eux nous ne serions rien, argua le patriarche. Je tenais à vous féliciter pour les ventes de ce trimestre. Je suis très curieux d'apprendre comment vous avez réussi ce nouveau tour de force. Il y avait trop longtemps qu'aucun de nos auteurs débutants n'avait dépassé les dix mille exemplaires. Et là, ce n'est pas un, mais trois, que vous propulsez sous les feux de la rampe. Auriez-vous trouvé le remède à la crise que traverse le monde de l'édition ?

— C'est bien possible, répondit-il en évitant d'entrer dans les détails.

— Vous êtes un héros, Montvil. Les Éditions Tradimard vous doivent déjà beaucoup, mais là, les mots me manquent pour vous dire mon admiration et ma reconnaissance. »


Charles bombait le torse, buvant les paroles du Roi, comme on le surnommait derrière son dos.


« Merci Monsieur Tradimard, c'est trop d'honneur. Je ne fais que mon travail, dit-il avec délectation.


— Votre humilité vous honore, je vous reconnais bien là. Mais, je vous en prie, cessez donc ces « Monsieur Tradimard » et appelez-moi Gaston. »

Il venait de décrocher le Graal ! C'était un code dans cette Maison familiale plusieurs fois centenaire : ceux autorisés à s'adresser au grand patron par son prénom devenaient associés. Entrer au capital de cette prestigieuse entreprise, c'était l'ambition ultime de Montvil. Il s'inclina alors comme un roturier devant un aristocrate.


« Je ne vous retiens pas plus longtemps mon ami. Filez à votre rendez-vous mais, passez samedi soir à la maison, ma femme organise une soirée. Vous nous confierez à cette occasion votre nouvelle botte secrète.

— Avec grand plaisir Monsieur Tradimard, répondit-il d'un air entendu.

— Gaston, Charles : Gaston !

— À demain Gaston » corrigea-t-il, savourant ce prénom si agréable à prononcer.


Il sortit du bureau en renouvelant sa révérence. Dans l'ascenseur, il répéta sa dernière phrase, face au miroir, à maintes reprises. Gagné par le sentiment d'avoir grandi d'une bonne dizaine de centimètres, il était aux anges ! Être convié à une soirée chez Madame Tradimard équivalait au summum de la reconnaissance sociale. Il consulta sa montre, ordonna à Carine de lui commander un taxi en urgence, et se mit à espérer qu'il arriverait samedi avec à son bras la plus belle des actrices pour éblouir la cour.


Il s'installa dans la voiture et promit au chauffeur une prime de cent euros s'il le déposait au Ritz dans moins de quinze minutes. Celui-ci le regarda avec un soupçon de dédain et lui répondit que c'était impossible mais qu'il ferait son maximum. Montvil, galvanisé, ne doutait pas une seconde, même en retard, d'obtenir tout ce qu'il désirait. La réussite est le secret de la réussite, pensa-t-il.

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