Mégane

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Mégane salua d'un sourire l'écrivain et emboîta le pas de son potentiel futur mentor. Ils marchèrent en silence jusqu'à Tradimard. Dès qu'ils franchirent le seuil, une femme l'assaillit de messages importants. Mégane prit des notes, sous le regard ahuri de Carine n'osant pas poser de questions, se contentant de les suivre du regard tandis qu'ils disparaissaient dans l'antre de Montvil.


« Alors comme ça, vous pensez être meilleure que moi ? attaqua-t-il, bien décidé à donner une leçon d'humilité à cette petite prétentieuse.

— Oui, sans vouloir vous offenser, et je ne demande qu'à vous le prouver. Mettez-moi à l'épreuve ! » surenchérit Mégane.

Montvil partit d'un éclat de rire moqueur et se laissa tomber dans le large canapé en cuir. La jeune femme n'était pas très à l'aise plantée au milieu de la pièce, cernée par des étagères sur lesquelles le dos des livres créait une mosaïque de titres et de couleurs. Elle attendait la suite.

« Eh bien, vous ne manquez pas de culot ! Alors voilà ce que je vous propose mademoiselle la faiseuse de miracles : je vais vous confier les trois moins bonnes ventes de ce trimestre. Si ces nouveaux romans atteignent chacun les cinquante mille exemplaires vendus dans trois mois, je vous promets un contrat d'embauche. Dans le cas contraire, je ne veux plus jamais vous revoir. Voyez avec Sainte Carine pour les détails. Adieu ! » prononça-t-il d'une traite.

Mégane se foutait de ses sarcasmes. Elle était soulagée de ne pas avoir à repousser ses avances, tant sa réputation de séducteur l'effrayait. Son attaque frontale s'avérait une stratégie payante. Elle avait obtenu ce qu'elle désirait et quitta le bureau sans rien ajouter.

La secrétaire remplit les formalités liées à son statut de stagiaire et lui confia un exemplaire des trois titres dont elle venait d'obtenir la charge, ainsi que les dossiers les concernant.

« Bonne chance, l'encouragea-t-elle.

— Merci, répondit Mégane, touchée par sa sollicitude.

— Vous savez, ils ne sont pas mauvais ces trois romans...

— J'ai lu ces deux-là, mais celui-ci ne me tentait pas trop.

— C'est un fils de, ajouta Carine, sur le ton de la confidence.

— Ah, je vois : une édition de complaisance.

— C'est ça, confirma-t-elle, toujours discrètement.

— Et qui sont les vénérables parents ? questionna Mégane, sur le ton des potins anodins.

— Mystère, murmura Carine, prudente, ce ne sont que des bruits de couloir.

— Où s'installent les stagiaires ? enchaîna-t-elle.

— Nulle part. Ils sont sur le terrain pour démarcher les libraires et accompagner les auteurs dans leur promotion.

— Dans ce cas, je préférerais les versions ePub pour ma liseuse, plutôt que de trimbaler un kilo de livres.

— C'est bien la première fois qu'on me demande ça, s'offusqua Carine.

— Pourtant c'est pratique. Dans ma chambre de bonne, j'ai pas trop la place, si vous voyez ce que je veux dire, précisa-t-elle en grimaçant.

— Oh, je comprends, compatit la secrétaire. Avec cet identifiant et ce mot de passe vous aurez accès à la bibliothèque numérique de la maison, précisa-t-elle en inscrivant les codes sur un post-it qu'elle lui tendit.

— Merci bien, je vous laisse, j'ai du pain sur la planche ! » conclut la jeune femme d'un sourire complice.


Aussitôt franchie la majestueuse porte de l'hôtel particulier des éditions Tradimard, Mégane envoya un message à Cyril :

« Je suis dans la place ! Tu es chez toi ? »

Une réponse arriva instantanément :

« Cool, bien joué ! Oui, rapplique. »

Elle prit le métro et entreprit de lire l'opus du pistonné. Une série de déplacements étranges entre des lieux et des personnes. Un style bizarre, limite prétentieux. Ce n'était pas folichon. Il s'en dégageait une impression de manque qu'elle n'arrivait pas à cerner. Quelque chose la gênait. Ça allait être coton de sélectionner les extraits à proposer sur son site pour appâter le client.

À son arrivée, Cyril discutait sur Skype avec Fred. Elle s'assit à ses côtés sur les coussins et déclencha aussitôt les hostilités :

« Allez les gars, à nous de jouer maintenant ! À la fin du prochain trimestre, ces trois livres doivent battre des records de ventes. Le vieux dinosaure m'a confié une mission qu'il croit impossible. On va lui montrer à quoi servent les blogueurs, les youtubeurs, les booktubeurs et les comités de lecteurs. Faites chauffer vos réseaux. Ils vont nous manger dans les mains chez Tradimard !

— Par lequel on commence ? demanda Fred.

— Et si on en prenait un chacun et qu'on se lançait des piques concernant nos lectures ? suggéra Cyril. Parallèlement on fait de bonnes critiques partout sur les sites marchands, on arrose la toile de commentaires élogieux, on like à tout va !

— Ça multipliera nos chances, valida Mégane. Si, avec nos six millions de followers, on n'arrive pas à vendre cent cinquante mille exemplaires en trois mois, c'est qu'on n'est pas prêts...

— T'inquiète, Meg ! la rassura Fred. Ça a trop bien marché pour l'album de sophrologie de mon pote. Les éditeurs ont du souci à se faire. Lequel tu me files ?

— Celui-ci, c'est une utopie contemporaine qui va plaire à tes fans. Tu notes : "Le jardin des possibles".

— Ok, je fonce à la librairie du coin. Le mec est cool. Je vais me filmer en train d'acheter le bouquin chez lui. En plus il est marrant, y crachera pas sur un peu de publicité, et va me le vendre en direct live.

— Wesh, bonne idée mec. Tu nous préviens quand t'as posté, qu'on aille cliquer, ajoute Cyril.

— Yes, et vous pareil.

— Ok, juce. »

Cyril coupa la connexion, se leva souriant, enclencha la bouilloire dans la kitchenette, sortit deux tasses, la boîte de café soluble et posa le tout sur la table basse, devant Mégane.

« Tu t'occuperas de celui-ci, proposa-t-elle. Je l'ai lu, il est pas mal. Moi je vais me charger du troisième. Il n'est pas terrible, mais le gars publie sous un pseudonyme, en découvrant qui il est, j'aurai de quoi faire le buzz.

— Si on s'en sort avec des titres qu'on n'a pas choisis, qu'est-ce que ça va être quand on sélectionnera nos auteurs...

— On n'en est pas là, l'interrompit Mégane.

— Je sais. Au fait, il est comment le Montvil ? questionna Cyril, en versant l'eau chaude.

— Sans surprise. C'est un vieux beau qui se la pète grave. Je vais kiffer le mettre hors circuit. T'aurais vu la façon dont il m'a matée...

— Dans le temps, il aurait fallu que tu couches pour avoir ton stage. Depuis le #balancetonporc, ça les a calmés, ricana Cyril.

— Ça me dégoûte ! Dire que nos mères ont supporté tous ces cons !

— Elles n'avaient pas le choix. D'ailleurs, j'avais pas fait gaffe : c'est une meuf qui a écrit mon bouquin. C'est quoi l'histoire ?

— Elle raconte, avec plein d'autodérision, comment elle trouve des idées de roman. C'est assez amusant...

— Cool ! Je vais me filmer, chaque jour, en train d'appliquer ses recettes dans le but de trouver moi aussi une idée de Best-seller. Ça va être trop de la balle !

— Je suis curieuse de voir ça. Bon, je te laisse potasser ton sujet. Moi je vais finir celui-ci et tâcher de prendre rendez-vous avec ce mystérieux fils à papa. J'ai un numéro de téléphone dans son dossier...

— Tu crois que tu vas réussir ?

— Tu oublies que je bosse officiellement chez Tradimard, et que c'est Montvil en personne qui m'a chargée de sa promo. Mieux vaut que je connaisse son chef-d'œuvre sur le bout des doigts pour faire bonne impression et lui inspirer confiance. On se raconte la suite sur le réseau. À plus.» lança-t-elle en sortant.

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