Chapitre 5 : Alliances (4)

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Ils restèrent figés ainsi quelques instants, observant la créature qui peinait à trouver une forme lui convenant. L'apparence de Vyrian ne la satisfaisant pas, elle avait pris celle de Kela avant d'imiter un oiseau passant au-dessus de leur tête. Mais après quelques bonds maladroits dans l'herbe, elle avait finalement opté pour une forme féline. Une fois sa nouvelle apparence adoptée, de la chair et des poils recouvrir son corps noir et luisant. La créature s'ébroua et Vyrian put voir une crête sur son échine. Elle partait de son museau, passait entre ses yeux, dont l'un semblait toujours fermé, des cicatrices balafraient sa paupière, et se poursuivait sur le haut de son crâne jusqu'à la pointe de sa queue. Le bas de ses pattes semblait également recouvert de cet étrange revêtement. Alors que tous avaient les yeux rivés sur ce physique atypique, la femme fut la plus réactive et s'adressa à l'Ombre.

— Ollesty, qu'est-ce que ça signifie ?

— Je l'ignore Oriana.

Ce nom, Vyrian le connaissait. Il se souvenait l'avoir entendu lors de son réveil à la guilde des Sciences Mystiques, le Numéricien lui avait expliqué qu’elle l’avait soigné à son arrivée dans le Monde Mythique. Mais plus important, ce nom avait été cité lors de la nomination de Declan au rang de Sage Vagabond. Il s’agissait de sa mère et de la femme de Dungal, le mentor de Yomi !

La voix choisie ce moment-là pour se manifester et Vyrian sursauta une nouvelle fois, devenant l'espace d'un instant le centre de l'attention. Le scientifique maudit son intervention et l’écouta.

Nous... avons trouvé ça.

Le sociogramme lui apparu, mais avant que Vyrian l'analyse, il demanda l'identité de son interlocuteur.

Pour être sûr, « nous », c'est les survivants ? Vous m’avez finalement entendu ?

— Oui. Il nous a fallut un certain temps pour sortir de notre mutisme et oser croire aux souvenirs que vous nous avez partagés.

Le chercheur comprenait mieux les variations de sonorités de la voix, elle était tantôt grave, tantôt aigue, bien loin du ton monocorde de Mère. A cet instant, malgré la tension qui régnait face au nouvel arrivant, Vyrian sentit un regain d’espoir l’envahir, les données que l'intelligence artificielle lui avaient transmises étaient de nouveau accessibles, il ne risquait plus sa vie en voulant les consulter et les siens étaient encore suffisamment conscients pour se joindre à lui. Mais Oriana ne lui laissa pas le temps de se réjouir et le tira de ses pensées.

— Jeune homme, la situation vous amuse ?

Vyrian revint à lui et découvrit que tous le fixaient y compris la créature. Elle arborait un large sourire qui disparut lorsque sa propre expression changea. Ce n’est qu’à ce moment-là que le chercheur comprit.

— Elle m’imite ?

— Oui, elle semble vous avoir pris comme modèle.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je vous le demande.

Vyrian interrogea rapidement les siens, mais ils furent incapables de lui répondre. Il fut donc contraint de se baser sur le folklore de son propre monde.

— Un métamorphe ?

Oriana secoua la tête de dépit avant de fusiller le Numéricien du regard.

— Ollesty, j'ignore ce que tu attends de lui, mais ce type est un ignorant.

— Si je l’ai amené avec Caya et Kela c’est pour que tu les formes.

— La tâche ne va pas être aisée, mais autant commencer toute suite. Les métamorphes ont un physique initial, or ici ça n’a pas l’air d’être son cas, il semble chercher qui il est, d’où les différentes apparences.

— Alors qu’est-ce que c’est ?

— Je n’en suis pas sûre.

Le petit être se mit à gratter le sol et en arracha l’herbe. Le trou qu'il créa se remplit d’un liquide blanc nacré, de la magie. L’animal pencha la tête et lapa le fluide. Vyrian entendit Kela souffler à ses côtés.

— Impossible.

Son commentaire fut bientôt repris par Caya.

— Aucun être vivant ne peut purifier la magie à ce point. C’est pour ça qu’on la filtre dans des bains. La magie est incolore à l’état naturel, blanche lorsqu’elle est purifiée et noire quand elle est corrompue.

D’après les explications de la Forgicienne, Vyrian fit une hypothèse.

— Cette créature serait donc constituée de magie souillée ?

— Il sembler…

Mais à peine parvenaient-ils à mieux cerner la créature, que son pelage passa de noir à gris pâle et Kela formula une nouvelle théorie.

— Elle se …purifie ?

Oriana mit fin à leurs spéculations.

— Même plus, elle garde un équilibre entre pureté et souillure, elle sait que les extrêmes ne sont pas nécessairement bons. Ecoutez bien ! Il s’agit d’un Skan. Celui-ci semble vieux, mais son comportement a régressé au stade enfantin, il se cherche une figure d’attachement, en l’occurrence vous. Il va donc vous imiter, tâchez de ne pas faire n’importe quoi !

Vyrian comprit sans mal que ce commentaire le visait. Il aurait préféré s'en passer, mais par manque d'information, il dut avouer son ignorance.

— C’est quoi un Skan ?

La réaction d'Oriana ne se fit pas attendre. Elle entrouvrit la bouche et ses yeux s'écarquillèrent avant qu'elle ne se ressaissise et prenne une fois de plus Ollesty à partie.

— Mais tu l’as récupéré où ?

— C'est une longue histoire.

— J'espère que les deux autres sont plus cultivées que lui.

Le regard qu'elle accorda aux mysticiennes ne laissait rien présager de bon sur ses attentes.

— On appelle Skan une créature magique décédée, la plupart du temps dans des conditions assez violentes. Son esprit imprègne sa magie, si bien que lorsqu’elle regagne l’énergie du Monde Mythique. Elle se créée un corps d’énergie, ici d’énergie souillée d’où le fait que son poil était extrêmement sombre.

— Donc le terme Skan désigne une créature après sa mort qui a su survivre sous forme d’énergie, mais qu’est-ce qu’elle était avant de mourir ?

— C’est pratiquement impossible à savoir.

Plus Vyrian l’observait, plus l’écart se creusait avec son mari. Oriana et Dungal étaient le jour et la nuit, autant le vieil homme pouvait être pédagogue, autant sa femme se montrer très impatiente. Mais contrairement à son époux, la mysticienne ne faisait pas son âge. Sa peau lisse ne laissait pas présager qu’elle avoisinait de la soixantaine, seuls ses cheveux argentés pouvaient trahir son âge, mais Vyrian avait connu des étudiants ayant leurs premiers cheveux blancs à vingt ans, tout comme certains en attrapaient que tardivement. Lorsqu’il se concentra sur le sociogramme, il put voir en dessous du nom d’Oriana, sa spécialité, elle était une Temporaliste.

La voix résonna de nouveau dans sa tête et Vyrian sursauta une fois de plus. Il avait vécu l'abscence de Mère comme un vide, mais à présent la voix de son peuple ne cessait de le surprendre et leurs interventions l’agaçaient.

Un Temporaliste maitrîse le temps et peut en accentuer ou en diminuer les effets. Ce sont d'excellents soigneurs, ils amplifient la régénération cellulaire, la guidant pour éviter toute mauvaise cicatrisation. Ils peuvent aussi soigner les blessures de l'esprit, celles que seules le temps peut guérir.

Vyrian comprenait mieux l’intéressant mélange entre la chevelure et la peau de la mysticienne. La femme s’adressa à la Visionnaire.

— Kela tu n'as rien vu ?

La jeune femme se tourna vers Vyrian. Il pouvait voir sur l'iris de ses yeux trois cercles concentriques qui semblaient faire une mise au point, faisant miroiter une infinité de couleurs, le spectacle était à couper le souffle, les cheveux de jais bouclés achevaient de donner du contraste sur sa peau légèrement dorée par le soleil. Après une moue déçue, Kela fit la même chose avec le Skan.

— Cette créature semble protéger par l'énergie même du Monde Mythique. Je ne perçois rien d’elle … un peu comme toi.

Vyrian s’abstint de le dire, mais en cet instant, il tenait les prémices d’une hypothèse sur son immunité face aux Visionnaires. S'ils ne parvenaient pas à voir l’énergie du Monde Mythique, alors son affinité pourrait expliquer son cas.

Oriana soupira et mit fin au débat.

— Cette créature semble s’être attachée à toi, elle doit considérer que tu l’as sauvé, tu en auras la responsabilité, tu devras trouver ce que c’est et combler ses besoins.

La créature agita sa queue et se rapprocha de lui.

Ollesty qui était jusque-là resté en marge de la conversation en profita pour s'adresser au scientifique.

— Bon comme tout semble réglé, Vyrian j’ai a te parler.

Le biologiste jeta un dernier coup d’œil à la créature et s’aperçue qu’elle l’avait déjà rejoind. Alors qu'il se redressait Caya l'interrogea.

— Comment vas-tu l’appeler ?

Cette question n'avait même pas effleuré l'esprit de Vyrian.

— J’en sais rien.

La jeune femme fit une moue boudeuse et Ollesty s'impatienta.

— Vyrian ?

Le scientifique dû s'excuser auprès de la jeune femme et rejoignit l'Ombre.

— J’arrive, on verra plus tard pour le nom.

Il ignorait de quoi voulait lui parler Ollesty, mais ça avait l’air urgent.

— Tu as réussi à te reconnecter aux tiens.

— Oui. Comment l’avez-vous su ?

— Tu le laisses trop paraître, cesse de chercher du regard les voix qui te parlent. Ils ne faudrait pas que quelqu’un d’autres le découvre. Tant qu’on est dans les secrets, je peux savoir quel est ton problème avec les armes à feux.

— Vous n’avez donc eu accès qu’aux souvenirs que je me remémorais ?

— Oui.

— J’ai déjà tué avec l’une de ses armes

— Tiens-toi prêt à recommencer.

Alors qu'Ollesty faisait demi-tour, Vyrian replongea dans ses souvenirs. Il se souvint le ciel chargé de nuages jaunâtres. Il devait se dépêcher de trouver un abri avant qu’ils ne déversent la pluie, mais bien avant qu’il ne puisse retourner à son véhicule, les premières gouttes étaient tombées, l'obligeant à trouver un abri de fortune. Il avait finalement trouvé une petite infractuosité, seulement elle était déjà occupée. Il avait tenté de dialoguer, mais l’homme l’avait menacé et la douleur de la pluie, lui avait fais oublier le danger. Vyrian se revoyait encore pointer l'arme qu'il avait ramassé un peu plus tôt sur le malheureux. Il ne comptait pas s’en servir, juste faire peur, mais l’homme ne s’était pas laisser intimidé et après de nouvelles brûlures, son doigt avait pressé la gachette. Il avait ressenti dans un premier temps du soulagement, celui de pouvoir se mettre à l’abri et de trouver des vêtements secs, il avait donc déshabillé sa victime et s’était approprié ses affaires. Ce n’est qu’après qu’il avait réalisé son geste, l’arme lui était tombé des mains et il l’avait jeté sous la pluie d’un coup de pied. Il avait tué pour survivre, semblant perdre un peu plus de son humanité après le décès de Clana.

Quelque chose vint se heurter à ses jambes et Vyrian laissa derrière lui ses souvenirs. La créature se frottait à ses mollets semblant à la fois vouloir le réconforter et demander de l'attention. ll s'accroupit et passa sa main sur le dos de l'animal, sa texture était étrange, douce dans un sens, coupante dans l'autre. Le Skan se laissa faire et le regarda de son oeil restant.

— Tu…er ?

— Non il ne faut pas tuer. Mais que vais-je faire de toi ?

Sur ces paroles Kela fit son apparition.

— J'ai croisé Ollesty, votre discussion avait l'air importante. De quoi parliez-vous ?

— De la répugnance que j’ai à tuer.

— Une bonne chose…sauf en temps de guerre.

— Quel est votre plan ?

— Fusionné ou Méta-fusionné, la méthode ne change pas, pour le tuer et libérer les personnes sous son emprise, il faut l’exorciser.

Vyrian ne put s’empêcher de sourire à l’idée qu’ils allaient faire ce que Faric prévoyait de faire subir à Yomi et Feyna. Comme le destin pouvait être ironique. 

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