Elia

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Elia frissonna, vraiment frigorifiée. La combinaison qu'on lui avait fournie était bien trop large, elle laissait l'air frais et humide du début de matinée s'infiltrer dans le bas de son dos. Ses doigts s'ankylosaient. Cela faisait plus d'une heure qu'ils attendaient là sans bouger.

— Je peux te réchauffer si tu veux ? proposa Diken à voix basse.

Il n'avait donc rien manqué de la scène et lui adressait un sourire entendu. Elia serra les dents, c'était à cause de lui qu'elle devait subir tout ça ! 

— Garde tes sales pattes à distance, grogna-elle.

Tout ce temps à se tenir accroupis dans un fichu canal d'évacuation. Les pieds dans la boue et les restes de Fluide, des relents nauséabonds plein les narines, le tout sans savoir ce qu'ils attendaient au juste. Le pire était de faire équipe avec Diken une fois encore. Elle aurait tout donné pour passer plutôt journée en compagnie de Trystan, ou même de n'importe quel autre des rebelles, mais soupçonnait son compagnon de l'avoir demandée pour partenaire exclusive.

Cet homme était extrêmement agaçant. Sous ses airs charmants, il passait son temps à lui sourire et se montrer galant, Diken l'avait entraîné dans une histoire invraisemblable. Que faisait-elle là ? Comment avait-elle pu se retrouver à patauger dans les excréments et les rejets de la ville haute, engoncée dans cet équipement paramilitaire datant d'avant la Grande Guerre ?

Le rebelle semblait prendre plaisir à chacune de leurs "missions" communes. Il passait son temps à plaisanter, à s'étonner de choses ridicules allant du temps qu'il faisait à l'attitude des badauds. Elia, quant à elle, rêvait de le gifler de toutes ses forces et de disparaître pour ne plus jamais le revoir. Diken était malheureusement sa seule piste concrète pour retrouver son frère.

S'il ne me mène pas en bateau depuis le début.

Elle n'avait rien pu lui tirer de plus que la promesse que ce ne serait pas long, qu'elle reverrait bientôt son frère. Que voulait-dire par « bientôt » au juste ?

— Voilà le convoi. Les renseignements étaient corrects, annonça Diken la ramenant au présent.

Elia se risqua jeter un œil par-dessus une pile de détritus. Une sorte de wagon autonome progressait au milieu de la rue, un tracté, véhicule commun qui servait d'ordinaire dans les mines. Il progressait sous escorte de quatre individus encapuchonnés. Le chargement, bâché, était bringuebalé au gré des cahots du transporteur.

— Et maintenant ? interrogea-t-elle.

— On attend le signal et on agit comme convenu. Va te mettre en position et tiens-toi prête.

La jeune femme tendit la main vers sa cuisse et arracha le pistallin à son holster. Elle fixa avec méfiance la petite arme de poing aux reflets bleutés. Elia n'était pas à l'aise à l'idée de tenir une arme, c'était tellement contre-nature pour elle. Les quelques jours d'entraînement au tir n'avaient pas changé son impression de malaise et, en un sens, cela la rassurait. Elle commença à s'éloigner de son compagnon, progressant lentement et à couvert.

— Là, un faisceau à la fenêtre. C'est le signal, on fonce ! souffla Diken derrière elle en se levant brusquement.

Il bondit hors de leur abri en arrosant l'escorte de décharges cristallines. Elia se risqua à le suivre des yeux un instant, les premiers tirs firent mouche et deux cibles s'écroulèrent. Les Gardiens restants parvinrent à s'abriter à temps derrière le véhicule et ripostèrent avec leurs armes conventionnelles.

Elia continua de progresser discrètement dans le canal, jetant des coups d'œil occasionnels sur le déroulement des évènements. Les détonations s'enchaînaient, cela explosait de partout. Diken courait d'un abri à l'autre, tâchant de riposter au milieu de tirs qui le suivaient de près, ravageant pavés et murs. Le rebelle semblait étonnament à son aise au cœur de la fusillade.

C'est un soldat lui aussi...

Elia était enfin arrivée dans le dos de leurs adversaires et s'immobilisa. Elle savait ce qu'elle avait à faire, mais son cœur battait à tout rompre et sa respiration était saccadée. La jeune femme n'avait qu'une envie : faire demi-tour et échapper à cette vie qui n'était pas la sienne. Elle n'était qu'une infirmière !

Un tir frôla le haut de sa tête et atteignit une bordurette de l'autre côté du canal, à quelques mètres à peine de sa position. Quelques éclairs violacés crépitèrent dans l'air au point d'impact avant de disparaître. Ce n'était l'effet d'une décharge des armes lourdes des Gardiens, le béton aurait dû exploser.

Diken, sois maudis !

Elia prit une grande inspiration et se redressa d'un coup, sans s'extirper pour autant de son abri.

« Cherche les yeux de ta cible et tire », avait dit Trys.

Impossible de voir les yeux de ses adversaire de dos et à cette distance, mais c'était sans doute pour le mieux : elle était certaine qu’elle n’aurait pas été capable d'appuyer sur la détente si tel avait été le cas. Elia s'efforça de viser et décocha plusieurs tirs avant que les Gardiens assiégés n'aient le temps de réagir. Par miracle, sans aucun doute, l'un d'eux fut atteint au bras et lâcha son arme avant de se jeter sous le couvert du tracté en laissant échapper une exclamation de surprise. L'autre soldat effectua une roulade pour esquiver les décharges et se plaça en position de riposte. Elia sentit une décharge d'adrénaline en le voyant faire et tira de plus belle dans sa direction, plus maladroitement encore qu'auparavant. Son adversaire, touché dans le dos, n'eut pas le temps de faire feu et s'écroula. Diken avait parfaitement suivi.

— Maudits rebelles, vous... commença le dernier garde conscient tandis qu'Elia approchait de lui d'un pas hésitant.

Diken vint à leur rencontre et balança nonchalamment une ultime décharge à bout portant.

— Ce n'était pas nécessaire ! s'offusqua la jeune femme en voyant le soldat s'affaler contre le transporteur.

Son compagnon ne la regarda même pas, il soulevait déjà la bâche.

— Il sera quitte pour un mal de tête, c'est tout, se justifia-t-il. Les Gardiens sont entraînés avec ce type d'armes étourdissantes, ils ont l'habitude du contrecoup.

— Pas réglées sur une telle puissance !

Les rebelles ne tuaient jamais, ce qui l'avait aidé à leur accorder une certaine confiance. 

Diken leva enfin les yeux vers elle, mais ce ne fut que pour lui adresser un de ses sourires charmeurs assorti d'un haussement d'épaules des plus frustrants. Pour ne pas lui sauter à la gorge, Elia se concentra sur leur "prise". Le tracté transportait plusieurs grosses caisses en bois mais Diken n'y prêta aucune attention, il se saisit directement de la seule métallisée. Il s'agissait d'un contenant de plus d'un mètre de long pour une trentaine de centimètres de large, marqué d'un gros "X2" à la peinture noire. Le modeste système de verrouillage ne résista pas à la décharge d'une arme de guerre des Gardiens.

— On a ce qu'on voulait, on y va, annonça le rebelle après avoir jeté un bref coup d'œil au contenu.

— Y'a quoi là-dedans ?

— La règle ? riposta Diken en soulevant ses sourcils.

Elia le fusilla du regard.

— Pas de question, abdiqua-t-elle.

Cela concernait l'identité de leurs contacts, le but de leurs missions, les raisons pour lesquelles elle se retrouvait membre d'une soit-disant "rébellion", le passé de Diken, l'endroit où se trouvait son frère, quand ils pourraient le retrouver...

Il va me rendre folle !

Ils laissèrent leurs victimes allongées dans la crasse et filèrent au travers de petites ruelles parmi les moins éclairées du coin, de celles que la jeune femme avait toujours pris soin d'éviter. Ils atteignirent leur QG souterrain une dizaine de minutes plus tard.

— Vous voilà de retour ? Comment ça s'est passé, vous avez le colis ? questionna Trystan dès qu'ils apparurent.

— Comme sur des roulettes, je l'avais bien dit : ils n’ont rien vu venir ! claironna Diken en se portant à sa rencontre, leur butin sous le bras.

Le chef des rebelles sourit en recevant la caisse, puis leva les yeux vers Elia qui sentit le rouge lui monter aux joues. Elle se précipita derrière le paravent au coin de la pièce pour se débarrasser de sa combinaison graisseuse et puante. Trys était le bel homme qu'elle avait croisé devant la demeure de Dylan. S'il s'était montré un peu froid au premier abord, Elia avait vite compris que c'était en raison de son investissement dans la mission qu'il s'était attribué. C'était un homme droit et digne de confiance, contrairement à un Diken dont le regard s'attardait volontiers sur les formes de la jeune femme quand il pensait qu'elle ne le voyait pas.

Elle enfila le pantalon en coton et le débardeur avec lequel elle était arrivée, ainsi que les bottes neuves que Trys lui avait offertes. Elle finit par détacher ses cheveux pour les coiffer au mieux.

Il nous faudrait vraiment un miroir ici.

Lorsqu'elle revint au centre de la pièce Diken et Trys discutaient à voix basse, penchés sur un papier qu'ils rangèrent dès qu'ils décelèrent sa présence.

— C'était du beau boulot Vend ! la félicita le chef.

— Je t'ai déjà dit de m'appeler Elia, s'offusqua-t-elle en fronçant les sourcils.

— C'est vrai, excuse-moi. Il est temps de se réunir, tu peux encore prendre le temps de prévenir les autres ? Ensuite tu pourras rejoindre le dispensaire, tu es surement en retard.

— Mais je...

— On pourrait peut-être la garder avec nous cette fois ? proposa Diken en adressant un clin d'œil à la jeune femme.

Elle le fusilla du regard.

Comme si j'avais besoin de ton aide !

Trystan fit mine d'hésiter, mais secoua la tête presque aussitôt.

— Les infos obtenues auprès des Gardiens du dispensaire et que les fournitures qui y sont récupérées sont vraiment importantes. Ta couverture est précieuse pour nous Ve... Elia. Tu te joindras à nous une autre fois, promis.

— Je comprends, lâcha-t-elle en serrant le poing de frustration.

Elle emprunta le passage vers la taverne d'un pas lourd. Trystan persistait à la tenir l'écart au moment d'aborder les sujets importants, mais elle avait compris que quelque chose de gros se tramait. Plus gros que des vols de fournitures aux Gardiens ou de chargements de cristaux en tous cas.

Elle n'eut pas à chercher les trois autres membres de leur groupe : ils chantonnaient en cœur un verre à la main juste devant le comptoir.

— Hé ! Elia ! Joins-toi à nous ! l'appela Fab dès qu'il l'aperçut.

Cet ancien mineur dégarni jouissait d'une bedaine si imposante qu'il était étonnant qu'il parvienne à se glisser dans le tunnel menant à leur QG. Fab était chaleureux avec Elia depuis le premier jour. Cet homme semblait constamment de bonne humeur, il appréciait la vie au jour le jour et ne se montrait pas aussi mortellement sérieux que les autres. C'était peut-être lui le vrai pilier de la bande. 

— Le chef t'envoie nous chercher ? Tu restes avec nous cette fois ? intervint Raff à son tour.

Ce dernier lui faisait beaucoup penser à Lock. Il était encore plus jeune, à peine quinze ans, mais était lui aussi un « gamin du quartier » qui connaissait tout le monde et savait qui contacter si on avait besoin d'un outil particulier. Surtout, il ne reculait devant aucune tâche, même lorsqu'il s'agissait d'infiltrer l'un des gangs les plus violents de la ville basse.

— Elle a mieux à faire, c'est l'heure d'aller retirer les croutes de ses macchabés, intervint Sonia.

Elia adressa un regard peu amène à la seconde jeune femme de leur groupe, qui lui rendit. Sonia possédait une longue chevelure cuivrée, un son corps svelte assortis de jambes sans fin. Très consciente de ses atouts, elle les accompagnait volontiers d'un maquillage exubérant et de vêtements qui ne cachaient que le strict minimum. Elia n'était pas étonnée de voir ses compagnons aux petits soins avec cette peste, mais de là à justifier sa place dans le groupe ? Lorsqu'elle avait interrogé Diken à ce sujet, il lui avait affirmé que Sonia « rendait de grands services à la rébellion ». La jeune femme se posait quelques questions sur la nature de ces services, tout ce qu'elle voyait c'est que la rousse collait Trystan dès que l'occasion se présentait. Cela la mettait invariablement en rogne.

— Je dois y aller, ils vous attendent en bas, grogna Elia en s'écartant pour laisser le passage à Sonia qui avait déjà sauté de son tabouret.

Fab lui adressa un regard compatissant en passant. Elle regarda le trio s'engager dans l'arrière-boutique puis partit affronter la brume matinale.

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