Diken (1/2)

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Diken détailla l'immeuble face à lui. Le bâtiment ne devait pas avoir plus d'une trentaine d'années et les matériaux employés pour sa construction étaient les mêmes que ceux utilisés dans la ville haute. Pourtant, "miteux" était le seul qualificatif qui lui venait à l'esprit. En s'approchant du mur, il constata à quel point le crépi s'effritait : il pouvait en retirer des morceaux à la main. Même les pierres au-dessous étaient fragilisées.

Le rebelle pivota pour s'intéresser à la Brume, omniprésente dans les rues qui l'entouraient. Il paraissait évident qu'elle avait un lien avec le vieillissement prématuré des bâtiments de la ville basse, si elle n'était pas la cause du phénomène. Ce n'était les simples gouttelettes d'eau dont il avait l'habitude, il y avait quelque chose d'agressif dans ce brouillard. La terre n'était pas épargnée non plus et avait pris une teinte argileuse qu'elle n'avait pas dans ses souvenirs. Elle était devenue aussi dure que du béton et de rares pousses de jak, une mauvaise herbe translucide, constituaient la seule végétation encore visible.

Une chose après l'autre, se modéra-t-il.

Il s'engagea d'un pas ferme dans le corridor et grimpa les escaliers quatre à quatre pour aller frapper à une porte du troisième étage.

— Elia ? C'est Diken, s'annonça-t-il.

— Une minute ! répondit aussitôt la voix étouffée de la jeune femme.

Il entendit une chaise racler le sol, puis un bruit de bois qui craque accompagné d'un cri de surprise. Le sang de Diken ne fit qu'un tour et il donna un coup de pied dans le bas de la porte. La serrure céda sans résistance.

Elia était au sol, elle leva aussitôt les yeux vers lui et son visage s'empourpra.

— Je ne t'ai pas dit d'entrer ! Qu'est-ce que tu as fait à ma porte ? gronda-t-elle.

Diken marqua un temps d'arrêt, son regard s'attardant malgré lui sur la femme à ses pieds. Elle avait enfilé une robe turquoise fendue sur la partie basse des jambes et très échancrée au niveau du corsage, ce qui mettait en avant sa poitrine avantageuse, particulièrement dans cette position. Une telle tenue aurait été à sa place dans une réception de la ville haute et Elia avait même pris le temps de se coiffer avec soin. En dépit d'une garde-robe modeste, la jeune femme s'efforçait de se mettre en valeur au quotidien et sa beauté était indéniable. Diken avait pourtant du mal à la reconnaître cette fois : elle était vraiment éblouissante.

— Si t'as fini de te rincer l'œil, tu pourrais peut-être m'aider ? finit par grogner l'objet de son attention.

Diken se maudit lorsqu'il remarqua enfin qu'elle était immobilisée. L'une des jambes de la jeune femme était passée au travers du plancher vermoulus. Il avança en prenant garde à ne pas trop baisser les yeux et lui tendit la main. Elia prit le temps de le fusiller du regard une fois de plus avant de la saisir.

Les femmes...

Lorsqu'elle fut dégagée, il découvrit qu'elle saignait légèrement au niveau de la cuisse.

— Il faut te soigner... commença-t-il.

— La commode, dans la pièce derrière. Il y a des compresses et du tissu dans le tiroir du haut, indiqua-t-elle pleine de sang-froid.

Lorsqu'il revint avec le matériel médical et fit mine de se baisser, elle lui arracha les fournitures des mains.

— Qu'est-ce que tu crois faire ? Tourne-toi et essaie plutôt de remettre ma porte en place.

Le rebelle laissa échapper un petit soupir de résignation, mais obtempéra. Il constata cependant que la serrure avait cassé le bois du cadre, il ne pouvait pas faire grand-chose.

— Je paierai les réparations, promit-il sans se retourner.

— J'espère bien !

La réaction instantanée de la jeune femme lui arracha un nouveau sourire. Il entendit une porte claquer dans son dos, puis Elia le rejoignit moins de cinq minutes plus tard redevenue Cendrillon : elle portait à nouveau des vêtements ordinaires et une simple natte tombait dans son dos.

— Bon, qu'est-ce que tu me veux cette fois ? questionna-elle en croisant les bras d'un air exaspérée.

— Trystan a demandé qu'on se rassemble tous, pour une réunion exceptionnelle.

— Qu'on se rassemble... tu veux dire que je peux y assister ?

Diken hocha la tête et un sourire rayonnant se forma sur le visage de la jeune femme. Elle s'élança aussitôt dans le hall d'escalier.

— Hé bien quoi ? Tu viens ? le héla-t-elle.

— J'arrive, j'arrive.

Il la suivit tranquillement en prenant le temps de regarder les cheveux noués de sa compagne qui se balançaient tandis qu'Elia dévalait les escaliers.

Inutile de te faire des illusions mon vieux, elle n'est pas pour toi.

***

— Bien, puisque nous sommes tous là on peut commencer, introduisit Trys en regardant chacun des membres tour à tour.

Diken était resté à l'arrière, debout contre le mur aux côtés de Raff. Fab avait sa posture habituelle : affalé au beau milieu du vieux canapé de la planque. Il était bien entouré puisque Sonia et Elia se tenaient de part et d'autre du brave homme, les deux jeunes femmes se dévisageant en chiens de faïence sans que cela ne semble troubler ce dernier.

— On va enfin savoir pourquoi tu nous as fait trimer à mort ces dernières semaines ? geignit Sonia.

— Oui, encore désolé, je vous ai demandé beaucoup d'efforts dernièrement, s'excusa Trys. Il faut dire que notre mouvement n'avait encore jamais rien tenté d'aussi gros. En fait, on pourrait dire qu'on vise le sommet...

— Qu'est-ce qui est prévu alors ? Envahir le palais ? se moqua Raff.

Trystan lui retourna un sourire étincelant.

— En fait, c'est exactement ça.

Les « quoi ?! » et autres « tu as perdu la tête ? » explosèrent de toute part tandis que Diken se contentait de froncer les sourcils, intrigué.

— Comment comptes-tu rejoindre la ville-haute ? questionna-t-il.

— C'est vrai, faut montrer patte blanche rien que pour accéder au quartier ouvrier, abonda Fab. Comment t'espère atteindre le sommet ?

Pour toute réponse, Trystan dévoila un rouleau qu’il étala sur la table devant lui. Tous s’approchèrent.

— C'est quoi ? Le plan d'une machine ? Ça part dans tous les sens, fit remarquer Raff.

— C'est bien un plan, celui des égouts de Mogrador, expliqua Trys. Le trait rouge désigne un itinéraire qui mène de l'évacuation du secteur six jusqu'au-dessous du palais.

Le groupe accusa le coup.

— Tu es sûr de ton info ? Ce n’est pas... un peu trop simple ? On croirait une histoire pour enfant, ou l'une de ces rumeurs qu'affectionnent les chasseurs de trésor, réagit Fab.

— L'info est fiable, elle provient d'un ingénieur du Planétarium.

— Le Plané... comment t'as eu des contacts si haut ? explosa-t-il.

— Même si ce plan est authentique y'a toujours un gros problème, intervint Raff.

— Lequel ? questionna Diken en se tournant vers l'adolescent.

— Ben les purges pardi ! Je reconnais bien la partie basse des égouts sur cette carte, maintenant que vous le dites. J'y ai passé un moment. Vu l'échelle, votre joli tracé représente des kilomètres de conduites or, même de nuit, il y a au moins une purge par heure. On ne pourrait pas faire le tiers de ce chemin sans être noyés dans le Fluide !

— C'est là qu'intervient la seconde info, conclu Trys. Les usines seront maintenues à l'arrêt dans trois jours, le temps de mettre en fonctionnement un nouveau tronçon. Il n'y aura aucune purge pendant pas moins de douze heures.

Les rebelles échangèrent des regards de plus en plus intrigués.

— Alors au final, c'est quoi le but ? On monte là-haut et on fait quoi ? reprit Fab au bout d'un moment.

— On détrousse quelques maisons nobles ? proposa Raff.

— Cela changerait-il quelque chose à la vie des gens dans ces taudis à long terme ? contra immédiatement Trys en fusillant le jeune homme du regard. Non, le plan est bien plus ambitieux, au point qu'on ne va pas monter seuls : toute la rébellion est mobilisée sur ce coup !

— Quoi, toutes les sections ?! explosa Sonia.

— Il n'en faudra pas moins... pour assassiner l'empereur.

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