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Assis sur le toit de tuiles de sa demeure, Leïlan jouait de la flûte de pan. La mélodie, emportée par le vent, escaladait les murs de l’enceinte du quartier nord. D’ordinaire, le jeune garçon n’employait son instrument que pour signaler à son père qu’il avait achevé ses tâches journalières. Néanmoins, aujourd'hui était différent : en effet, à de nombreuses reprises, il avait aperçu la reine de loin et, à chaque fois, elle lui avait fait de grands gestes, sourire aux lèvres. Selon son père, ces mouvements signifiaient « bonjour », hélas, intimidé par son rang royal et les histoires que lui comptait son père, Leïlan ne parvint à lui rendre son salut.

Ainsi, ce soir, pour compenser son impolitesse, il l’accompagnerait dans cette épreuve douloureuse. Tant que le dong n’aurait pas résonné à travers le palais, il ne cesserait de jouer. Après tout, il lui devait bien ça ! À peine était-elle tombée du ciel qu’elle avait pris soin de son père laissé pour mort sur le champ de bataille. Nul n'aurait imaginé qu'il puisse survivre après avoir été transpercé par un Tomahawk, mais, d’après les dires de celui qui lui avait donné la vie, c'était comme si elle savait où il se trouvait et où elle devait l’emmener pour le mettre en sécurité. Sur des lieues, elle l’avait traîné et, recouverte d’ecchymoses, de plaies, avait pansé ses blessures à l’aide d’outils aussi étranges que ses habits. Elle s’était occupée de lui durant trois jours et trois nuits avant de s’écrouler, exténuée.

Attendri par ce dévouement, son père n'avait pu se résoudre à l'abandonner. Il avait ficelé la jeune femme à son dos, telle une armure vivante, et avait rejoint l’armée résistante. Là, il avait gagné le titre de « Geïlgdun, l'immortel » et la rumeur qu'il possédât un ange dans ses rangs améliora grandement le moral des troupes.

Grâce aux stratégies de « l'ange », ils remportèrent de nombreuses victoires. Plusieurs peuples leur jurèrent même allégeance.

Pourtant, son père répétait chaque jour que les dieux lui donnaient à vivre qu’il regrettait de l’avoir ramené avec lui. Pour cause, lorsqu’ils furent acculés par un roi réputé pour sa cruauté, la jeune femme offrit sa vie et sa liberté pour sauver leur clan. Redevable, son père jura allégeance à « l'ange » devenue  reine Céleste : il devint son garde rapproché et, par la même occasion, le sujet d'un roi qu'il haïssait.

— Les anges ont le sang rouge ! cria Leïlan à l’instar des premiers mots prononcés par son père en regagnant le camp, l’inconnue sur le dos. Vous n’avez pas le droit de mourir !

Après quelques secondes, Leïlan joua avec tant d’énergies que les notes semblaient se mêler à la pluie et décupler en intensité.

Ce jeu endiablé l’épuisa et Morphée l'emporta dans son royaume.

Les pavés matraqués par des sabots le réveillèrent. À leur densité, Leïlan comprit que le cavalier venait à lui. Aussitôt, son regard porta vers les quartiers nord ou nul ne s’agitait. Soulagé, Leïlan soupira, quitta le toit, rangea sa flûte de pan et prépara l’arrivée de son visiteur nocturne.

Quand l’équidé à la robe blanche maculé d’ébène entra dans son champ de vision, Leïlan se précipita vers son père dont l’armure dégoulinait de sang et l’aida à descendre de la monture.

Il s’apprêtait à quérir de l’aide lorsque le guerrier l’attrapa par le bras :

— Ce n’est pas mon sang.

Leïlan fit volte-face. L’incompréhension se lisait sur son visage. Sa respiration se bloqua quand son père s’agenouilla devant lui. Même les genoux à terre, le guerrier le menait de deux têtes.

— Leïlan… Tu dois fuir, déclara-t-il tout en tirant sur le cordon noué à son omoplate. La reine Céleste te confie son bien le plus précieux. Elle sait que tu en prendras soin. C’est notre chance de nous rattraper auprès d’elle, tu comprends, mon fils ?

Leïlan opina d’un mouvement de tête, incapable de détourner son regard du paquet emmailloté. Bien qu’aucun son n’en émanait, le tissu se soulevait ici et là. Leïlan comprit sans mal que la reine Céleste avait surmonté son épreuve. Il s’agenouilla à son tour et, d’une voix solennelle, déclara :

— Moi, Leïlan premier du nom, fils de Geïlgdûn l’immortel, accepte la tâche qui m’est confiée. Je veillerai sur cet enfant au péril de ma vie. Rien n’entravera son bonheur. J’en fais le serment.

Leilan ne sut dire si le poids sur ses épaules provenait de son allégeance ou du bébé que son père venait de lui attacher autour du buste, mais il garda la tête haute.

Geïlgdûn l’aida à se mettre en selle, puis lui remit le sceau royal. Au regard peiné de son père, Leïlan comprit qu’ils ne se reverraient jamais. Aussi obligea-t-il l’étalon à se tourner pour ne pas lui faire face.

— Chevauche jour et nuit... ne t’arrête que lorsque tes pieds ne soutiendront plus ton corps. Tu es l’unique fils du grand Geïlgdûn l'immortel, guerrier invaincu depuis sa naissance, protecteur du royaume. Surpasse-moi, Leïlan. Élève-toi jusqu’aux cieux ! cria-t-il tandis que le cheval s’élançait au galop.

— Je vous rendrais fier, je le jure, murmura Leïlan, les joues humides.

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