IL

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“Enfin.”

J’ai enfin trouvé. Après avoir laissé la bagnole à l’aire de jeu à l’entrée de la forêt, j’ai couru. Je suis passé par la ferme avec une bonne demi-heure, j’ai grimpé un dénivelé et une côte raide, traversé un petit chemin dans le noir, sous la pluie, simplement éclairé de cette misérable lampe, mon flingue Sig Sauer en main. Une fois en haut du plateau de la forêt, j’ai remarqué cette cabane en bas. Vieille, trempée et délabrée, les flash du tonnerre éclairent de temps à autre ce tas de bois abandonné.

J’entre.

Ca sent le moisi. Le bois pourri, rongé par l’humidité. Une cascade d’eau infiltrée dans ce qui reste du toit se brise sur le sol. J’éclaire l’endroit : du foin éparpillé, des caisses de bois cassés, une pelle, un rateau et...je me rapproche du fond : une trappe. Enfin. Je dégage le foin étalé dessus et me saisi de la boucle de fer. Bloqué. Je tire un coup de feu sur les deux cadenas. J’ouvre. En bas, le néant. J’éclaire et perçoit des chuchotements malgré la pluie battante. Je descends l’échelle et une fois en bas, l’odeur de moisissure est insupportable. Elle se mêle à d’autres odeurs, plus infectes les unes que les autres. Je fais passer ma lampe de gauche à droite et je les trouve enfin. Les gosses. Un haut-le-coeur. Ils hurlent en me voyant arriver. Des filles, des garçons, je perçois la faiblesse dans leurs cris. Ils sont enfermés en cage. je fonce vers eux immédiatement et reconnaît le fils Quesney. Tony. La face encrassés de suie, de poussière et de misère. Il a les larmes aux yeux mais tente de se contenir. Derrière et à ses côtés, agrippés aux barreaux trois petites sanglotent, deux jumeaux ici, un gosse de six ans à peine derrière et au fond, à quatre pattes au-dessus d’une gamelle d’excréments, un enfant qui visiblement, n’a que cela à se mettre sous la dent.

L’horreur.

“Je suis là les enfants. C’est fini maintenant.” Les cris et les sanglots s’apaisent lentement. Seigneur… Je suis sur le point de tirer sur les chaînes qui retiennent la porte. “Non. Tirez pas.” Je réfléchis. Il a raison. je risque de les blesser. Je regarde autour et là, une pelle. Je m’en saisis et la chaîne cède après cinq coups. A l’ouverture de la porte, un frisson me parcourt : “Je vous ai dit de pas faire ça.”

Je ne comprends pas tout de suite. Je tends la main. “Aller, sortez, c’est terminé maintenant.”

Mais personne ne vient. Pas une seule main ne me rend mon accueil. Pas même les plus petites des filles. L’enfant, au-dessus de la gamelle d’excrément ne bouge pas. Quoi ? J’avance. Ils reculent. “Venez, il n’est plus là. On l’a arrêté, il est enfermé et nous a donné l’adresse. Le calvaire est fini, il vous fera plus aucun mal.” je m’accroupis pour me mettre à leur niveau. Les yeux bleus de Tony Quesney sont vides. Comme s’il était resté trop longtemps dans le noir de cette cave. “Non. C’est faux.” Je ne comprends pas.

“Le Il ne peut pas disparaître. Il peut pas être enfermé.”

Deux jumelles de cinq ans se cachent derrière Tony. “Il nous a dit qu’en bas, c’est mieux.” Le gosse de la gamelle se tourne toujours à quatre pattes. Comme une bête. “Il a dit qu’en bas c’est mieux.” Les jumeaux des barreaux blottis derrière Tony : “Il a dit qu’en bas c’est le feu.” Puis, les derniers gamins imitent les autres, derrière Tony : “En bas, Il nous protégera.”

Je n’ai pas le temps de les tirer vers moi que là-haut, le parquet ancien grince. Je recule et me dirige vers l’échelle, le Sig Sauer en main. Je tremble ? Oui. Tu ne trembles pas. Arrête. Une silhouette descend. J’attends de savoir qui se cache dans l’ombre. “Les mains en l’air. Tout de suite.” Il obtempère. Mais une seconde personne descend. En haut, le parquet grince plus que jamais. Il y a du monde. Bordel. Je sers de toutes mes forces le flingue. Un seul chargeur. “Les mains en …”

Ma torche éclaire le premier gars. Du sang coulant du nez. L’arcade ouverte. Qu’est-ce…”Vous tombez à pic.” Pas de bégaiement. Un autre descend. Pas le temps d’en dire plus. Olsen… “Vous n’étiez pas censé…” Un troisième : Nicholls. Un quatrième, un cinquième. Bientôt, tout le commissariat se tient là, en face de moi. Je suis pris au piège mais...Quesney...La prof est là aussi… “Qu’est-ce que vous foutez là, ça rime à quoi cette merde ?

  • Vous n’étiez pas censé voir ça. Vous n’étiez pas censé revenir à Sunside.
  • Z’auriez mieux fait de rester loin.
  • Nous laisser servir le Il.” Quesney a sourit en disant ça. Tony se rapproche de moi à côté, je déville mon attention et ma lampe sur lui.

Cri étouffé : le pédophile me saute à la gorge. Il m’agrippe de ces dents que jamais je n’avais pensé si tranchantes. Je gémis en tombant au sol. Un crac me fait comprendre que l’épaule est sûrement déboitée. Mais mon cou se vide de mon sang... Je tire aveuglément, les tirs éclairent par à-coups la cave. Je plaque ma main valide sur mon cou lorsque le monstre lâche la prise. Le sang coule à flot. Je gémis, cris, et lentement, mes plaintes se changent en gargouille. je vais me vider. je vais crever. Ici. Ma lampe a glissé et voilà qu’elle roule aux pieds des monstres. Mais...

Je rampe vers l’arrière avec l’idée de fuir vers le cul-de-sac, le fond de la cave.

Soudain, une lumière rouge, aux reflets orangés, derrière, me font comprendre que c’est la dernière chose que je devrais faire. Les cinglés s’arrêtent. Net. Ils affichent une bouche d’étonnement. De la salive coule de leurs lèvres, comme des chiens attendant le dominant approcher. Ils regardent derrière moi. Je sais ce qui m’attend. Au fond de moi, je le sais.

Les dessins.

Les carnets.

Je tourne brusquement la tête, la douleur à mon épaule me fait grogner. Là, au fond, au pied du mur. La chose arrive. Elle agrippe les bords d’un trou, aussi large qu’un puits. un trou creusé à mains nues. Pas le genre de trou aux bords clairs et net. Non. Elle se l’est creusée elle-même. Au milieu de l’horreur s’extirpant des Enfers, la lumière rouge envahissant la pièce, je perçois les respirations des chiens qui m’ont conduit ici. Ceux qui savaient depuis toujours ce que cachait les trafics d’enfants. Comme l’avait dit Nathan qui devait être déjà mort : les siècles passaient et depuis la nuit des temps, le Il venait chercher ce qu’Il convoitait, ici, mais aussi ailleurs, rampant dans les entrailles du monde. Tapis en bas. A attendre qu’on lui offre ce qu’il a toujours demandé.

Il s’extirpe du trou. Je me recule en rampant, gémis mais n’entends rien. Une vibration s’élève de l'abîme. Et ces respirations de chien affamés, derrière. Et comme s’Il venait d’en bas avec difficulté, et tente de reprendre une forme quasi-humaine : un bras squelettique disloqué se remet en place, un coude se remet à l’endroit, une jambe pointant en l’air se replace sur le sol humide de la cave. Tout ça dans un craquement d’ossature terrifiant. Le voilà. Il se tient droit comme un “i”, le contre-jour de la lumière rouge derrière Lui ne me permets pas de distinguer quoi que ce soit de son visage, ou de son accoutrement étrange, que je perçoit comme étant...Sa gueule, sa nuque n’était pas à l’endroit..! Un craquement immonde de moelle écrasée me laisse entrevoir sa face se tournant à 360°…

Il s’avance.

Je tire le reste de mes balles sur Lui.

Vide. Il sourit ? Non. Au contraire. Il ne dit rien.

Les halètements de chiens cessent. Les vibrations du fond du trou duquel Il est venu m’hypnotisent. J’ai l’ouïe brouillée par ce son. Je distingue les gamins qui, les uns après les autres viennent Le rejoindre à Ses côtés. La dernière chose que je perçois c’est finalement Tony Quesney, les jumelles et les autres tenant chacuns une des innombrables mains sortant des côtés de la chose telles des excroissances maigres.

Il me regarde me faire dévorer par Ses chiens.

Il emmène les petits dans Sa tanière.

Pour les emmener en bas. Lui seul sachant ce qu’il en fera.

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