Le porte monnaie

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Image de couverture de Le porte monnaie

Dans peu de temps tout sera fini, je le sens. Ils sont là. Tous. Ceux que j’aime, ceux qui m’aiment, ceux avec qui je n’ai pas su parler , ceux avec qui ce n’était pas nécessaire.
Ils sont venus voir la fin ... parce que chacun de nous cherche à récolter beaucoup d’images quand c’est la fin. Oui vous savez, comme l’écureuil qui engrange, engrange avant l’hiver. Personne ne parle, mais je sais ce qu’ils cherchent à me dire, je le vois dans le
urs yeux.

Je t’aime. C’est cette phrase qui va rester emprisonnée dans leurs gorges.
Bien sûr, tous le savent, mais personne ne veut l'admettre ...Bientôt pour moi la lumière terrestre va s'ét
eindre...




Ils faisaient mal, très mal, mais ils étaient nécessaires. Jo s’élança, le parquet craquait, ses pieds lui faisaient mal, mais elle dansait, c’est ce qu’elle voulait. Jo voulait être danseuse. 

                                                                                

Chaque semaine, c’était comme un rituel, les jolis chaussons roses étaient déballés avec excitation de leur boîte rouge. Et dans cette salle où se mêlait odeur de bois et transpiration, les petits corps s’élançaient. Les jambes étaient comme possédées par la voix sévère de Mademoiselle Pimel. Il fallait bien préciser M-A-D-E-M-O-I-S-E-L-L-E. Cela ne signifiait pas qu’elle était jeune, non, on voyait bien que le temps avait dessiné son visage. 

 

Elle ne s’était pas mariée.
 

Un jour Jo avait entendu sa maman parler avec Madame Clivotte la voisine. Selon elle, Mademoiselle Pimel « n’avait pas trouvé chaussure à son pied ». De ce coté là, Jo était rassurée, car elle trouvait toujours sa pointure dans le magasin de Monsieur Romi. C’est certain, elle, on l’appellerait Madame.
Remontez votre dos ...Aujourd’hui c’était plus dur. Peut-être que cela avait un rapport avec le monsieur à la veste bleue. Toutes les filles l’avaient aperçu en arrivant. Peut-être que Mademoiselle Pimel allait devenir Madame Veste Bleue. Oui Mademoiselle Pimel était différente aujourd’hui ... plus haute la jambe..., on le voyait bien que tout son corps s’était rempli d’une chaleur, absente depuis longtemps. Elle voyait bien que du rouge commençait à enflammer ses joues, c’est ce qu’elle voulait cacher en étant plus sévère ce jour là. Mais tout le monde le sait, les paroles n’effacent pas les couleurs. 

Le Monsieur à la veste bleue, s’appelait en réalité Monsieur Pavrotti et arrivait de La Capitale.
...Et pointez ... première ... seconde...Jo haletait, elle savait au fond d’elle que ce jour-là était différent, la douleur se concentrait sur le bout de ses pieds, mais ils ne s’arrêtaient pas. Tantôt ils caressaient le sol, tantôt le violentait. C’était comme une histoire de passion entre les pieds de Jo et le parquet.  Jo pensait souvent que la vie était comme un puzzle, dont on est l’élément central, mais qui ne peut être fini que lorsqu’on rencontre les bonnes pièces, celles qui s’assemblent sans forcer. Lorsque Monsieur Pavrotti s’était approché pour murmurer à l’oreille de Mademoiselle Pimel, Jo comprit que son professeur de danse avait enfin trouvé sa pièce manquante, quoique bien jaunie par les années. 

Pourtant ce ne sont pas des mots d’amour que Monsieur Pavrotti murmura ce jour-là. 

 

                                                                      ∴

Ce qu’elle aimait Jo avec le courrier, c’est que son papa l’autorisait parfois à ouvrir les lettres à l’aide de ce drôle de poignard qu’il gardait dans un petit coffre du salon. Ce poignard n’avait d’or que la couleur, mais Jo aimait l’appeler le Trésor. Après approbation paternelle, elle brandissait la petite lame et d’un geste minutieux faisait gémir le papier. Cette fois là, c’était encore plus magique, puisque la lettre lui était adressée.

Mademoiselle Josette C,
J’ai le plaisir de vous informer que vous avez été retenue pour participer au Grand Ballet de la Capitale.
Ce Grand Ballet vous permettra, si vous êtes sélectionnée, de faire partie de la troupe du Grand Opér
a.

Edgard Pavrotti

C’est étrange comme le statut de trésor peut être rapidement remplacé dans l’esprit d’une personne...
Pour Jo, cette lettre était la chance de sa vie. Dans les jours qui suivirent, ce n’était pas Jo, petite fille danseuse à ses heures perdues qui s’entraînait dans le salon, non, c’était bien plus que cela.

Jo arrête de rêvasser ... Tutu blanc, Jo avance aussi gracieusement qu’un cygne, ses pieds flottent sur la scène, elle lève les yeux, elle ne voit rien, elle sent juste la chaleur de la lumière sur sa peau et cette petite goutte qui perle sur l’arcade, elle a peur, non elle n’a pas peur, c’est juste comme une main qui serre très fort dans son ventre, c’est à elle, c’est son solo ... Jo arrête de rêver...Georges il faut faire quelque chose avec cette petite, elle m’inquiète tu sais...

Le paradoxe de la jalousie, c’est que ce n’est pas forcément ceux qui possèdent le moins qui sont jaloux. 

Ilana Moscovitch avait retrouvé le sourire. Madame Moscovitch lui avait fait cadeau de son porte monnaie en perles roses pour la consoler. Pourquoi Monsieur Moscovitch était si violent, personne ne le savait. Parfois on en parlait dans le quartier, très doucement bien sûr ; Monsieur Moscovitch possédait presque tous les mûrs des commerçants du quartier. Madame Clivotte disait que c’était "la faute aux Rouges" si Monsieur Moscovitch était si violent. Et que la Russie était le pays des monstres. Jo aussi avait eu peur des Rouges quand elle allait à bicyclette récolter le produit des tickets de rationnement. Pourtant, pour Madame Moscovitch, ce n’était pas cela la Russie. Jo avait remarqué que ses yeux semblaient comme restés là-bas, un regard, éternellement tourné vers l’Est. 

Même si Ilana reflétait souvent sur son visage les colères de son père, elle restait Ilana, celle qui mangeait avec des cuillères en argent, celle qui arrivait aux cours de Mademoiselle Pimel dans une voiture noire immense, celle qui allait dans une Eglise comme le palais de Shéhérazade. La Russie était loin, elle ne l’avait jamais connue, mais commençait toujours ses phrases par un majestueux En- Russie-virgule. 

                                                                                   ∴ 

 

Jo avait appris, encore une fois par Madame Clivotte, source intarissable de l'histoire quotidienne du quartier, qu’une autre petite fille avait été choisie pour le Grand Ballet. 

 

Madame Moscovitch mettait beaucoup de parfum. Elle en mettait tellement, que sa présence ne se résumait que par une odeur. Une odeur très forte, une odeur de Musc, d’argent et de nostalgie, une odeur qui ne pouvait pas s’oublier. 

L’argent, elle le savait ne permettait pas seulement de s’acheter du parfum. 

Jo ouvrit sa boîte rouge comme toujours avec excitation. Ilana avait déjà mis ses chaussons, on ne la voyait pas. Ce jour-là c’était son nouveau porte monnaie en perle roses qui avait pris la tête de l’affiche. Les filles bourdonnaient autour de lui. 

Non, Jo n’était pas jalouse du porte-monnaie en perles roses, elle était révoltée contre le pouvoir de l’argent. Puis tout s’est déroulé si vite. Ilana, Josette, Josette, Ilana. Deux petites filles, deux caractères, deux mondes...

Lorsque Mademoiselle Pimel prononça le prénom d’Ilana, elle avait ce petit rictus, presque imperceptible, sa lèvre inférieure qui s’immobilisait quelques secondes, comme si cette lèvre voulait retenir les mots.

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dernière danseChapitre7 messages | 5 ans
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