Une nuit agitée

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Ils marchaient ensemble vers la maison de l’Ancien. Sighdur était plein d’appréhension, comme tout Tirgalion, il n’avait jamais quitté Tirgoval. Il se mit à soupirer. La tâche qui lui incombait semblait être un poids insurmontable. Il commençait à regretter d’avoir ramassé ce foutu caillou de malheur. Il était jeté en pâture au monde, laissé seul, jeté comme une vieille chaussette, et devant lui un monde immense et inconnu l’attendait. Il ne savait pas comment s’y prendre, ni qui il devait trouver. Mais l’Ancien devina bien vite les pensées de notre pauvre compère, et le rassura.

— Cela fait bien longtemps que plus personne n’a quitté le Val. Je crois bien que oui, j’étais le dernier à être parti.

Sighdur s’arrêta. Le vieux avait donc parcouru Alinora !

— Oui, comme toi, j’ai parcouru Alinora pendant ma jeunesse. Tu sais, chaque Ancien l’a fait, par le passé. Nous sommes les garants du savoir en Tirgoval et nous nous devons de connaître le monde qui nous entoure. C’est pourquoi aussi, je t’ai demandé de m’accompagner, pour que nous parlions seul à seul. Car vois-tu, ce que j’ai vu est bien plus grave que ce que j’ai dit durant l’assemblée.

Ils continuèrent à marcher jusqu’à sa chaumière, et il fit signe à Sighdur d’entrer. Il prépara une bonne tisane au miel et une fois fait, ils s’installèrent à table pour discuter.

— Cette pierre, que tu as trouvée, est une Pierre Divine, l’une des douze pierres que l’on appelle couramment de Pouvoir. Elles ont été données aux races d’Alinora par les Dieux, pour qu’elles puissent protéger le monde en cas de danger. Et seuls certains êtres sont capables de les posséder et de s’en servir. C’est ce qui d’ailleurs est arrivé au Forgeron, il a voulu tenir la pierre entre ses doigts et n’a pas résisté à sa puissance. Curieusement, toi, tu as le don. La Pierre t’a choisi. À cause de ce don, tu mets tout Tirgoval en danger, car il est dit dans d’anciens textes que le Mal Incarné reviendra, et qu’Il cherchera par tous les moyens à les retrouver. Je l’ai vu, grâce aux oracles. Les signes qui annoncent son réveil sont parmi nous.

Tu dois trouver un moyen qu’Il ne mette pas la main dessus. Il existe au Sud, une forteresse appelée « Le Dernier Rempart ». Les hommes qui y vivent font partie d’un vieil ordre et ils veillent sur une des Pierres, l’une des plus puissantes, afin qu’elle ne tombe aux mains de personne. Tu dois t’y rendre, ils sauront t’aider.

L’Ancien se leva et se dirigea vers un petit coffre qu’il dissimulait sous son lit. Il le ramena à table et l’ouvrit. Il sortit une petite dague, un parchemin bien enroulé, et une cape faite d’un tissu étrange.

— Ce n’est pas grand-chose pour ton périple, mais tiens. Cette dague que tu vois là, m’a été bien utile durant mon voyage, il y a bien longtemps. Elle ne te protégera pas de grands dangers, mais tu pourras te défendre un minimum. Ceci, c’est une vieille carte. Elle a plus de cent ans, mais c’est une bonne base pour te diriger. Quant à cette cape, elle fut faite par un grand couturier Inothaï. Elle te teindra au sec et chaud, qu’il pleuve, qu’il vente ou fasse grand froid. Nous nous la repassons, d’Ancien à Ancien pour nos périples.

Sighdur remercia l’Ancêtre. Pas forcément de gaieté de cœur. Il soupira encore et encore, retenait ses larmes. Alors qu’il rêvait de voyage et de découverte, là, d’un coup, il ne voulait plus partir. Les mots suivants de l’Ancien le rassurèrent encore moins.

— Sois vraiment prudent. Il a été défendu aux humains de parcourir nos terres par le passé. Pour eux, les Tirgalions sont des êtres de légende et n’existent pas ou plus. Tu risques d’attirer la convoitise de marchands ou quelque prince cupide, alors sois toujours sur tes gardes et n’accorde pas ta confiance facilement. Ne mentionne pas la pierre à moins que tu sois obligé ou que tu sois arrivé à destination. Rentre chez toi maintenant. Fais tes bagages, légers bien sûr, et repose-toi. Tu vas en avoir besoin.

Sighdur n’arrivait pas à dormir et se retournait constamment dans son lit. Il s’en voulait. Pourquoi avoir été aujourd’hui dans ce stupide bois ? Pourquoi fallait-il encore qu’il aille voir cette tâche sombre ? Pourquoi n’avait-il pas encore une simple fois réussi à réprimer son insatiable curiosité ? L’inquiétude le rongeait, il avait extrêmement peur de ce demain qui arrivait bien trop vite à son goût.

Il repensa à ce foutu cailloux et ce qu’il avait vu pendant qu’il la tenait. La vision qu’il avait eu était terrifiante, il n’arrivait pas à l’expliquer correctement. Était-ce le futur ? Le passé ? Que pouvait donc bien faire cette pierre ? Avait-elle réellement un pouvoir ? Il fut tenté de la regarder à nouveau, mais il se ravisa. Il ne savait pas combien de temps il avait été plongé dans cette pierre, ou combien de temps il avait perdu connaissance. À vrai dire, il ne savait pas réellement ce qui lui était arrivé, et il n’avait pas envie de revivre une telle expérience.

Il repensa aussi aux paroles de la Mégère et de l’Ancien. Visiblement la situation était vraiment grave pour qu’ils s’en soucient autant tous les deux. Douchdori avait encore été pire que les dernières fois. Elle lui avait déjà passé de multiples savons, mais jamais elle n’avait été aussi mauvaise. Il n’avait jamais vu la Mégère cracher au visage de quelqu’un. Leurs paroles soulevaient plus de questions qu’elles n’en résolvaient. Quel était ce Mal, pourquoi ne pas dire ce que c’était ? Qu’est-ce qui allait arriver ? Toutes ces questions ne faisaient que renforcer son angoisse qui grandissait au fur et à mesure que la nuit passait. Il supplia Dothiria de lui venir en aide, de lui envoyer un signe. Mais rien ne vint. Au bout d’un long moment, la fatigue l’emporta et il sombra dans le sommeil.

Il rêva. Il se trouvait dans une vallée verdoyante, un peu semblable à Tirgoval, mais beaucoup plus luxuriante. Alors qu’il se promenait dans ce cadre bucolique, il tomba sur une grande créature. Une géante, comme l’homme qu’il avait vu dans les bois. Elle avait de longs cheveux dorés, les yeux d’un blanc éclatant, et le regardait en souriant. Sa robe immaculée semblait légère et flottait au vent. Un halo lumineux l’entourait, la rendant impressionnante. Mais à ses côtés, il se sentait apaisé, d’un geste tous ses doutes, ses angoisses s’envolèrent. Elle lui adressa la parole.

— N’aie pas peur, jeune Tirgalion. Le chemin est long et la tâche est ardue, mais tu n’es pas seul. Cherche la lune bleue dans l’eau profonde et dirige-toi à l’est. D’autres attendent ta venue depuis bien longtemps.

Elle lui sourit une dernière fois, caressant sa joue d’une main bienveillante et disparut dans la nuit.

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