Comment on devient (presque) malhonnête. (18)

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C'est quoi ce bordel ? Etienne nous a rejoint, la chef sur ses talons. Le beau-père sort de la Rolls. Il me tend la main. "Vous êtes le père de mon futur gendre ? Enchanté de faire votre connaissance. J'aurais préféré dans d'autres circonstances. On ne refait pas l'histoire." Machinalement je lui serre une main dure et sèche. La mienne doit être molle et moite. Je regarde Etienne. Ce con se marre comme un écolier qui vient de faire une farce à un copain. Je me tourne vers le grand. Il est aussi expressif qu'un coquillage sorti de son élément liquide. Moi, je me sens comme une cocotte minute prête à cracher son excès de vapeur. "Qu'est-ce que tu fous là ?" Evidement, il ne répond pas, les yeux éteints, les lèvres soudées, les épaules plus basses que la ceinture de son pantalon. "Il vient avec nous." C'est la fiancée qui vient de l'ouvrir. Je la fusille du regard. Le beau-père s'avance. "Il nous suit en Amérique". Si j'avais eu une chaise, ou juste un tabouret, ou quelque chose pour poser mes fesses, je serai tombé sur le cul d'étonnement. Tout à coup la réalité me remonte aux neurones. "Et la 4 L ?" – "Elle est garée chez grand-père." Le grand vient de faire entendre sa voix. Contrairement à son attitude, elle est posée, ferme, définitive. Et l'Etienne qui se gondole en voyant ma tronche d'ahuri. Enfin, c'est l'idée que je me fais de ma physionomie. Heureusement que le garage est mal éclairé.

"Pourquoi chez grand-père. Qu'est-ce que tu lui as raconté ?" – "Il en avait besoin." Besoin ? Et pourquoi ? "Il voulait pas salir son Audi." Je renonce. J'ai la sensation d'être le con de service. Ce qui me surprend le plus, c'est qu'Etienne ne tombe pas de la Lune, comme moi. On dirait qu'il est au courant. Faudra qu'il m'explique. Après. Je reprends mes  esprits. Je retrouve ma couleur d'origine. Je dirige tout ce beau monde vers la cuisine salle de séjour. Je sors les verres et une bouteille d'une bibine quelconque. Une de celles que je garde pour quand un voisin passe pour me demander un service et que je n'ai pas envie de lui rendre. "Du thé pour les dames ?" Elles déclinent mon offre. Le vieux présente la jeunesse qui était sortie demander la chevillette. "Ma future épouse." Et allez donc ! Ce truand quitte à la fois la France et sa régulière. Et en plus il kidnappe mon fils. "La Rolls, c'est tout ce qui me reste. Nous n'avons pas été suivis. Je compte sur vous pour que la suite se passe comme prévu." En Amérique ! Le grand fiche le camp en Amérique. Et moi qui me creusait le ciboulot pour lui trouver un avenir. Etienne me tape sur l'épaule. "Allez, Marius, c'est la vie." La silhouette du gros René passe furtivement derrière mes cellules visuelles. Le gros René, qu'est-ce qu'il sait de toutes ces magouilles, le gros René ? Et Etienne ? Lui aussi, il était dans la confidence ? "Le camion arraisonné, c'est la goûte qui a fait déborder le vase. On a les flics et les douanes au cul." C'est le père qui parle. Je m'en fous. Il aurait la CIA et le KGB pendus à son froc, que ça ne me ferait ni chaud ni froid. Mais pourquoi il a mouillé le grand ?

Une giclée d'eau frappa violemment les vitres de la porte. Une voiture venait de faire une arrivée de western dans la cour de la ferme. Deux gros types entrèrent en trombe dans la pièce. "Putain de salle temps." – "Salut les gars." Il n'y eut pas un mot de plus échangé entre les nouveaux arrivants et les anciens. Le grand se leva de sa chaise et les conduisit à la grange. "Et eux, ils partent ?" Le vieux me regarda en rigolant. "Non, ce sont, comment dire, des mercenaires. Vous voyez ?" Comme moi en quelque sorte. Des qu'on utilise et qu'on abandonne derrière soi après usage. Je me sens bouillir. J'ai envie de tout plaquer. Etienne a remarqué mon changement d'humeur. "Pense à ton fils." Ce petit con doit se mettre au vert. Je me calme. "On a encore deux heures à tuer." Que je dis à la cantonade. Il fallait que je me repositionne. Je ne suis peut être qu'un vulgaire comparse. Mais pour cette séquence, c'est moi le chef. Et la nuit risque d'être longue. Longue et mouillée. Et boueuse. Mais je ne m'attendais pas à cette plongée dans la merde. Je raconte après. Enfin, après le passage, mais avant la suite. Avant l'heure où je me retrouvais seul, face aux cailloux que ce vieux Poucet vicieux a semés derrière lui sur son chemin. 

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