Comment on devient (presque) malhonnête. (14)

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Lundi, quel week-end mes aïeux ! Tout se désorganise. Le matériel n'est pas arrivé. Je suppose que le bateau, non plus, n'a pas donné signe de vie. Par contre ma proposition de virée belge, j'étais obligé de confirmer. Je me suis fendu d'une montagne d'euros pour que ce petit crétin balade sa nouvelle dulcinée. Mais c'est pas le pire. Le pire, c'est que j'ai mis en marche la "machine". Je veux dire le gros René. En fait, je vais pas vous narrer tout ce qui s'est passé depuis mercredi dans l'ordre chronologique. Dans chronologique, il y a logique. C'est pas une de mes qualités premières. Je tape sur la bécane les souvenirs comme ils remontent en surface. C'est comme des bulles d'air dans l'eau bouillante. En plus, elles éclatent toutes en même temps. Il faut que je trie. Mes doigts ont peine à suivre. Beaucoup s'évaporent dans la pièce avant que j'aie pu les saisir. Ah oui ! Le gros René ! Ben, quand il a vu passer la 4 L revenant de faire le plein d'essence bleue, il a levé un sourcil. Vous me direz que j'ai un œil d'aigle. En fait, je ne dirais pas que je l'ai vu de mes yeux vus, mais je donnerai ma tête à couper qu'il a haussé le sourcil gauche. Il sortait de chez son indic préféré, Jojo. Je suis passé au ralenti. J'avais idée de prendre l'atmosphère et un verre de blanc. Quand j'ai vu la voiture de la gendarmerie, j'ai changé mes plans. J'ai accéléré. Mais j'ai eu le temps d'apercevoir le regard noir et inquisiteur du gros René. D'un autre côté, à voir les choses en positivant, c'est exactement l'effet que je cherchais. Sauf que c'était pas le bon jour. Si le grand en promenant la maréchaussée les mettait en branle pour que dalle, ils risqueraient, les pandores, de ne pas s'y recoller le jour "J". Quand j'aurais besoin de les éloigner. Je vais pas vous bassiner avec mes suppositions. Je passe tout de suite aux résultats. Le grand est bien parti. La fille l'attendait à Hirson. Ils ont été en Belgique, du côté de Chimay. Le grand voulait voir le circuit automobile, la fille, le château, le théâtre, ou je ne sais quoi d'architectural. Une intello cette petite, c'est pas plus mal pour le grand. Ça lui ferait même le plus grand bien, à ce petit con, de s'instruire. Et, s'instruire par osmose, par système de vases communicants, le pied ! Comme quoi l'amour a aussi une utilité intellectuelle. Surtout à cet âge.

 Je n'ai pas su qui avait filé les tourtereaux. Ce que j'ai su, par contre, c'est que ces deux salauds m'ont fait un petit dans le dos. Figurez-vous que la 4 L, ils l'ont abandonnée sur un parking, dans la forêt. Ils se sont servis de la voiture de la fille. Comment je l'ai su ? Par le gros René. Il a frappé ce matin de bonne heure à la porte de la cuisine où je me régalai d'une tranche de pain rassis en piochant de la pointe de mon opinel dans une délicieuse terrine de lapin. "Corbeau junior croit qu'il peut nous semer avec ses ruses de gosse de cinq ans." C'est comme ça que j'ai su qu'ils étaient allés à Chimay, et leur emploi du temps. Leur passage par l'abri d'Hitler et autres pérégrinations qui ne m'ont pas intéressé outre mesure. J'ai pas imprimé les détails. "Je pense que ton fils se tient tranquille. Mais, j'ai des ordres. Cette affaire de camion, ça leur pose problème, dans la hiérarchie. Ils ont, apparemment, remontés jusqu'à son ex." Le gros René n'arrête pas sa moulinette à potins. Tout ce qu'il me raconte, je le sais déjà. Le grand m'a, presque, tout dit. Je dis presque, parce que le gros René sait aussi d'autres détails. Le beau-père, il est fiché, un ancien d'Afrique, ex de l'armée, plus ou moins baroudeur, un affreux quoi ! Sa fifille, rien de particulier, sinon que dans ces milieux la famille ça se serre les coudes. Comme chez nous, si on excepte cette salope d'Odile et son demi solde, on a tendance à l'entraide. Bref, le gros René cherche à me faire peur pour empêcher le grand de renouer avec ces bandits. "Ça me ferait mal qu'il soit arrêté en même temps que la bande." A moi aussi, ça ferait mal. On n'a jamais eu à faire à la police, c'est pas maintenant qu'on va commencer. Et la Rolls me direz-vous ? Rien à voir ! C'est pas de la drogue. Une petite ballade innocente. Et puis prendre à un milliardaire pour voler un autre milliardaire, somme toute, y a pas plus moral. Avec un peu de chance, ces requins s'entre dévoreront sans appeler l'état à l'aide. Sans crier "au voleur !" C'est juste qu'il vaut mieux prendre quelques précautions. Des fois que…

Le gros René m'a quand même fait comprendre que junior, comme il l'appelle, il ferait bien de rester peinard dans le canton. Sa dulcinée résidant, elle aussi, dans la circonscription de la gendarmerie, il contrôlait la situation. Si personne ne jouait au con ! Message reçu.

J'ai rien dit au grand quand il s'est levé, vers les onze heures. Il ne faut pas que je lui foute les chocottes. Il est indispensable qu'il remette le couvert quand la Rolls pointera son capot dans la cour de la vieille ferme.

J'ai reçu un coup de fil des Mandrins. Le compresseur sera livré demain soir. Je serai bien inspiré de prévoir un hébergement pour deux, avec deux lits séparés. J'en ai conclu que "la" chef serait du voyage. Ils m'ont averti que tout sera DÉFINITIVEMENT mit, noir sur blanc. Que je saurai la date. Les dernières instructions pour passer tel un fantôme à travers la ligne fictive de séparation des peuples qui n'en demandaient pas tant. Je bous, littéralement, d'impatience. Je vais être franc. Le gros René, je le trouve un peu trop sur mon dos. Il dit le grand par-ci, le grand par-là, mais j'ai le sentiment qu'il camoufle. Qu'il me mène en bateau. Qu'il essai de m'endormir avec l'histoire du grand et de son épopée au cul du camion de tongs. Qu'il a repéré, et identifié, mes "clients" du gîte rural flambant neuf que j'ai mis en route pour la circonstance. Ou alors, c'est mon subconscient qui me torture. Le gros René se serait changé en Jimmy le Criquet. Pour dire vrai, je sais plus. Soit, je délire. Soit, je suis extra lucide. Soit, je suis juste réaliste. Mais là, j'avoue que ça commence à me foutre les boules.

Bon, du nerf, c'est pas à mon âge que je vais me dégonfler devant un gros plein de soupe qu'on tolérait par bonté d'âme quand on était gamin. Le gros René, je vais pas m'aplatir devant. C'est pas parce que j'étais fonctionnaire dans mon ancienne vie, que je vais faire le péteux devant un uniforme. C'est pour le coup qu'Etienne se foutrait de ma gueule, et avec raison.

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