Comment on devient (presque) malhonnête. (7)

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Ils montent dans leur fourgon, un signe de la main, bye ! Ouf ! Une bonne chose de faite. Le jeune gendarme a bien regardé par-dessus son épaule, au moment de partir, en direction du hangar, mais il n'a rien dit. Pas de panique, je tiens tout ça dans la pogne. J'ai eu chaud, il va falloir que je fasse attention pour la Rolls. On va prendre le tracteur. La 4 L est grillée, il faut qu'elle reste au placard. C'est pas le moment de la faire parader devant la flicaille aux aguets. Quand même, le grand, il a besoin de faire ses preuves. Le métier ça vient pas par l'opération du saint esprit. C'est pas à un vieux briscard comme moi qu'il faut raconter des contes pour gamins en culottes courtes. Je biffe la dernière phrase, les culottes courtes ont disparu en même temps que le vin vieux dans les habitudes des nouvelles générations. S'il me téléphone, il va m'entendre ce petit con !

Mardi, je finissais mon petit déjeuner, dans le style campagne, tranche de pain de deux jours, mais du vrai, fait au four à bois, pâté de campagne de mon copain le charcutier, rebaptisé traiteur  pour faire moderne, un vieux Bordeaux sorti du cellier, parce que j'ai aussi un cellier, et en terre battue s'il vous plaît, bref, je me restaurais, qu'est-ce que je vois à travers le carreau de la cuisine, entre les rideaux vichy rouge et blanc,  la tronche de mon grand, le teint terreux, l'œil de cocker triste, la mèche sur la joue. "Entre !" Qu'est-ce qu'il a encore ce petit con, il s'est fourré dans une merde que je serai pas étonné outre mesure.

Bingo ! J'ai deviné juste. Il est dans une merde grasse. Le voilà qui se lance dans le récit de sa cavale. En fait, la conséquence de son expédition, sauf que maintenant, il a sur le dos, et son beau-père de patron, et sa dulcinée, et peut être, mais il n'en est pas sûr, les flics des douanes, ou les gendarmes. Je passe sur les détails, c'est désolant de connerie. "Te biles pas" Que je lui dis, je tiens la situation en main. Ça n'a pas l'air de le rassurer. Il fait une gueule de troisième rôle dans un film policier, celui qui sait que son contrat se termine avec la scène qu'ils sont en train de tourner, et qui se demande si son nom sera visible sur le générique. "N'est pas gangster qui veut." Que j'ajoute. "Par contre, tu tombes bien, il se pourrait que j'aie besoin de toi, sous peu." Je dis ça pour lui remonter le moral, pensez que je vais pas passer la Rolls avec un nul comme ça. J'ai pas envie de me faire pincer, il doit être surveillé. Faudra que je l'éloigne avant, par prudence. "Dis donc, j'ai pas entendu ta bagnole ?" J'aurai mieux fait de rien dire. Le voilà qui plonge son nez dans son blouson de cuir. Pas de la camelote, de la marque comme ils disent maintenant. Je parle du blouson. J'apprends que ce minable s'est fait piquer SA voiture toute neuve par son ex dulcinée.

La famille d'adoption c'est beau de loin, ça brille, mais ça tient pas la distance en cas de pépin. "T'es là comment ?" Il vient à pieds du centre ville. Il a pris l'autobus. Son ex beau-père et ex employeur l'a carrément viré à coup de pompes dans le cul. Comme je vous le dis. En plus ils ont bloqué son compte en banque que son ex fiancée s'est empressée de vider au préalable. Le voilà de retour, sans travail, sans domicile et sans le moindre sou. A ma charge quoi ! Mais qu'est-ce que je vais foutre de ce nullissime crétin. Quand je pense que je me suis saigné aux quatre veines pour le pousser en fac ! "Bon, petit, t'es ici chez toi. Tu le sais. Mais fait pas le mariole, la maréchaussée surveille les environs." Pendant que je le réconforte, un luxe quand on pense à ce qu'il a fait, mais c'est mon gosse ! Pendant que je lui remonte le moral, il me vient une idée. Je ne vais pas passer la Rolls avec lui, mais il va me servir de dérivatif. Un leurre en quelque sorte. Je vais lui faire balader la flicaille pendant qu'Etienne et moi on s'occupera du travail sérieux. Je rigole intérieurement. Je sens que mon dos se redresse, ça me requinque de montrer à ce jeunot que les vieux, c'est pas parce qu'ils ont l'air de ringards qu'ils en sont. Son compte en banque florissant me gonflait grave. Maintenant qu'il est à sec, je reprends ma position de chef de famille. Et même physiquement, il s'est tassé d'au moins dix centimètres, peut être quinze, le voilà plus bas que moi d'une bonne tête. "T'as faim ?" Ce petit crétin n'osait pas demander. Je pousse devant lui le pain le pâté et la bouteille de Bordeaux. Il saute dessus comme s'il n'avait rien mangé depuis deux jours. "Hier, j'ai rien mangé. J'avais que trois euros en poche et ma carte a été avalée par le distributeur." C'est lamentable que je pense en moi-même. Mai ça lui servira de leçon. "Bon, c'est pas tout ça, tu file à la douche, je préviens papy pour pas qu'il s'inquiète. Parce que je parie que tu t'es vanté devant lui pour ton compte en banque et ton ex belle-famille." Ces deux là sont comme cul et chemise, depuis qu'il est né, mon père n'a jamais pu lui refuser quoique ce soit. C'est lui qui a payé la fac. Tout à l'heure je vous ai dit que je m'étais saigné aux quatre veines, ce n'est pas faux, mais je serai malhonnête si je ne disais pas que mon père avait participé pour quatre vingt pour cent dans la dépense. Le cadet m'a rien coûté, sa mère, cette salope, a, pour une fois fait marcher son cul dans la bonne direction. C'est le bellâtre qui les a lâchés, ses picaillons. Sur le coup, ça m'a un peu vexé, mais bof…J'avais plus les moyens, et le père il commence à décliner, question patrimoine. Allez ! Je lui téléphone que le grand est ici, et pour un bout de temps si mes pronostics sont exacts. "Au cas où les flics reviendraient, tu sais rien, t'es en vacances." Il opine du chef et file se doucher.

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