Comment on devient (presque) malhonnête. (4)

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En arrivant à la hauteur de leur Mercedes, je pense tout d'un coup que, si je conduis la Rolls jusqu'en Belgique, il me faudra un moyen de transport pour rentrer. "Vous me ramènerez chez moi ?" – "C'est pas comprit dans la rémunération." Merde ! J'ai pas envie de revenir à pattes, ou en vélo. Si on peut rentrer un vélo dans une Rolls. Elle est plus faite pour trimbaler des altesses que du matériel de camping. Je me vois mal avec une bécane accrochée sur un porte-bagages comme on en voit derrière les vans de touristes. Plus prolo y a pas, ou plus snob ? Je rigole et le gros me regarde, interrogatif. Je lui dis que je pense aux mille cinq cents tickets. Ça lui suffit. Il fait un signe de connivence, dit à son chauffeur de démarrer. Il ferme sa vitre en me souhaitant une bonne nuit.

Je sais…Je sais ce que j'ai oublié de demander. La Rolls, mais quoi d'autre ? De l'or, de la came ? Allez ! Mille cinq cents euros, et pour une heure de conduite, et sans danger, je connais la forêt comme ma poche. Pas de problème. Sauf…Qu'il me faut de l'aide. Pour le retour. Un complice…En quelque sorte. J'ai une bonne semaine pour y réfléchir. Jeudi, onze heures, mon grand vire dans la cour en crissant des pneus. Je dis mon grand en parlant de mon fils aîné, le cadet qui est plus grand que lui en taille, je l'appelle l'asperge. C'est pas péjoratif, juste amical. Pensez, un gaillard d'un mètre quatre vingt dix, moi qui frise les cent soixante dix centimètres, ça me fait tout drôle. Vous avez remarqué comme les enfants ont poussé en hauteur ces dernières années. L'aîné mesure un mètre quatre vingt, le plus amusant, c'est que je le trouve moyen. Ma taille n'est plus l'étalon comme dans l'ancien temps. Mon père aussi est plus petit que moi, mais pas dans de telles proportions, à peine trois centimètres en moins. Donc il s'arrête contre la porte de la grange, un cabriolet rouge, mon rêve. "T'as trouvé un job dans une concession ?" Après de multiples boulots, je suis content qu'il ait enfin trouvé un vrai travail. "Non, il est à moi. Enfin, c'est Patricia qui n'en a fait cadeau." Putain ! C'est pas vrai ! Voilà que mon propre fils vire gigolo. Je fais la gueule, je lui dis, ça le fait rire. "Tu parles de la voiture, mais je pouvais me la payer, j'ai de quoi sur mon compte." Là, j'ai failli m'étrangler. "Ça va chercher dans les trente mille ce petit cabriolet." – "Quarante cinq." Mon sang quitte ma tête et se bloque dans mes fesses m'envoyant comme un sac de plomb le cul sur une chaise. "Tu bosses depuis quand ?" – "Trois mois." – "Et, t'as de quoi t'acheter ce petit bijou, en trois mois de travail ?" – "Je suis gérant d'une société d'import export. Ca marche bien." – "Je vois. Et…Qu'est-ce que tu import exportes ?" – "Des tongs." – "Des trucs en plastique…A dix balles ?" – "En anciens Francs." – "Tu te fous de moi ? Tu vends des sandales chinoises à trois francs six sous, et en plein hiver ?" – "Ben oui, c'est pas la saison, mais ça marche." – "Je serai curieux de t'entendre."

"Mon boulot consiste à importer des tongs, pour le moment. Mon beau-père m'a dit qu'il fallait commencer par une marchandise pas difficile. Ensuite on les livre chez les grossistes." – "Alors, tu te pointe au Havre pour recevoir les conteneurs…" – "Non, la marchandise arrive à Casablanca." – "Tu es déjà allé en Chine, pour les achats ?" – "Mon beau-père a un correspondant sur place." – "Et pour Casablanca ?" – "Pareil, il y a un intermédiaire." – "Tu fais quoi, le transport alors ?" – "Non, c'est un Polonais qui s'en charge. Il assure ce boulot depuis des lustres pour le beau-père." – "Tu vas pas me dire que tu n'as jamais vu les clients non plus ?" – "Ben, si." – "C'est quoi ton boulot ? En détail." – "La secrétaire m'appelle pour signer les papiers. C'est comme ça que je me mets au courant." – "Je résume, tu n'achète pas la camelote, tu ne la réceptionnes pas, ne la transportes pas, ne la livres pas, ne la vends pas…Tu fous rien, en fait." J'ai envie de lui demander s'il baise comme un dieu, parce que un boulot comme ça... Ça pue le gigolo que papa paye à sa fifille. "Si je suis ici, c'est que justement c'est moi qui assure le passage en Belgique." – "Tu vas vendre tes saloperies en Belgique ?" – "En Hollande." – "En plein hiver ? Il doit pas y avoir foule pour les acheter." – "Ça fait bizarre hein ! Mais ça marche, alors pourquoi se prendre la tête." – "Mais, dis-moi, pourquoi tu passes par ici ?" – "C'est moi qui ai eu l'idée de passer par Hirson. Du coup le beau-père m'a félicité. Il m'a dit qu'il était content que ma fille lui ait emmené une telle recrue, qu'on allait faire des affaires ensemble, etc. Le camion m'attend à Hirson, devant le routier." C'est quoi cette embrouille ? Il va pas faire passer un camion de tongs par la forêt quand même ? "Ben, si, c'est mon idée." – "T'es sûr que c'est des tongs ?" – "C'est marqué sur les bordereaux. Et puis j'ai vu les ballots, ça pue le plastique. Sûr que c'est des tongs. Je vais faire un tour en forêt…Pour voir l'état des chemins…Justement, tu peux me prêter ta 4 L ?" C'est pas possible…Ce petit con va passer de la marchandise en contrebande. Et quoi comme came ? Il sait pas…J'aurai tout entendu ! "Ton beau-père…C'est un trafiquant ?" – "Import export." – "De la drogue, de l'or, des cigarettes ?" – "Des tongs." Là, il se fout carrément de ma gueule. Le sang reflue dans mes oreilles. Je vois rouge. "Tu vas finir en tôle." – "Pour des tongs ?" Je me retiens plus, je le traite de tous les noms qui me passent par la tête. "La 4 L, tu me la prête ?" Le sang me retombe sur le cul, et moi sur la chaise. Que faire ? On se regarde bêtement. "D'accord, mais discret." – "Merci, t'es le plus chouette des pères. Je savais que je pouvais compter sur toi."

 

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