Elle descend de la colline en chaussons

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Je me souviens, un jour que j'avais entre dix et quinze ans (je me repère au nombre de mes déménagements ; c'était après le soleil, et avant l'Angleterre), m'a mère m'a tirée du lit pour me mettre en voiture.

Je crois qu'elle était énervée parce qu'elle me demandait régulièrement d'aller acheter du pain, et que je ne le faisais jamais. Je sais qu'elle en avait assez que je dorme jusqu'à midi passé chaque fin de semaine. A vrai dire, cela m'exaspérait aussi, mais j'étais physiquement incapable de me lever avant.

Il y a des choses qu'on ne comprend qu'après, lorsqu'on nous a donné les mots pour les identifier.

Les mots sont comme des armes, parfois, et comme des boucliers.

A l'époque, j'étais juste "cette grosse paresseuse" (c'est toujours pire quand on est grosse. Une fille maigre n'aurait pas été aussi mal traitée). A l'époque, j'ai trouvé ça normal, qu'elle me mette dans la voiture alors que j'étais encore en pyjama, à peine le temps d'enfiler un manteau. Je crois que j'étais en chaussons ; je ne m'en souviens pas.

J'utilise très peu ma mémoire, sauf quand mon cerveau daigne trouver quelque chose important ; je n'utilise pas ma mémoire, mais des déductions : je me souviens avoir eu du mal à revenir, à avoir honte de ce que les gens pourraient voir de mes habits. Mon pyjama étant dissimulé sous un manteau, j'en déduis que je portais toujours mes chaussons lorsqu'elle m'a laissée sur le trottoir tout en haut du village.

Je ne suis même pas certaine qu'on ait acheté du pain. Je ne crois pas qu'il y ait eu de boulangerie là-bas, à cette époque. Ca se trouve, on est allé là-bas sans objectif (mais cela ne me paraît pas logique). Ou alors près de la poste ? Mais le chemin ne m'a pas semblé si long.

Elle est repartie en voiture, et je suis rentrée à pied. Il était tôt, je me souviens, car je n'ai pas croisé grand monde ; un soulagement puisque sur mon chemin se trouvait l'ancien lotissement où nous habitions avant.

Je ne sais pas si j'ai pleuré. Je pleurais beaucoup, surtout à l'époque ; j'ai sans doute versé quelques larmes. Il faisait beau, et le chemin descendait. Ce n'était pas une mauvaise promenade ; on longeait la forêt.

Il m'a fallut environ une heure pour revenir ; encore une fois, je ne fais pas appel à ma mémoire mais au temps qu'il me faut aujourd'hui, avec de plus longues jambes et un peu moins de masse, pour faire ce trajet.

Je ne sais pas si les autres se sont rendus compte de mon absence, ou de mon retour. On se parle si peu. Je n'ai rien dis à personne. Qu'y avait-il à dire ? On m'aurait accusé de l'avoir bien cherché.

C'est toujours de ta faute si les parents t'en veulent. Les parents aiment leur enfant, c'est un principe ; un enfant qu'on largue à l'autre bout d'un village est un enfant indigne de l'amour parental.

Ca y est, je sais pourquoi cela se passait avant Londres : en Angleterre, j'ai rencontré quelqu'un, une fille, qui m'a dit qu'elle n'aimait pas sa mère. C'est-ce jour que j'ai compris que les adultes mentent : ils prétendent des choses, beaucoup de choses, comme par exemple que les parents aiment leurs enfants et que conséquemment les enfants doivent aimer leurs parents.

Mais si on décrit leurs actions, leurs comportements, leurs dires ; si on analyse leurs attitudes et évalue leur relation à l'autre, en mettant de côté le fait qu'ils parlent à une personne sans expérience et dépendante d'eux, si on nomme et qualifie tout cela, on ne peut plus croire aux stéréotypes.

Une personne qui en abandonne une autre sans explication à l'autre bout d'un village, quelle que soit la relation qu'elles soient supposées avoir, n'est pas une bonne personne.

Décrire, analyser, évaluer. Y a pas à dire, les mots libèrent.

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Elle descend de la colline en chaussonsChapitre4 messages | 8 ans

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