Chapitre 7 - Secret Défense

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Quelques minutes après avoir quitté le quartier médical, toujours engoncé dans son armure, Capaxis fait le vide dans l'ascenseur qui l'amène aux plus hauts étages de la tour des officiers de Central. Il connaît par coeur ces couloirs pour les avoir arpentés pendant de nombreuses années. Lorsqu'il entre dans le bureau de l'amiral, deux gardes le saluent respectueusement.

  • Laissez-nous, leur ordonne l'amiral.

Le Cap se campe devant le bureau de son supérieur et lui adresse un salut guindé.

  • Repos, Philéas.

Le gradé se lève avec un soupir agacé. Il arc-boute ses deux mains contre le plateau de bois.

  • Qu'est-ce que c'est que ce bordel Capaxis ? Vous revenez avec deux Cadres blessés après une mission de routine ? J'espère que vous avez une bonne explication !
  • Vous m'avez convoqué à propos du rapport, amiral Traza, j'en déduis que vous l'avez au moins parcouru. Ce n'était pas une mission de routine, comme vous avez dû le constater.
  • Mais bon sang, Philéas, évidemment ! Il n'y pas de mission de routine dans cette ville pourrie. J'ai été sur le terrain aussi, alors me la jouez pas surpris. Comment est-ce que des tarés qui se fourrent des explosifs dans le cul ont pu mettre deux armures Cadre au tapis ? vocifère l'amiral. Comment est-ce que des péquenauds des rues ont botté le cul à l'élite de Megacity-17 ? Est-ce un problème de commandement, capitaine ? Où est-ce que vous avez merdé ? finit-il en hurlant et en frappant du poing sur la table.
  • Le sergent Reon a été attaquée aux nano-forets, répond Capaxis sans se démonter. Jusqu'à nouvel ordre la production de ces saloperies est punie de peine de mort. Alors qui leur a founi ? Les Sigma ont pourtant démoli la dernière usine clandestine il y a deux ans, et ce n'est pas exactement le genre de gadget qu'on trouve dans la rue.
  • Des nano-forets ? répète l'amiral pensif. Est-ce qu'on a pu les tracer ?
  • L'équipe de l'atelier est dessus, mais il semble que ce soit un nouveau producteur.
  • Dès qu'on aura quelque chose, je m'en occuperai personnellement.

L'amiral se rassoit dans son fauteil ostentatoire. Il ouvre négligemment le dossier de la dernière mission de Sigma-6 sur l'holo-projecteur, puis attaque sans même le relire :

  • Vous mentionnez dans le rapport un explosif non conventionnel important, est-ce qu'il a été sécurisé ?
  • Détruit avec le bâtiment, amiral, tente le Cap.
  • C'est du travail brouillon, Philéas. Vous comprenez que je vais devoir vous sanctionner pour qu'on ne m'accuse pas de favoritisme. Vous avez l'équipement de pointe, et un regard absolu sur vos recrues. Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous même pour ce fiasco.
  • Un équipement que je leur paie, amiral, au cas où Central veuille reprendre la main.

Cette pique assombrit le visage du supérieur.

  • N'oubliez pas ce que vous devez à l'Octavium, Philéas.
  • Je n'oublie pas, et je n'oublie pas non plus ce que l'Octavium m'a coûté, rétorque le Cap.
  • Trois semaines de mise à pied, Capaxis. Avec interdiction formelle de sortir en exo. Non négociable.
  • Au temps pour le favoritisme ! Mais soit.

Capaxis pianote sur le clavier virtuel projeté sur son avant bras.

  • Et ça amiral, qu'est-ce que ça signifie ? demande-t-il en projetant les vidéos de l'agresseur de Liv et son évacuation discrète.

Traza frotte sa main sur sa bouche, comme s'il cherchait à se baillonner lui même. Un silence pesant s'installe. Ses doigts vont et viennent sur ses lèvres, un tic d'hésitation évidente.

  • Je ne devrais pas, finit-il par soupirer.

Un dossier estampillé Secret Défense en lettres rouges s'affiche sur l'holo-projecteur.

  • Le premier a été identifié par hasard il y a un mois dans le secteur 17-Gamma. Un de nos indics a été menacé. Quelque chose ou quelqu'un a essayé de forcer les archives de son neuro-processeur. Le verrou de sécurité a déclenché une explosion qui a fait s'effondrer des bloc de béton sur l'un d'entre eux.

L'amiral lance une vidéo.

  • Regardez, aucune caméra de proximité ne le voit. L'indic semble parler dans le vide.

Les images défilent.

  • Là, c'est le flux vidéo d'un drone qui passait à proximité. Que dalle, nada, un vrai fantôme. Et là, boum, l'explosion, décrit l'amiral en pointant l'hologramme du doigt.

La vidéo tressaute. Puis le flux reprend, révélant un nuage de poussière et un attroupement de badaux.

  • Le corps apparaît comme par magie. Avant : rien, après : un corps. Le piratage des flux vidéo a dû être coupé quand il s'est fait écrabouiller par les briques. Une escouade Gamma à proximité a pu le rapatrier discrètement. Le vôtre, c'est le deuxième qu'on récupère. Tous les neuromat's sont dessus, ils ne comprennent toujours pas comment ces gars arrivent à altérer les flux des caméras, et plus grave encore, des holo-cornées.

Capaxis bouillonne intérieurement, mais tente de se tempérer. Il n'est déjà pas en position de force, et doit veiller à ne pas agraver son cas.

  • Pourquoi je suis pas au courant ? Cette nouvelle menace a failli coûter la vie à un de mes meilleurs éléments !
  • Le commandement ne veut pas que ça se sache. Imaginez : ces terroristes masqués piratent sans effort une technologie presque universellement implantée sur tous les citoyens. Aujourd'hui, ils viennent de pénétrer dans Central, ça peut remettre toute notre crédibilité en cause.
  • C'est du bon gros bullshit de politicard ! Que fait Central pour les arrêter ?
  • Tenez-vous Capaxis ! Suite à cette découverte, le commandement a envoyé une division de Nettoyeurs dans le secteur Gamma.
  • Les Nettoyeurs sont des bourrins, ils n'arriveront à rien, et vous le savez très bien. Il savent effacer des traces, mais ils sont cons comme des portes.
  • Ecoutez Philéas, ce n'est pas de mon ressort. La seule chose que je peux vous proposer, vu que vous êtes maintenant au courant, c'est que les Sigma-6 aient accès au dossier et aux corps, mais vous devez me garantir une discrétion absolue. Et ça ne remet pas en cause votre suspension, conclut-il en jetant un oeil noir au Cap.

Ce dernier ravale son indignation et salue promptement l'amiral. Les choses auraient pu bien plus mal tourner pour lui.

***

Liv ouvre les yeux en salle de renaissance, pour la seconde fois en trop peu de temps. Pourtant ce réveil est différent. Elle se masse la machoire, incrédule. Tout est en place, et son visage n'est pas tuméfié. La médicuve l'a bien retapée. Dans le lit d'à côté, Fox est encore inconsciente, le teint plus blanc qu'à l'accoutumée. Combien de temps s'est-il écoulé ? Que s'est-il passé après l'attaque de l'inconnu ? Côté implants, c'est toujours le silence total. Mais physiquement, elle se sent en pleine forme. On toque à la porte.

  • Salut la guerrière, alors, on fait la fête sans nous ?

Liv reconnait la voix et les nattes de Tarek, suivi de près par le reste de l'escouade. Seul leur supérieur manque à l'appel.

  • Hey, salut les gars !
  • Tu nous as fait peur ! dit le Russe
  • Où est le Cap ? demande-t-elle.
  • Il est parti voir l'amiral il y a deux jours, on l'a pas vu depuis, répond l'Ours.

La chambre, pourtant double, est maintenant bien encombrée. Le Doc, adossé les bras croisés à la fenêtre, fixe Gaëlle Reon l'air grave. Impossible de savoir s'il cherche à éviter la discussion avec Oualidi, ou s'il est juste inquiet.

  • Comment tu te sens ? demande Fizzerelli.
  • Etonnemment bien ! répond Liv. On est quel jour ?
  • Mardi.

Liv écarquille les yeux. Elle est restée près de quarante-huit heures dans la médicuve. Elle n'a pourtant guère le temps de s'inquiéter de ce qui s'est passé, car la porte s'ouvre à nouveau. Le battant révèle le Cap, dans des habits civils. Il porte un treillis gris et un hoodie affichant le symbole des Sigma. Lorsqu'il abaisse sa capuche, une expression de surprise déforme le visage de Fizzerelli.

  • C'est rare de vous voir hors d'un exo, Cap, remarque l'Ours.

Le capitaine n'a pas de cheveux. Et pour cause : son crâne est entièrement métallique. Seul son visage artificiel affiche une texture proche de la peau. Le métal ne paraît pas s'arrêter au cou, et plonge dans l'épais pull qui recouvre ses épaules. Fizzerelli réalise que c'est la première fois qu'elle le voit ainsi. Il s'accroupit à côté du lit et pose sa main cybernétique sur le drap immaculé du lit d'hôpital.

  • Traza m'a mis à pied. Désolé de ne pas vous avoir donné de nouvelles, j'avais des choses à voir en ville. Comment tu te sens, Liv ?
  • En vie, et sûrement grâce à vous, Cap, répond-elle avec un sourire.

Le Cap jette un regard inquiet vers Fox.

  • Toujours pas réveillée ? questionne-t-il rhétoriquement.

Un silence grave lui répond. Il tente un changement de sujet pour soulager l'atmosphère.

  • Quel bordel à la caserne. Le commandement fait tout pour étouffer l'attaque.
  • Qu'est-ce que vous avez vu, Cap ? demande le Russe.
  • Le type qui a attaqué Liv échappe à tous les systèmes de surveillance.
  • Il a une de ces tronches, j'ai trop flippé ! intervient Graham. Et accessoirement, il m'a défoncé la gueule. Il était bourré d'implants musculaires, ce bâtard, faudra faire gaffe.
  • De ce côté là, on est tranquille, il est froid, tempère le Cap. Par contre j'ai appris qu'il n'était pas seul. Central a rapporté au moins un autre cas. C'est un sujet très sensible. Comme on est dans la confidence, l'amiral va mettre officieusement Sigma-6 sur le coup, mais je compte sur vous pour garder le secret. Le commandement a déjà envoyé des Nettoyeurs.
  • Ah ouais, ils rigolent pas ! s'exclame Oualidi.
  • Et je suis suspendu pour trois semaines, donc vous allez devoir vous débrouiller seuls.
  • Qui va commander en votre absence ? D'habitude c'est Fox, mais là ? s'interroge le Russe en fixant le Doc, son homologue de grade.
  • Son doigt vient de bouger ! dit le Doc en décroisant enfin ses bras.

Fox émet un gémissement, et murmure sans ouvrir les yeux.

  • Mmmh, oh ma tête ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
  • Tu t'es faite attaquer aux nano-forets dans le secteur Sigma, tu te souviens ? demande l'Ours.
  • Vaguement.
  • Ça s'est pas joué à grand chose, mais le Cap a réussi à te sortir de ton exo. Tu as passé plusieurs jours en cuve, raconte le Doc. Comment tu te sens ?
  • Dans le coltard. J'ai fait des rêves bizarres où Pop était avec nous. Et puis ce cauchemar dans l'amure...

Le Cap saisit la main de Fox qui lui adresse un large sourire. Elle esquisse un hochement de tête pour lui faire signe que tout va bien.

  • Est-ce que tu te sens d'attaque ? demande le Cap.

La soldate rousse se redresse, étire son dos, puis fait quelques moulins de bras.

  • Je crois que ça va.
  • Ils vont avoir besoin de toi, Fox, j'ai été suspendu.
  • Ah merde ! Pourquoi, Cap ?
  • Un peu de politique, un peu de passif avec Traza, et un peu de la mission. Rien de grave, t'en fais pas.
  • Eh ben vous êtes pas encore débarrassés de moi, les gars ! conclut-elle à l'attention de ses camarades.

La joie de voir leur compagne d'escadre de retour illumine les visages de tous. Chacun y va de sa réflexion humoristique, pourtant le soulagement est palpable. Capaxis, rassuré, se retourne vers Graham.

  • Vu que tu as l'air en forme Liv, viens avec moi, il faut qu'on s'occupe de ces implants.

***

À la tombée du jour, le glisseur qui emmène Liv et Capaxis vers une destination connue de lui seul plane silencieusement entre les luxueux gratte-ciel du secteur Alpha. Megacity-17, comme toutes les mégapoles de l'Octavium, est une ville de contrastes. Plus les niveaux sont élevés, plus la population est riche, et moins elle met les pieds au sol. Dans les étages inférieurs, les gens luttent pour survivre. Puis en dessous du plancher des vaches : les Douves. Le réseau de canalisations et de câblage, les tripes de la ville. Le terrain de jeu des marginaux et des reclus. Pour couronner le tout, les injustices se retrouvent même à l'échelle des secteurs. Alpha et Omega, qui hébergent respectivement la base de Central et le siège de l'Octavium sont les plus riches. Pour les autres, c'est au petit bonheur la chance.

Liv a grandi dans le secteur Sigma, l'un des plus défavorisés. Elle n'avait jamais mis les pieds dans une mega-tour avant de postuler chez les Cadres. L'étalage de publicités, de glisseurs de luxe et de bâtiments illuminés, ce n'est pas son univers. Tandis qu'ils progressent vers leur destination, les hologrammes multicolores qui vantent des produits auxquels sa famille n'aura jamais accès s'agittent frénétiquement au dehors. Les flash colorés se réfléchissent sur les plaques argentées du crâne de son supérieur dans un scintillement de teintes artificielles. La soldate n'a jamais été dans une telle situation de proximité avec lui, en dehors des missions de l'escadre. Elle se force à ne pas laisser transpirer son inconfort, ce qui est apparemment peine perdue.

  • Détends-toi, Liv, on est bientôt arrivés, lui indique le Cap d'un ton presque paternel.

Le glisseur pique vers un bâtiment parfaitement cubique et blanc. Un énorme logo holographique bleu brille sur sa façade. Elle le reconnaît immédiatement, comme une sorte de Graal inaccessible : leurs réclames ont bercé sa jeunesse, et elle a toujours rêvé de leurs implants.

TeraTech.

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