Chapitre XIII - Goliath

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Mine de Hambach, Allemagne.

Stella regarde le ciel morose par la fenêtre passager de la berline allemande.

Son chauffeur, Sigmund, n'est pas très bavard.

Il est concentré sur la route, et ne semble pas intéressé par les conversations avec ses clients. La jeune femme souffle quelques peu, le regard happé par les marquages au sol sur le bitume de la route.

Aujourd'hui, il pleuviotte. Un crachin léger teinte de gris la rase campagne de la région de Hesse, un brouillard qui ne semble pas vouloir se lever plane sur la lande depuis déjà six heures du matin.

Déjà presque quatre heures que Stella arpente les routes allemandes, et cela commence à faire long. Elle avait eu pour mission, ce mois ci, d'écrire un article sur la mine de Hambach, pour le magasine Nature du mois prochain.

La jeune femme était attendue par un certain Herr Zimmermann, le directeur adjoint de la mine, à dix heures.

Elle jeta un oeil à son smartphone, neuf heures moins dix. Ses yeux se repenchent alors sur les lignes blanches de la route.

C'est alors qu'elle la vit.

Apparaissant dans le brouillard épais de la lande, se dressait devant elle la carcasse monumentalement terrifiante de l'excavatrice.

Monstre d'acier, de fer et de câbles, le titan dominait la lande alentours sur des dizaines de kilomètres. Ses deux bras gigantesques, tels ceux de Chronos, s'étendent sur quelques centaines de mètres autour du corps de la machine. L'un muni d'une roue à godets, l'autre se perdant dans la poussière noire soulevée par la mine au loin.

Stella se sentit toute petite.

La journaliste se recroquevilla tout au fond du siège de la berline. Les yeux levés au travers du pare brise de la Porsche Panamera, elle contemple avec une pointe de peur les deux tours de barres d'acier s'élevant à plus de cinquante mètres au dessus d'eux. Elles tremblent à cause de la brise et de leur poids dans l'atmosphère, se penchent d'avant en arrière dans le ciel obscurcit par la poussière.

Le bruit du moteur V8 de l'auto fut rapidement couvert par le vrompissement de la roue à godet, passant à ce moment là tout près d'eux. La berline, pourtant imposante de par sa taille et sa ligne, parut ridicule comparée au gigantissisme de la machine. Sigmund se tendit en passant devant, et ralentit l'allure de la voiture, avant d'arriver au pas devant le corps de la machine, au coeur du chantier.

Le chauffeur de Stella descendit de sa place conducteur pour aller lui ouvrir la porte, relissant son costume Armani par la même occasion, inquiet. Il regardait aussi, au travers de ses Ray-Ban fumées la Bagger 288 dévorer goulument le flanc de la falaise de Hambach.

Il ouvrit la porte à Frau Stella, l'air grave.

- Nach Ihnen, Frau.

- Danke. Balbutia notre journaliste.

Elle posa le pied sur le sol poussiéreux du gisement de charbon. Un bref regard autour d'elle eut vite fait de poser l'ambiance désertique du secteur.

Les grondements de l'excavatrice au dessus d'eux résonnait comme un funeste requiem. Pas une trace de chat, pas un oiseau, ni même un insecte autour d'eux. Pourtant, au loin, Stella savait qu'il y avait une immense forêt.

Autour de la journalite grouillait néamoins une fourmilière de mineurs bariolés de jaune et de bleu. Leurs visages noircis par la suie et le charbon, perlant déjà de sueur à cette heure peu avancée de la journée, ne laissaient apparaître que de la souffrance, de la peine, de la fatigue. Des yeux vides vérifient le calibrage des blocs de charbon, des mains caleuses et sèches trient mécaniquement la roche sur les tapis roulants lancés à toute allure.

Pas un mot, juste le grondement de l'excavatrice.

- Ah ! Frau Stella !

La journaliste se retourna. Devant elle avançait un homme d'une quarantaine d'années, vêtu d'un jean noir de bonne facture, d'une chemise blanche, d'un foulard Guess et de Santiags s'avançait tranquillement vers elle. Herr Zimmermann.

- Bonjour, Mademoiselle. Commença son interlocuteur.

Il lui tendit une main professionnelle. Stella la serra froidement, le saluant en retour.

- Nous attendions votre venue, j'espère que le trajet n'a pas été trop ... Compliqué ? Notre chauffeur vous as-t-il rendu la route agréable ?

La journaliste obtempéra du chef, un léger sourire sur le visage. Cet accent allemand sur sa langue natale l'amusait.

Zimmermann discuta quelques instants avec Sigmund en allemand, puis le chauffeur remonta dans la Panamera, démarra la berline, et disparu quelques secondes plus tard dans la poussière du chantier.

Stella suivit ensuite son guide, un enregistreur vocal accroché à sa ceinture, un calepin et un stylo entre les doigts.

- Voyez vous mademoiselle, le gigantisme de cette Bagger. C'est une des plus grandes excavatrices à godet de tous les temps. Seule la Bagger 292 et 293 la dépassent. Elle mesure très exactement deux cent quarante mètres de long pour quatre vingt seize de haut ! Vous vous rendez compte de la prouesse technique réalisée pour construire cet engin ?!

- Mais certaiment ! Lui répond la jeune femme en griffonnant sur son calepin. Cela doit avoir un immense coût de revient, si j'ose vous demander.

- Mais vous pouvez. Rien que son transport sur le site d'extractionavait coûté à l'époque quinze millions de Marks.

- Ce qui ferait, en euros, à l'heure actuelle ... ?

- Plus de sept millions d'euros.

Stella resta bouche bée devant l'annonce de ce simple prix. Finalement, elle ne demanda pas le prix complet de cette monstruosité à Herr Zimmermann.

Ils s'arrêtèrent devant les trois séries de chenilles colossalles au pied de l'excavatrice.

- La Bagger, aussi improbable que cela puisse paraître, peut se promemer toute seule. Certes, elle ne vas pas très vite - ce serait du suicide - mais peut se déplacer de six cent mètres par heure, grâce à ses trois séries de quatre chenilles.

Stella regardai avec une certaine fascination les énormes chenilles de plus de trois mètres de large écraser le sol sans vie. Elle n'aurait voulu pour rien au monde se retrouver coincée dessous. Et dire qu'il y de cela à peine dix ans, s'étendait ici une forêt luxuriante, depuis sans doute des millénaires.

Le responsable la fit ensuite passer par la cabine de pilotage de la bête.

Son coeur rata une fois de plus un battement en entrant dans le poste de pilotage. A sa gauche, tout près d'elle, tournait inlassablement la mâchoire rotative démentielle.

Une roue hérissée de dix huit godets gargantuesques, pouvant chacun arracher à la falaise plus de six tonnes de terre. Un rapide calcul lui fit comprendre l'incroyable capacité d'extraction de cette machine; deux cent quarante mille tonnes de minerai extrait par jour. Le vrompissement de la roue de l'horreur lui donne limite la nausée.

- ... La roue attaque les trates de la falaise par couches successives de manière très efficace ... Si vous vous penchez un peu, on peut appercevoir en contrebas les quatre moteurs de huit cent quarantre kilowatts qui aliementent le mécanisme... Continue Zimmermann, en bon guide pour la journaliste.

Au bout de deux bonnes heures de visite, ils finirent par la remorque de la Bagger 288.

Ce que Stella avait d'abord pris pour un second bras sur la machine était en fait la remorque de celle ci. Un énorme pont fait d'armatures d'acier, relié à un train, ressort des entrailles de l'excavatrice. Il achemine le charbon vers le fameux engin, monté sur des rails, vers l'inconnu.

La journaliste note sans avoir vraiement le temps de lever les yeux de son carnet. La simple vue de la machine pourrait la faire vomir. Comment la société KRUPP peut elle encore être autorisée à construire de pareils meurtriers ?!

Sa main tremble sur le papier.

" A quel moment l'Homme est-il devenu si affligeant ?! "

Elle se tient devant la première source de gaz à effet de serre d'europe, là, bien droite, dans son tailleur bleu marine, bien à l'aise dans ses escarpins Hugo Boss, et soudain, elle désespère.

" Comment puis-je ne rien dire face à tout ça ?! Je suis sûre que le tissu de mes vêtements à été teinté au plomb, et que cette eau souillée pollue à présent les fleuves du Sri-Lanka ... Et que dire de ces talons ? Ils ont eux aussi été assembés par des enfants au Cambodge... Et moi, je ferme les yeux."

La culpabilité l'accable. Tout le poids de ses choix se retrouve sur ses épaules. Ses voyages en avion sont eux aussi une importante souce de pollution, son smartphone, lui, contient des métaux lourds, qui ne sont d'ailleurs pas recyclés. Et des exemples comme ceux là, elle pourrait encore en citer des centaines.

" Et moi, je ferme les yeux. "

Stella repense à son voyage en amazonie, à la beauté des arbres, la diversité des insectes, les splendides couleurs des plumes des oiseaux. Tout cela, un jour, à cause de l'Humanité, disparaîtra, si personne ne fait rien.

- Fräulein, vous allez bien ?

Herr Zimmermann pose sur ses épaules une main réconfortante. Son regard bienveillant rassure quelques peu Stella.

- Je vous raccompagne à votre voiture, si vous le voulez bien.

Elle opina du chef, un sourire timide aux lèvres.

***

Le soir venu, Stella se posa devant son ordinateur, une tasse d'expresso à la main.

La vue de Berlin de son hôtel était splendide. La jeune femme distinguait au loin les éclairages de la Brandenburger Tor, flanquée de son spendide quadrige. Son patron avait bien fait les choses pour ce voyage.

Elle souffla, encore perturbée par sa visite ce matin même. La journaliste bût une gorgée de café avant de se mettre au travail.

Elle démarre YouTube sur une page web, visse son casque sur ses oreilles, concentrée.

Ses mains pianotent sur son clavier, rapides et précises. Elle ne lève pas les yeux de son écran pendant des heures, se relisant, vérifiant et recroisant les informations sur le net et les siennes. Ses yeux la brûlent au fil des heures passées à rédiger cet article, mais il lui tient à coeur, vraiment.

" The chest and the head divided by a white laser ... "

La musique qui passe en fond l'aide à se plonger dans ses recherches. Elle aimait la musique, quelle qu'elle soit. Stella écoutait de tout, partout, tout le temps.

" You're playing your best role but the mask shatters ..."

La tête bougeant au rythme de la musique dans son cerveau, Stella continue de creuser, de fouiner, de glâner des informations sur des dizaines de pages. Elle en est sûre, cet article sera digne du magazine Nature.

" Where are you going, boy ? When did you get so lost ? ....

How could you be so blind ... "

C'est au petit matin que Stella put enfin s'étirer sur sa chaise.

Encore quelques petits efforts, le téléchargement du texte en pièce jointe ne vas plus tarder à ses terminer...

Ca y est !

Enfin ...

Stella souffle de satisfaction, se lève de sa chaise de bureau, baille sans retenue. Elle alla prendre une douche bien méritée avant de se coucher, et de sombrer dans un sommeil sans rêve.

Sur le bureau luisait encore l'écran de son ordinateur, affichant sa boîte mail beaucoup trop remplie. En dernière actualité, on pouvait y lire;

Envoyé à 5 heures 45, à Naturemagazineofficial@hotmail.com

Objet; premier jet de l'article sur l'excavatrice Bagger 288.

Pièces jointes : Goliath ( main title Bagger 288 project).odt

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