Chapitre 13 - Arrestation arbitraire

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« Mon père est mort ? articula la jeune fille à mi-voix.

— Je suis désolée de vous l’apprendre ainsi », mentit Adélaïde.

Cette capacité à feindre la compassion faisait d’elle un bon médecin. Elle profita du temps que l’adolescente mettait à encaisser pour la détailler. C’était une fille assez quelconque. Une blondinette au visage pas complètement sorti de l’enfance. Cheveux longs relevés en chignon, vêtements issus d’un prêt-à-porter bas de gamme. Son concentrateur, passé comme un bijou à son poignet, tenait plus du gadget que de l’arme.

Adélaïde regrettait d’avoir provoqué cette entrevue. C’était une perte de temps. Elle espéra de tout cœur que la petite ne fonde pas en larmes et reprit :

« Il a vraisemblablement été assassiné il y a huit ans. Je connais l’homme qui l’a tué, mais je n’ai pas de preuves. J’espérais en apprendre plus sur sa disparition en vous rencontrant. »

La femme se pencha et leur resservit du thé. Elles étaient installées sur les banquettes de l’une des plus chères brasseries de la Capitale. Adélaïde usait constamment de ses capacités mentalistes sur ses interlocuteurs. En rejoignant Sarah devant l’établissement, une demi-heure plus tôt, elle avait ressenti l’appréhension de la gamine à y entrer. La fille aurait préféré que Le Griffon ne soit qu’un point de rendez-vous. Elle n’avait pas les moyens de se payer quoi que ce soit dans cette maison.

Tout cela, Adélaïde l’avait perçu avant même de la saluer, car la jeune fille laissait traîner ses émotions sans aucune précaution.

« Il a disparu il y a huit ans, souffla Sarah d’une voix tremblante, mais je pensais qu’il nous avait abandonnées, maman et moi… Pas qu’il était mort… »

Elle pinça les lèvres, son menton tressauta. La mentaliste comprit intuitivement que la mère en question n’avait pas dû survivre à l’épreuve.

« Encore moins qu’il avait été assassiné… je suis désolée, je ne peux pas vous aider… », conclut l’adolescente en refermant ses doigts autour de sa tasse dans un geste nerveux.

Elle ne mentait pas, elle était sincèrement désolée et Adélaïde était sincèrement convaincue d’avoir perdu son temps. Elle soupira et se leva avant de répéter, avec douceur :

« Je suis navrée de vous apprendre cela de cette façon. J’ai peu de temps et je vais être contrainte de vous laisser. Commandez ce que vous voulez, pour vous réconforter. Je vous l’offre. »

Elle passa sa cape sans plus prêter attention à la fille qui s’était pris la tête entre les mains.

« Attendez, souffla-t-elle alors qu’Adélaïde se mettait en mouvement vers la sortie. Qui l’a tué selon vous ?

— Un certain Muspell. Mais je n’ai pas de preuve, répondit la femme après une seconde d’hésitation. Faites attention à vous. »

La sorcière marcha quelques minutes dans les plus belles rues de la Capitale, puis se transféra à la maison Cromwell. Elle défit sa cape. L’habit vert d’eau était d’une trop bonne facture pour l’endroit où elle se rendait. Conformément à ses instructions, Giles avait déposé plusieurs paquets dans le hall d’entrée. Des vêtements, des vivres… et son brouilleur, une perle sertie en pendentif au bout d’une chaîne d’iris. Elle le passa autour de son cou, puis l’activa d’une petite impulsion magique.

Grâce à cela, elle pouvait utiliser le réseau fédéral sans être repérée. Sa présence serait automatiquement remplacée par celle de n’importe quel autre sorcier. L’artefact, très rare, faisait d’elle une insaisissable.

Elle rangea le reste de ses affaires dans un sac de voyage qu’elle fit apparaître à ses pieds, puis se transféra. Elle effectua en tout une dizaine de sauts vers des destinations variées et termina par deux déplacements autonomes. Combinée au brouilleur, cette sécurité supplémentaire rendait son périple tout à fait intraçable. Impossible de savoir d’où elle était partie ni où elle arriverait, comme le voulait les protocoles de précaution lorsqu’on se rendait auprès du dirigeant de l’Ordre.

Il lui fallut encore une vingtaine de minutes de marche pour rejoindre la planque de Fillip. Depuis son retour en Pays d’Iskaar, l’homme changeait de point de chute tous les quatre jours, au plus. En quelques semaines, il avait réorganisé ses troupes en une multitude de petites unités très mobiles. Certaines étaient dédiées à la guérilla contre les forces fédérales qui tentaient de reprendre le contrôle de la région. Mais la plupart avaient pour mission de s’implanter dans les différents villes et villages du pays. Il s’employait à bâtir un large réseau, une toile d’araignée dont lui seul connaissait les limites. Une base solide pour de grands projets.

Le sorcier discutait avec Grimm, penché sur un mnémotique de la région d’Égée, quand Adélaïde entra dans leur refuge du soir. Les deux Vestes Grises lui adressèrent un sourire chaleureux et Fillip lui fit signe de patienter. Il désigna d’un geste le canapé douteux placé près de l’âtre dans lequel brûlait un feu très vif.

Elle s’y installa alors que son sac se rangeait tout seul dans un coin de l’unique pièce. Sol en tommette, murs en pierres plates, porte branlante en bois brut… la vieille bâtisse offrait un repaire antique, perdu au fin fond de la forêt iskaarienne. Les quelques meubles, table, chaises et canapé avaient été disposés là par les sorciers. Le confort, en dehors du moelleux rembourrage de l’assise où elle s’était posée, se révélait inexistant.

C’était toujours plus agréable que l’humide grotte où elle avait rejoint Fillip la fois précédente. Le feu qui crépitait dans l’âtre apportait une chaleur bienvenue, car la région était bien plus froide que la Capitale.

La femme se perdit dans sa contemplation tout en écoutant d’une oreille distraite la conversation des deux compères. Grimm était un jeune homme économe en paroles, mais il avait l’esprit vif et s’avérait fin stratège. Le leader se fiait à son jugement.

Ils parlaient de recrutement et d’opération de force, de passage vers la mer Égée… Rien de neuf, en soi. Avant de mourir, Leuthar avait démarré des manœuvres pour agrandir les frontières de la Fédération. Au sud, il visait un accès à la Méditerranée dont les côtes étaient occupées par des populations humaines. À l’est, il cherchait à annexer les terres qui séparaient la Fédération des États Sorciers Slavesques… Après vingt années à asseoir son pouvoir, le défunt leader avait entamé une politique d’expansion que Fillip ne comptait pas mettre de côté.

Les deux hommes finirent par rejoindre Adélaïde au coin du feu. De discussion stratégique, ils glissèrent vers des discussions plus enflammées, empreintes de doux idéaux. Ils avaient l’Ordre entre leurs mains… un outil redoutable qui leur permettrait de changer la Fédération durablement. Il n’y avait rien de mal à rêver de ce qu’ils allaient en faire.

Grimm les laissa tous les deux, en début de soirée. Il les salua avec un petit sourire en coin, bien conscient que le couple attendait son départ pour entreprendre une toute autre activité.

« Alors, tu as trouvé ce que tu cherchais à la Capitale ? demanda Fillip, lorsqu’enfin ils furent seuls.

— Oui. Muspell ne bluffait pas… » répondit Adélaïde avec une grimace.

Elle avait tiré un très bon Armorik de son sac et leur avait servi cet alcool de luxe dans les vulgaires timbales qu’ils avaient à disposition.

« Ça, on le savait plus ou moins déjà, non ? » commenta Fillip.

Adélaïde fronça le nez et lui lança un regard agacé. Elle avait jusque-là oublié la promesse de Muspell. À l’époque, Fillip n’avait eu qu’un mot à dire pour placer la jeune femme sous la protection directe de Leuthar.

Mais le leader mort, cette sécurité s’effondrait. Adélaïde avait voulu évaluer la menace. Elle venait de passer quelques jours à enquêter sur le sujet et le peu de traces qui restaient des agissements de Muspell était suffisant pour confirmer le danger : il lui avait fait une promesse qu’il comptait bien tenir.

« C’est étonnant qu’il n’ait pas déjà tenté quelque chose », reprit Fillip après une gorgée du liquide ambré.

Il se leva, s’étira et en quelques gestes disposa le canapé en configuration lit.

« Non, pas tant que ça. Je ne suis que rarement à Stuttgart. Et sa copine ne doit pas apprécier ses projets pour moi… répondit la femme en l’observant faire avec un sourire en coin.

— Si tant est qu’elle soit au courant… »

Il lui prit le gobelet des mains et le déposa à même le sol, avec le sien.

« Je dois pouvoir m’arranger pour qu’elle le soit… » souffla-t-elle en venant se coller à lui.

Elle leva la tête pour chercher ses lèvres qu’elle trouva dans un petit soupir d’envie. Elle avait gardé sa robe, même pour marcher dans la forêt. Une robe d’aristo, comme il disait. Un beau décolleté, un tissu qui tombait impeccablement, des jours de dentelles très fines pour souligner ses formes. Du sur mesure, pratique et élégant, sur lequel le regard du sorcier avait plus d’une fois glissé au cours de la soirée. Elle était restée vêtue ainsi pour le seul plaisir de le voir, lui, avec ses mains d’Iskaarien, rudes et larges, retirer l’étoffe hors de prix. Plaisir qu’ils partageaient.

« Essaie de t’en arranger alors, répondit l’homme en relâchant sa bouche. Dénonce-le. Et si ça ne fonctionne pas, on agira à ma manière.

— Ta manière ?

— Ton gars connaît l’Once. On fera d’une pierre deux coups. Se débarrasser de lui et atteindre le Chat… Avec un peu de chance, on se débarrasse des deux. »

Adélaïde rit doucement contre lui.

« Qu’est ce qu’il y a de drôle ? demanda Fillip un peu perplexe, car elle avait pour habitude de s’élever contre ce genre de méthodes.

— Elle est brutale ta solution… Pourtant t’es loin d’être violent quand tu fais les choses à ta manière, répondit-elle en se mordillant la lèvre inférieure. Loin de là… »

Fillip rit de pierres. Il l’embrassa avec douceur et ses mains, sur ses hanches, s’attaquèrent enfin à l’agréable tâche de la défaire de son vêtement.

*

Il faisait doux pour l’époque. C’était rare de pouvoir flâner dehors en novembre. Tous les restaurants de la rue avaient disposé les tables et les chaises en terrasse. L’ambiance était festive et tous sortaient du travail ou de chez eux pour rejoindre des amis, des collègues, de la famille. Ou toute autre personne avec qui ils appréciaient partager leur joie. Le couvre-feu avait sauté et les bars étaient ouverts jusqu’à trois heures du matin. Ils ne désemplissaient pas.

Cela faisait plus de vingt-cinq ans que Leuthar avait entrepris de semer la terreur dans le monde des enchanteurs. Les jeunes n’avaient connu que ça. Les adultes avaient vu la situation s’installer, insidieusement, au fil des années. Et lorsqu’on s’était rendu compte de l’emprise du sorcier sur toute la société… il avait été trop tard pour réagir.

Le gouvernement s’était purgé de ses infiltrés. Le fort à l’Est avait été repris. Les prisons étaient pleines des terroristes qu’on avait arrêtés en masse. De fait, l’Armée Fédérale était très occupée et allait d’arrestation en poursuite. Mais la Capitale ne ressentait que peu ces effets de bord. Il n’y avait eu que quelques émeutes au début, dues à ceux qui refusaient de croire en la mort de leur leader.

Mattéo et Naola arboraient un beau sourire, attablés à une terrasse. Il y avait beaucoup de passage, c’était la fin de l’après-midi et ils n’étaient pas seuls à profiter des derniers rayons de soleil de la journée. Naola buvait une bière fraiche, offerte par l’un des nombreux sorciers à payer sa tournée.

Le jeune homme regardait, amusé, sa compagne relever un peu plus sa cape pour se protéger de la brise automnale. Ils savouraient ensemble un court répit dans l’emploi du temps de la femme. Les défections de mages au gouvernement ouvraient des opportunités à ne pas manquer. Il y avait tout à reconstruire.

Lui, de son côté, réfléchissait à son avenir. Il aimait la Course à Quatre, mais pas au point d’en faire son métier. Leuthar mort, il n’avait plus aucune raison de rester dans son équipe. Coureur, ce n’était qu’une couverture.

« Quoi de nouveau au gouvernement ? »

Il avait vu son Maître la veille. Mais ils n’avaient pas eu le temps d’évoquer la politique fédérale. Ils avaient très peu parlé tout court. Il était très clair que la chute de l’Ordre ne devait pas impliquer un relâchement de leurs séances d’entrainement… Il y avait toujours des sorciers et sorcières de l’Ordre à débusquer. Fillip, William et Adélaïde, par exemple, ne put s’empêcher de penser Mattéo.

« Une véritable débandade, répondit Naola. C’est même effrayant de voir à quel point l’Ordre est implanté dans le système. Tous les services tournent au ralenti. Comme le sport n’est pas la priorité actuelle, on m’a nommée provisoirement à la tête d’une des commissions de restructuration des services de renseignements du ministère. Justement parce qu’une fois ceux de l’Ordre partis… il n’y reste plus grand monde. »

Elle eut un sourire en coin. Les renseignements, c’était assez éloigné de son domaine de compétence officiel, mais apparemment ses petites combines officieuses, au Mordret’s Pub, et sur les canaux d’information, l’étaient moins qu’elle ne le pensait.

« C’est intéressant, j’ai vraiment l’impression de pouvoir faire évoluer les choses. »

Elle sourit. C’était quand même pas trop mal, pour son réseau et son influence, tout ça. L’homme répondit par un sourire équivalent.

« J’ai donné ma démission pour la fin de l’année… Ils n’étaient pas très heureux de l’apprendre, mais bon, ils s’y feront… De mon côté, j’ai plusieurs pistes, pour janvier. »

Il reposa son verre et fixa Naola, serrieux.

« J’ai décidé que je n’intègrerai pas l’Armée Fédérale. Pas comme simple soldat en tout cas. Et pas maintenant…

— Tu me vois ravie de l’apprendre » fit la femme avec dans le ton une acidité qui témoignait bien de la tension qu’avait provoquée le sujet entre eux.

Au sortir d’une période si sombre, il aurait forcément eu du mal à faire accepter ses connaissances en magies occultes, ou sa passion pour la vieille magie. On n’intégrait pas la P.M.F. sans passer par l’armée, au bas de l’échelle. Quelles que soient les aptitudes, quel que soit le niveau d’extraction social du sorcier, tous commençaient par être soldats afin de donner, en apparence, les mêmes chances à chacun… Police Civile et Armée Fédérale avaient fusionné des années plus tôt, en réponse à la montée extrême de l’Ordre. Ça avait toujours été le seul contre-pouvoir capable de s’opposer à Leuthar. Une puissante machine de guerre dont la place était devenue centrale pour toute la fédération. Même les fédéraux civils portaient un uniforme et affichaient leur grade au sein de l’organisation.

« Avec la mort de Leuthar, les règles vont redevenir strictes et je ne tiens pas à me faire repérer. J’ai besoin d’avoir ma liberté d’action. Je vais m’axer sur de la recherche », conclut-il sans prêter attention au petit froncement de nez de Naola.

Elle soupira puis attaqua sur un autre front.

« Tu vas tenter d’entrer dans la recherche fédérale ? À défaut de pouvoir aller piquer dans leur collection…

— Je te l’ai déjà dit, il ne s’agit que des livres de Vestes Grises… souffla-t-il, les dents serrées. Tu pourrais éviter d’en parler comme ça en pleine rue ! »

Mattéo et Xâvier avaient fait du vol de livres rares une sorte de spécialité. Ils agissaient avec une certaine éthique, lui avaient-ils assuré. Ils ne volaient que les truands et les Vestes Grises. C’était de bonnes petites missions d’entrainement, lui avaient-ils affirmé. Elle restait très dubitative tant sur la forme que sur le fond. Mais ils lui avaient fait comprendre qu’elle n’avait pas son mot à dire quand, quelques mois plus tôt et par hasard, elle s’était rendu compte de la manière dont Xâvier et lui alimentaient leur précieuse bibliothèque.

C’était assez bête en y repensant. Ils avaient discuté, devant elle, d’un ouvrage précieux et elle avait tenté de l’acquérir, pour leur en faire cadeau. Elle savait donc, pour s’être renseignée, qu’il n’existait du titre que trois exemplaires, l’un chez Mordret, l’autre dans la Bibliothèque Fédérale et le troisième chez un particulier qui n’était pas disposé à le céder. Il était donc hautement improbable qu’il se retrouve sur la table de travail du manoir, sous les yeux excités des deux garçons qui, entourés d’une muraille de dictionnaires, tentaient de le traduire.

« Ç’aurait pu être une métaphore, c’est toi qui interprètes », finit par dire Naola alors que d’un mouvement de poignet, elle terminait sa bière.

Elle lui adressa un sourire taquin et s’étira, un bras passé derrière sa nuque, l’autre pour maintenir sa cape fermée, bien au chaud. Mais Mattéo ne répondit pas à sa petite pique. Il se contenta de souffler, méfiant :

« Mentaliste. »

Il leva ses défenses mentales un peu plus haut. L’attaque avait été insignifiante, à son niveau. Mais on l’avait bien attaqué. Le mage devait être proche et guetter ses réactions. Il promena son regard autour d’eux.

« Tu as senti quelque chose ?

— Non », répondit-elle avec un mouvement de tête négatif.

Le coup d’œil circulaire de son ami l’alerta. Il s’était tendu. Elle ne mit pas longtemps à localiser les deux sorciers assis dans le restaurant d’à côté. On les espionnait. C’était étrange, décalé. Depuis deux semaines, ce genre de trucs n’était plus censé pouvoir se produire.

« On a de la compagnie », précisa Mattéo en découvrant son concentrateur principal.

Il ne fit pas de geste brusque, cela parut naturel, mais ça n’était pas discret. Le message était clair, il les attendait. Il en avait repéré deux autres, l’un adossé à un mur avec une nonchalance suspecte et le deuxième lisait un journal, à l’autre bout de la terrasse. Même d’ici il pouvait estimer leur faible niveau.

Un homme, plutôt grand, d’une trentaine d’années, s’approcha finalement d’eux. Le mentaliste. Mattéo avisa rapidement son insigne. Comme il arrivait derrière Naola, il dit, juste avant qu’il n’atteigne à la table :

« Police Fédérale.

— Mattéo Muspell ? » demanda le policier, d’une voix grave.

Mattéo leva le regard vers lui, sans se redresser.

« Lui-même, répondit-il froidement. Pouvez-vous demander à vos hommes d’être plus discret ?

— Vous êtes en état d’arrestation, poursuivit le P.M.F. sans prêter attention à la réflexion du sorcier. Veuillez nous suivre sans faire d’histoire s’il vous plait. »

Autour d’eux les discussions s’étaient arrêtées. Les arrestations étaient devenues intéressantes ces derniers temps, de vrais spectacles. Mattéo serra un poing, mais réussit à garder un calme apparent, même si son ton n’avait pas changé.

« D’après le droit des sorciers, rien ne m’oblige à vous suivre tant que vous n’avez pas énoncé ce dont on m’accuse, à condition que je vous le demande. Article 45, révision 6, alinéa 3. Ce que je fais à présent. Puis-je savoir sous quel prétexte vous vous permettez de venir ainsi me chercher ? »

En vérité, il savait bien de quoi on devait l’accuser. Mais c’était beaucoup trop rapide par rapport à ses calculs. Il devait gagner du temps, récupérer le plus d’information possible, pour Naola.

« Vous êtes accusé d’avoir pratiqué certaines formes de magie occulte sous les ordres de Leuthar, de meurtre de sorciers et de meurtre d’humain. »

Mattéo se releva vivement, Naola en même temps que lui, ce qui obligea les quatre autres fédéraux à quitter leurs piteuses cachettes pour les encercler, concentrateurs vers l’avant. Cette fois la colère était visible sur son visage et irradiait de tout son corps. L’entendre dire, de façon si désinvolte… Comment ne pas prendre cela pour une insulte ? Lui, une Veste Grise ? Suivre Leuthar ?

« Veuillez nous suivre sans faire d’histoires ou nous serons obligés d’utiliser la for…

— À cinq contre moi ? interrompit Mattéo d’un rire méprisant. Qui vous a renseigné ? Vos hommes sont tout juste des novices en formation. Je n’ai pas servi Leuthar et je n’ai jamais tué aucun humain. Ne m’insultez pas. Je ne le tolèrerai pas.

— Alors vous avez déjà tué des sorciers ? insinua le policier.

— Cela peut très vite se vérifier » répondit Mattéo.

Il leva son concentrateur directement vers son visage, son poing refermé à quelques centimètres de son nez. À cette distance, le tuer aurait été un jeu d’enfant. L’officier avait les yeux braqués sur l’arme pendant que les autres mettaient en joue Mattéo pour l’abattre au moindre mouvement suspect.

« Arrête, Mattéo ! lâcha Naola d’une voix sèche et forte. Arrête », répéta-t-elle, plus bas.

Avec des gestes lents, pour ne pas déclencher les hostilités que tout le monde autour d’eux épiait, elle glissa une main sur son bras en garde et appuya dessus, ferme.

« Si tu fais ça, c’est fini », articula-t-elle avec difficulté tant sa mâchoire était crispée.

Il la sentit trembler de colère. Mais c’était la seule solution viable.

Le temps s’était pour ainsi dire arrêté autour d’eux. Plus personne ne bougeait. Mattéo finit par faire disparaître son concentrateur.

« Tss… fit le policier avec un sourire ironique alors que l’accusé se retournait les mains dans le dos. Vous avez le droit de garder le silence… »

Mais Mattéo ne l’écoutait pas. Il regardait Naola en ravalant sa rage. Sans dire un mot. Il se contentait de résister à l’excès de zèle du fédéral qui cherchait à le plaquer contre une table pour le menotter. Il sentit les liens anti-magie lui être passés avec un désagréable frisson. Il savait qu’il resterait privé de l’utilisation de sa magie jusqu’à ce qu’il soit jugé. Plus longtemps s’il était jugé coupable. C’était difficile à supporter.

Il y avait des moyens de déposséder quelqu’un de sa magie de façon bien moins intrusive. Mais pourquoi rendre agréable un séjour en prison ? Il ferma une seconde les yeux. Les soldats passaient entre les tables pour inciter les badauds à reprendre leurs activités.

« Laissez lui prendre mon concentrateur, exigea-t-il à voix basse.

— Nous n’avons pas d’obligation à…

— Il sera remis à la justice si je suis jugé coupable. Dans le cas contraire, j’ai le droit d’en faire ce que je veux. Laissez Naola le reprendre. Les reprendre. »

Il y eut un court silence, puis chacun détourna le regard, pour leur laisser l’intimité nécessaire.

« Faites vite. »

La jeune femme s’était faite écarter par l’un des policiers, mais n’avait pas quitté Mattéo des yeux. Elle le rejoignit en deux pas et passa derrière lui. Il lui fallut quelques instants pour lui retirer les deux bagues, invisibles à l’œil nu, sans poser de question. C’était dérangeant, par convention sociale, d’être en contact avec le concentrateur de quelqu’un d’autre. Ça l’était plus encore de les lui prendre ainsi, en public.

« On va te sortir de là… », souffla-t-elle alors que les deux artefacts disparaissaient dans ses poches.

Il hocha la tête. Puis il se retourna et l’embrassa rapidement. Juste un baiser, à peine glissé sur ses lèvres.

« À très vite. »

Tous les policiers se rassemblèrent autour de lui, puis un transfert fut activé. Direction : la prison la plus proche.

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