Chapitre 4 : Is it a bird ? Is it a plane ?

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Villepinte, parc des Expositions.

15h06

H + 00 : 29 après l’évènement « Japan zéro »

Chloé ne fut pas longue à retrouver une certaine contenance. Certes, elle se sentait à l’étroit dans ses sous-vêtements et ses chaussures, mais elle avait remisé l’inconfort dans un coin de son cerveau encore en état de marche. Pour l’instant, elle devait se concentrer sur la conduite. Et la route était semée d’embûches. En effet, malgré la sécurité relative offerte par la voiture, les trois amies devaient au moins quitter Villepinte pour se tirer d’affaire. Les routes autour du parc des Expositions avaient souffert du tremblement de terre : le bitume comportait des crevasses et des bosses de toutes tailles. Chloé devait rouler au pas dans certains passages. Sans compter les piétons qui erraient l’air hagard ou couraient en tous sens.

  • Dites… vous croyez que c’est la fin du monde ? demanda la conductrice après avoir contourné une énième crevasse.
  • FONCE ! hurla Lariska.

Chloé enfonça sans discuter la pédale de l’accélérateur. Le moteur rugit et la voiture fut violemment projetée en avant. Un pan de mur s’écroula à l’endroit où elle se trouvait quelques secondes plus tôt.

  • Ouah… C’est pas passé loin… Lâcha la conductrice.
  • A DROITE !

Chloé donna un coup de volant. La voiture dérapa mais dévia juste assez de sa trajectoire pour ne pas se faire percuter par un objet non identifié lancé à pleine vitesse au ras du sol.

  • Qu’est-ce que c’était ce truc ?? Un très gros oiseau ? Un avion ?

Chloé et Lariska se penchèrent en avant en plissant les yeux. L’objet ralentissait. Elles pouvaient distinguer sa forme humanoïde et ses couleurs bleues et rouges.

  • Mais non… c’est SUPERMAN ! DEMI TOUR, DEMI TOUR !!

Chloé obéit sans ralentir. Superman s’éleva à la verticale et disparu dans les nuages. Mais la jeune kiné jugea préférable de s’en éloigner quand même. Les pneus crissèrent et la force centrifuge projeta Wioletta contre la portière.

  • Aïeuh ! Fais gaffe ! gémit-elle.
  • On n’a pas le temps de faire gaffe ! Et attache ta ceinture, bordel !
  • Ah, oui…

Wioletta obtempéra de mauvaise grâce. Puis, elle considéra la route défoncée d’un air sidéré. Elle ne s’était pas rendu compte de la dévastation environnante. La lycéenne s’était surtout préoccupée de ses changements corporels, qui étaient bien plus important que chez ses aînées : elle avait gagné vingt kilos de muscles, trente centimètres de hauteur et cinq pointures. Son cosplay, lui, n’avait pas changé de taille… Alors Wioletta avait occupé les dernières minutes à retirer ses chaussures et à déchirer les coutures qui n’avaient pas déjà sauté. A présent qu’elle se sentait de nouveau assez confortable, la lycéenne commençait tout juste à regarder autour d’elle.

  • Oh mon dieu, on va mourir. On va toutes mourir… gémit-elle.
  • Je t’interdis de dire ça ! siffla sa sœur avant de se concentrer de nouveau sur les rétroviseurs.
  • Ouais, on vient quand même de croiser Superman… Genre le vrai Superman.
  • On y réfléchira plus tard ! Quand on sera hors de danger par exemple… Coupa Lariska.
  • Oui… tu as raison.

Le duo Chloé – Lariska fonctionna encore quelques temps : la réactivité de la première complétait parfaitement les capacités d’analyse de la seconde. Les deux amies avaient déjà collaboré ainsi pour des jeux en équipes associant réflexe et réflexion, et elles jouaient toujours pour gagner, quel que soit l’enjeu. Ainsi, le stress de la situation presque apocalyptique, ne perturbait pas trop leur talent respectif. Elles évitèrent sans encombre des rayons laser, des objets chuteurs et autres OVNI à la trajectoire erratique. Voyant que ses ainées maitrisaient à peu près la situation, Wioletta se détendit un peu.

  • A DROIIIIITE !

Superman frôla la voiture, arrachant le rétroviseur du côté passager. Wioletta poussa un cri strident, Chloé sursauta et provoqua une embardée qui leur fit percuter un lampadaire.

  • Merde. Putain de chauffard… grogna-t-elle
  • On va pas s’en sortir ! On va mourir ici ! Paniqua Wioletta.

Chloé perdit ce qu’il lui restait de sang-froid. Elle dégagea la voiture du lampadaire et s’arrêta quelques mètres plus loin.

  • Ça suffit ! Je ne m’entends plus penser ! hurla-t-elle

Sa voix d’homme rendait son ton d’autant plus autoritaire. Wioletta en resta bouche bée. Lariska profita de cet instant de silence inespéré pour la rassurer :

  • Ecoute, Wio, je ne sais pas ce qu’il se passe. Mais pour l’instant il faut qu’on quitte Villepinte. On réfléchira au reste plus tard, d’accord ?
  • Oui, si on reste ici, on va mourir. Or, je veux être jeune et sauvage, puis être riche dans la fleur de l’âge, et enfin vieillir et emmerder le monde en faisant semblant d’être sourde.

Lariska fronça ses sourcils couverts de maquillage. Chloé se mettait-elle à débloquer autant que sa sœur ? Peu importait pour l’instant. Pas le temps.

  • Alors, on rentre à la maison ? demanda Wioletta
  • Non. Trop de bouchons. S’il y a un nouveau tremblement de terre, on est cuites, trancha Lariska, qui avait profité de l’arrêt pour consulter son smartphone.
  • Et tu suggères d’aller où, alors ?
  • N’importe où sauf vers Paris !
  • On pourrait aller chez tes parents dans le sud, ou chez ton frère en Angleterre… suggéra Wioletta
  • Non, ma famille n’est pas prête à me voir dans cet état… Je sais ! On va aller chez Lakpa ! Il a un super chalet perdu au fin fond de la Savoie !
  • Va pour la Savoie ! Démarre, ordonna Lariska.
  • C’est qui Lakpa ? Voulut savoir Wioletta.
  • On s’en fout ! Donne-moi juste son adresse.

Chloé obtempéra et Lariska entra les informations dans le GPS. La voiture démarra. Elles évitèrent de justesse un rayon de kaméhaméha mais finirent par quitter Villepinte. Chloé décida de rouler sur quelques dizaines de bornes sur les petites routes pour éviter les bouchons. Des sirènes retentissaient au loin, et la voiture croisa des ambulances et des camions de pompier qui fonçaient vers le parc des Expositions. Mais très vite, le calme se fit dans le paysage urbain. La banlieue parisienne semblait étrangement normale, à côté du chaos qu’était devenu le parc des expositions.

La jeune kiné fut tentée de se dire que les dernières heures n’avaient été qu’un affreux cauchemar. Elle avait sans doute mangé un fugu mal préparé… Mais il lui suffit de jeter un coup d’œil à sa droite pour constater que Lariska était toujours le roi des Gobelins. Chloé soupira et se résolut enfin à emprunter l’autoroute AX, direction sud. Cela faisait plus d’un quart d’heure qu’elles n’avaient pas fait de mauvaise rencontre. Pourtant, Lariska ne cessait de se dévisser le cou pour scruter les environs. Le temps était couvert, malgré tout, elle clignait beaucoup des yeux car l’une de ses pupilles refusait de s’habituer à la luminosité. Malgré cela, elle continuait à fouiller le ciel du regard.

  • Arrête, tu vas te flinguer les cervicales… lâcha Chloé.
  • J’ai l’impression qu’on est suivies.
  • Mais non. On est loin maintenant. Relaxe un peu…

Lariska obtempéra de mauvaise grâce, car elle venait de remarquer que sa sœur stressait devant son expression inquiète. Alors elle se laissa aller en arrière, se cala contre le dossier et l’appuie-tête et se força à respirer calmement. Et elle se mit à chantonner intérieurement « I’m blue dabadee dabada dabadee dabada dabadee dabada… ». Chloé appuya sur le bouton de la radio en grommelant :

  • C’est bizarre… elle est pas allumée pourtant.
  • En plus je déteste cette chanson ! renchérit Wioletta.

Lariska fronça les sourcils.

  • Quelle chanson ? demanda-t-elle
  • Tu sais, cette chanson qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de mettre en boîte « I’m blue dabadee dabada… »
  • Hein ? Mais... vous l’entendez ?
  • Ben oui, pas toi ?
  • Si, mais je me la chantais pour moi-même… dans ma tête.
  • Hein ? s’écria Wioletta.

- Je ne sais pas ce qui est le plus effrayant, le fait que tu puisses nous faire entendre la chanson que tu as dans la tête, ou le fait que tu aies choisi cette chanson à te mettre dans la tête… railla Chloé.

  • C’est pour éviter d’angoisser, expliqua Lariska, plus la chanson est débile, mieux ça marche. C’est toi qui m’as appris ça. Tu m’as dit que ça marchait super bien juste avant de passer un oral…
  • D’accord, d’accord, j’avoue ça vient de moi… Mais bon là dans la mesure où on entend ce que tu chantes dans ta tête, tu veux pas genre, changer de disque ? grogna la conductrice.
  • Heu… ouais attend, j’essaye.

Lariska ferma les yeux pour se concentrer. Elle fouilla sa playlist mentale et choisit un morceau qui collait mieux à la situation. Elle rouvrit les yeux pour guetter si ses compagnes d’infortune entendaient le même qu’elle.

  • Hit the road jack ? T’as rien trouvé de mieux ? railla Chloé.
  • Plains toi, j’aurais pu partir sur du heavy metal, riposta la Polonaise.
  • A votre avis, c’est un pouvoir du Roi des Gobelins ou un pouvoir de David Bowie ? demanda Wioletta.
  • Le roi des Gobelins, ce serait carrément flippant si Bowie avait eu ce pouvoir…
  • Attend… mais ça veut dire qu’on a écopé aussi des pouvoirs de nos cosplays ?

Wioletta se pencha en avant, se cogna la tête contre le dossier de Chloé, et parvint à attraper ce qu’elle cherchait : son sceptre. Elle le considéra avec attention. Pour compléter son cosplay, elle avait en effet fabriqué un sceptre en papier mâché et y avait collé un caillou translucide d’aquarium pour figurer la pierre d’infinité qui l’ornait dans le film Avengers. Mais le sceptre était désormais métallique et le caillou brillait de mille feux et crépitait légèrement, comme dans sa version originelle.

  • AAAAAAH !
  • Wio, ma chérie. Pose ça à côté de toi et n’y touche pas, ordonna Lariska.

Elle avait regardé Avengers très distraitement mais il lui semblait se souvenir que le sceptre de Loki pouvait faire des choses dangereuses… Du style « abattre un hélicoptère ». Wioletta suivit le même raisonnement que sa sœur et s’éloigna donc le plus possible du sceptre en roulant des yeux terrifiés.

  • Ah ouais donc si on pousse l’idée, toi tu marches au plafond et tu te transformes en chouette et toi tu crées des illusions et tu rallies les gens à ta cause avec ton petit joujou là… énuméra Chloé

Elle poussa un profond soupir en énonçant le dernier corollaire de ses déductions :

  • Et moi… je suis pauvre comme une souris d'église, qui vient de payer des impôts exorbitants le même jour où sa femme s'enfuit avec une autre souris en prenant tout le fromage.
  • Laisse-moi deviner, c’est une punchline de Blackadder ?
  • Hahaha genre ton super pouvoir c’est de sortir des punchlines de Blackadder ! Se moqua Wioletta.
  • Ouais on dirait que j’ai tiré le gros lot…

Chloé n’eut pas le temps de s’apitoyer très longtemps sur son sort. Lariska interrompit ses pensées lugubres d’un hurlement :

  • DRAAAGOOOOOON !!
  • Hein ?

Wioletta se retourna et aperçut effectivement une créature ailée émerger des nuages. Son corps recouvert d’écailles noires avait la taille de trois autocars mis bout à bout et l’envergure d’un terrain de basket.

  • Ciel. La fortune vomit sur mon édredon encore une fois… lâcha Chloé qui venait d’apercevoir un bout du dragon dans le rétroviseur interne.

Puis elle se rabattit au dernier moment pour emprunter la première sortie à sa portée. Elle ralentit pour amorcer un virage serré mais au moins ne voyait-elle plus le dragon dans son rétroviseur.

  • Il nous poursuit ? demanda-telle à Lariska

Cette dernière ne répondit pas. A la place, « I’m blue dabadee dabada » retentit de nouveau dans la voiture.

  • Je prend ça pour un oui. Franchement, c’était pas une journée suffisamment pourrie, il fallait un dragon par-dessus le marché ! Grogna Chloé, que les superpouvoirs de Blackadder empêchaient manifestement de paniquer.
  • C’est pas un dragon, c’est une Wyverne : elle a pas de pattes avant. Indiqua Wioletta, qui s’efforçait de paraître aussi calme que ses aînées.
  • Je ne savais pas que la description des reptiles imaginaires était une science exacte…
  • Ca crache du feu une wyverne ? demanda Lariska, qui ne perdait pas le nord.
  • Théoriquement non, mais Chloé l’a très bien dit… Ce n’est pas une science exacte.

Elles roulaient désormais sur une petite route de campagne, au milieu des champs. Et la Wywerne se rapprochait dangereusement. Chloé était tout de même soulagée d’avoir quitté l’autoroute : sur une nationale déserte, elle pouvait manœuvrer à sa guise pour éviter les éventuelles attaques du monstre. Il y aurait sans doute beaucoup moins de victime à déplorer ainsi.

  • GAUCHE ! hurla Lariska.

Chloé vira à angle droit et commença à rouler dans le champ de blé qui bordait la route. Sur leur droite, une immense gerbe de flammes fit fondre le goudron de la chaussé qu’elle venait de quitter.

  • Bon… C’est une wyverne qui crache du feu, constata Blackadder en elle, toujours aussi flegmatique.
  • MAIS ACCELERE PUTAIN ! T’ATTENDS QUOI ? QUE JE TE METTE LA MUSIQUE DE FAST AND FURIOUS ?

Chloé s’abstint de faire remarquer à Lariska qu’elle n’avait pas vu le moindre film de cette saga, et écrasa sans ménagement la pédale de droite. La conductrice apprécia beaucoup le fait que sa copilote favorite ait préféré l’instinct de survie au flegme anglais. La voiture filait toujours plus vite à travers champs et secouait violemment ses passagères à chaque motte de terre. Mais le dragon se rapprochait toujours. Elles pouvaient entendre le battement d’ailes coucher les épis de blé.

  • Je crois que c’est Smaug, annonça Wioletta.
  • Smaug ? Le dragon dans le Hobbit ?
  • On s’en fout ! Coupa Lariska, il veut nous transformer en merguez, point barre. Mais on peut sans doute lui échapper en se cachant dans la forêt, là-bas.
  • Compris, préparez-vous à sortir rapidement. Ne détachez vos ceintures qu’à mon signal.

Chloé slaloma à toute vitesse en direction des arbres et ne freina qu’au moment d’atteindre l’orée de la forêt. La décélération fut rude : les ceintures firent leur office.

  • Maintenant !

Les trois jeunes femmes détachèrent leur ceinture et jaillirent hors du véhicule qui termina mollement sa course dans une souche. Elles se remirent debout en trébuchant et titubèrent tant bien que mal vers les arbres.

  • Mais elle est minuscule celle forêt ! s’exclama Wioletta, qui courrait plus vite que les autres

Quelle que soit la direction dans laquelle elle regardait, l’étendue des champs se devinait au travers des arbres. Lariska, en bonne citadine, avait pris pour une forêt ces petites zones boisés que les agriculteurs conservent au milieux des champs pour maintenir une certaine qualité du sol. Bref, il n’y avait pas là de quoi se cacher de Smaug. Sa tête apparut entre les troncs. Ses yeux jaunes fixaient les trois jeunes femmes avec fureur.

  • Je pense qu’on écrire sur ma pierre tombale : « Ici repose Edmund Blackadder, et il était très énervé », lâcha Chloé.
  • Je suis vraiment désolée, les filles, déclara Lariska en même temps.

Elle se plaça devant ses compagnes d’infortune et écarta les bras. Tentative désespérée et sans conséquence sur leur mort imminente. Les trois jeunes femmes fermèrent les yeux.

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