ou un brin de schizophrénie

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 Tu as cinq ans. Ta petite sœur vient d’arriver. Elle est jolie, toute rose et ronde. Tes cheveux sont trop courts, tes jambes trop longues. Elle fait du bruit tout le temps, elle crie, appelle maman. Tu dois être discrète, te faire oublier pour laisser de la place à ce bébé. Tu lui en veux d’exister et pourtant tu l’attendais. Ah ! quelle déception, cette nouvelle née.

Toi, tu veux chanter, tu veux danser. Elle sait pas lire, même pas parler. Tu joues, seule.

Ne t’en fais pas, elle va grandir et toujours te faire criser.

Elle grandira encore. Tu es son héroïne, elle t’admire, te suit partout. Tu lui ouvres la voie sans en avoir conscience. Un jour, c’est elle qui te tendra la main. Elle sera ton amie, ta confidente, ta sœur, même si elle reste sciante.

Adultes, vous vous entendrez mieux. Pas sur tout. Elle sera là pour toi et toi pour elle. C’est ce qui compte, au fond.


 Tu as dix ans et une amie. Une amie, ça suffit ? Les autres t’ennuient, te chahutent. Tous des brutes. Elle est douce et coincée. Futée, mais effacée. Ses parents sont aussi riches que les tiens sont fauchés. Vos chemins se sépareront, la vie va s’en charger. Elle ira dans le privé, sauvée ? Toi chez les maculés, maculée.

 Grâce à elle tu as survécu, grâce à elle tu n’es pas si seule. L’un dans l’autre, vous avez trouvé le soutien pour avancer, le courage d’y retourner, été après été.


 Ces années ont passé, finalement moins dures que celles à venir. Tu entres en sixième. Seule. Certains te connaissent, d’autres te devinent. Tous au mieux t’ignorent. Tu vas passer de sales moments, mais l’important, c’est que tu ne vas pas t’effondrer. Je ne peux rien faire pour t’épargner, simplement te dire que tu es aujourd’hui plus forte. Tu t’en es sortie. Ces temps sont finis. Plus personne ne te persécute. Plus jamais tu ne croiseras ce regard, celui qu’on réserve au vilain petit canard. Tu n’es plus la dernière qu’on choisit. De ton front, tu as effacé le mot victime. C’est toi qui diriges ta vie. Tu n’es plus la pucelle trop frêle que les garçons harcèlent. Tu es une femme assumée aux formes girondes que les hommes regardent avec envie.


 Tu vas rencontrer l’Amour. Le pur, l’unique, tu lui donneras tout. Il t’aimera de tout son corps. Puis il te laissera, seule, sur le pavé. Tes premières fois, ne les regrette pas. Elles font de toi ce que je suis. Tu dois juste te préparer à avoir mal. Tu connais le précepte. On peut cent fois souffrir, mais qu’une fois mourir. Je suis là, tu n’en mourras pas.

Tu es forte, là encore tu te relèveras. Plus grande, plus avisée, désabusée. Seule ton innocence est morte.


 Je pourrais te dire de ne pas t’inquiéter, que tout va bien se passer, mais ne le ferai pas. J’ai fini de mentir, de me mentir. Tu vas en chier. Beaucoup, longtemps.

Mais tu vas t’en sortir, grandir et t’épanouir.

Tu passeras par tous les états. De la profonde dépression à l’euphorie la plus totale, tu t’écraseras dans les bas-fonds de la solitude. Tu te reconstruiras, mal. Il faudra encore tout démolir pour recommencer.


 Aujourd’hui les bases sont solides. Le château de cartes a brûlé, les cendres sont envolées.

Tu as bâti un nouveau château, il y a des douves et des tourelles, des personnages, beaucoup. Ils se disputent mais te protègent. Ils sont nous. Non, nous ne sommes pas folles, simplement adaptées à l’environnement hostile qui nous attend. Des mains se tendront vers toi. À toi de saisir les bonnes.


 Que cette missive te parvienne et trace un nouveau possible.

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