25.Rae (Fin tome1)

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Cela fait maintenant trois mois que la chambre a tout simplement disparu du monde astral. J’ai envie de tout casser dans cette piaule, pourtant, je me retiens.

Depuis l’épisode avec Bulgaro, Krohor ne me lâche plus d’une semelle. Il me traite comme sa poule invincible faiseuse d’or. Il se remplit les poches ce cochon et pas qu’un peu. En retour, il déverse sur ma personne des cadeaux qu’il devrait se mettre dans le fondement. À part cette armure de cuir noir à capuche, celle-là, j’ai bandé dès que je l’ai vue. J’aime la porter avec mon masque bas qui couvre mon nez et ma bouche.

Les gars quant à eux, égal à eux même, continuent de pousser de la fonte et s’entrainer. J’ai pris l’habitude de me joindre à eux et les jours se ressemblent de plus en plus. Une routine, digne d’un siège en temps de guerre, s’est installée. Je me lève avec le soleil, mange un morceau, file à l’entrainement, me lave, mange encore un morceau et au lit dès les premiers rayons de lune.

Que la vie est belle !

Le tout sans compter les combats dans l’arène qui s’enchainent aussi souvent que possible. Ma stabilité mentale s’effrite, je perds les pédales et tout ça à cause de cette femme qui m’a embrouillé le cerveau.

Où est-elle ? Nom d’un chien !

Lors de notre dernière entrevue, je l’ai poussée à renouer avec ses amies, proposé d’envoyer paître le conseil de sa communauté qui ne la mérite clairement pas. L’a-t-elle fait ? À moins qu’elle soit bannie et seule.

Si ça continue, je vais devenir fou.

J’attrape ma cape et sort de ma chambre pour la salle d’entrainement. Un peu d’action me fera le plus grand bien. Maintenant que je n’ai plus besoin de demander la permission à ce phacochère de Gaarin, petit avantage d’être la poule du patron, je vais où bon me semble.

Enfin, toujours sous le couvert de la magie d’entrave des Goulordes. Et même si j’éprouve toujours l’envie viscérale de me barrer d’ici, il m’est impossible de mener à bien cette mission.

— Rae, m’accueille Balin, je t’attendais.

Allons-bon. Mon humeur noire s’en trouve décuplée.

— J’ai besoin de me défouler pas de bavasser comme une gonzesse.

— Oh, t’inquiète, on va se mettre sur la gueule.

En voilà de saines paroles. Je me jette sur le banc face au « voyeur de mort ».

— Alors ? Que puis-je pour toi ?

— J’aimerais que tu sondes mon esprit.

Je grimace de dégout.

— Mec, tu veux que je gerbe. Ta cervelle doit puer comme un animal mort.

— Arrête de faire ta prude, me balance Balin en riant, ma tête est une promenade champêtre par rapport à celle de Bulgaro.

— Laisse-moi en douter. Plutôt crever que d’aller faire un tour dans ton cimetière intérieur et je dis ça parce que je te respecte. Maintenant prépare-toi, j’ai besoin de me défouler.

À cette annonce, Balin affiche un sourire de dément. Je fais craquer les os de mon cou.

Hum ! Je vais me régaler.

Finalement, Filanis et Dorga nous ont rejoints et l’exercice s’est prolongé une bonne partie de la journée. Nous en avons même oubliés de manger. À bout de force, nous nous sommes trainés vers les bains avec une seule idée en tête un tas de nourriture.

Dans la salle commune, une odeur de viandes fumantes, légumes, pommes de terre, fruits cuits me percute les narines. Rien que de sentir ce festin ma bouche en salive d’envie.

On peut traiter de « pisse de chat » Krahor, mais il sait prendre soin de ses poulains.

J’entasse une quantité incroyable de tous ces mets dans une assiette et les dévore comme un chien affamé. Pas la peine de faire des manières ici. J’avale une bonne rasade d’eau fraiche pour faire passer le tout et m’affale sur l’un des coussins moelleux pour digérer.

Mes compagnons ne tardent pas à arriver. Ils ne sont pas surpris de me voir allongé. Malgré le fait que nous combattions ensemble et que nos conversations soient courtoises, je ne les considère pas comme des gens en qui je peux avoir confiance.

Chacun ses démons, comme on dit.

Les miens m’ont appris beaucoup sur la fourberie et le planté de couteau dans le dos. Je sais qu’un jour l’un d’eux, pour sauver sa peau, le fera sans remords alors autant me préserver. Les tuer n’en sera que plus facile.

Je ferme un instant les yeux, occultant les bruits de fond qui me perturbe et focalise mon esprit sur les traces astrales de ma mère. Il n’en reste presque plus, elle me manque et pas que… Les montagnes de Mata me manquent, mon clan me manque. Je visualise mon père dragon, planer aux dessus des cimes des séquoias millénaires. Libre. Ses souvenirs paraissent si lointains.

Brusquement, la porte claque. J’ouvre les yeux. Cet imbécile de Gaarin dandine son fessier dans ma direction. Qu’est-ce qu’il me veut ? Son bide ballotte au rythme de sa démarche claudicante. Je soupire d’ennui. Depuis ma victoire contre Bulgaro, il me lèche les bottes, alors j’en profite un max.

— Le maitre souhaite te voir Rae.

— Tu vois pas que je me repose sac-à-merde !

Il semble hésiter à rebrousser chemin. Je ricane. Quelle perte de temps ! Ce n’est même plus drôle, je préférais quand on joutait. Il avait au moins le mérite de me tenir tête. Là, il me donne juste envie de le secouer comme un prunier.

— Part devant le pourceau, je te rejoins.

— Bien, je vais prévenir maitre Krahor sur le champ.

— Ouais fais donc ça et lèche lui la bite aussi !

Mes compagnons éclatent de rire. Je les gratifie d’un doigt d’honneur. Leur hilarité s’intensifie et m’accompagne jusqu’à la fin du couloir intérieur.

Je vous jure, on n’est pas aidé.

Les appartements de Krahor se situent au premier et dernier étage de la bâtisse. Ils sont gardés en permanence par des mages noirs. Je les regarde à peine et trace directement vers le bureau du sac d’os.

À la troisième frappe, j’entre.

— Vous avez demandé à me voir ?

La carcasse longiligne s’avance dans un nuage de fumée odorante.

— Oui, j’ai une mission pour toi de la plus haute importance.

Je fronce les sourcils.

— Un combat ?

— Pas tout à fait. Disons plutôt un genre d’affrontement psychique.

Pour une fois, mon intérêt est sollicité.

— C’est-à-dire ?

— J’ai besoin que tu brises des murs mentaux. Ce ne sera pas une mince affaire, je préfère te prévenir, beaucoup ont essayé, tous ont échoué.

Enfin une mission à ma hauteur. Je m’en frotte les mains.

— Très bien. Je m’y colle.

Il me frappe l’épaule comme si nous étions amis. J’ai envie de lui écraser la main.

— Je savais que je pouvais compter sur toi.

Puis sans ménagement, il m’attrape les cheveux et les tire vers le bas pour que nos yeux se rencontrent.

— Ne me déçois surtout pas.

Nous nous dévisageons un moment puis il me relâche.

— Tu peux disposer. Le petit oiseau sera là demain.

Le petit oiseau ?

Sans rien dire, je retourne au rez-de chaussée dans ma chambre et m’étend dans mon lit. Cette histoire me taraude, mais pas assez pour en oublier mon rituel.

Je projette une fois de plus mon corps astral vers ce que j’imagine être la chambre. Aucun accès n’est envisageable. Je rage. D’aussi loin que je me souvienne, jamais un plan astral n’a disparu. Tout ceci n’a simplement pas de sens. Pourquoi ?

La nuit est passée vite. Seules mes pensées ont tourné au ralenti autour de ce mystère et de la tâche que l’on m’a confiée. J’imagine que cette besogne va lui rapporter un maximum de pognon. Je soulève les draps. Quelqu’un frappe à la porte.

Suspicieux, j’approche sur mes gardes. Arrivé devant le battant, je ne sais même pas quoi dire. Un « qui est là ? » peut-être ? Je grogne et finis par l’ouvrir avec vigueur.

Sur le seuil, une petite chose imbibée de ténèbres me prie de me présenter dans la grande salle munie de ma tenue de cuir complète, le regard vitreux.

J’acquiesce avant de refermer, l’air songeur. Qui est le convive de Krohor pour être reçu en grande pompe dans le cœur de la maison. Et surtout qui est le petit oiseau ?

Je m’active et revêt ce que je considère comme une seconde peau lors de mes combats. J’ajuste le masque qui me recouvre le nez et la bouche jusqu’au menton et dans un mouvement fluide recouvre ma tête ne laissant que mes yeux visibles.

Mes bottes claquent sur le sol de pavé, habillé ainsi, je ressemble à un voleur de grand chemin. Il ne me faut que quelques minutes pour atteindre mon objectif. Dans la salle, je reconnais aisément Krahor et ses gardes. Face à lui, légèrement dans l’ombre, une silhouette quelque peu étrange lui parle et disparait. Je m’avance, l’allure fluide et me poste au plus prêt de ce que tout le monde imagine être mon maitre.

Celui-ci me plaque une main sur l’épaule m’obligeant à mettre un genou à terre comme un esclave obéissant.

C’est alors que je remarque une caisse en bois. Bon sang, il y a quelqu’un dedans qui gémit. Dans quoi cette ordure va-t-elle m’embarquer ?

— Il sera à la hauteur, minaude Krahor en me tapotant la tête.

À qui parle-t-il ? Je ne vois personne.

— Ouvrez la caisse, ordonne-t-il, ce petit oiseau m’a l’air dans un sal état. Rae prendra bien soin d’elle, il aime les femmes qui ont du caractère, n’est-ce pas Rae ?

Je grogne pour toute réponse.

— Brave bête, me flatte-t-il une nouvelle fois.

Je serre fort les paupières pour ne pas lui sauter à la gorge.

Deux inspirations plus tard, j’entends des craquements sourds m’avertir que la boite est ouverte.

Je lève la tête juste à temps pour voir deux masses noires plonger leurs bras pour en ressortir une femme à moitié nue avec un sac sur la tête. Elle se débat et se lamente comme une biche sauvage. Par le feu des gouffres brulants, qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? Son corps est couvert de bleus et d’ecchymoses.

— N’est-elle pas magnifique ? roucoule Krahor le regard avide de convoitise.

Pauvre fille qui va finir droguée dans le lit de pervers immonde. Je me demande bien qui elle est pour qu’ils aient besoin de mes services.

— Retirez lui ce sac à pomme de terre que je vois son visage.

Une cascade de cheveux cuivrés s’effondre sur son corps, mon cœur rate un battement. Ce n’est pas possible. Je rêve ? C’est elle ! Je sens la colère pulser dans mes veines si bien que je me relève et fonce droit sur elle.

— Tout doux Rae, me retient l’autre bouffon alors je n’ai qu’un désir, l’arracher des bras de ses deux sbires et la prendre dans les miens.

— Je vois qu’elle te plait, mais nous avons un travail à faire.

Je serre les poings à m’en craquer les os. Elle hausse le menton, ses yeux suintent le défi. Quand son bâillon lui est retiré, elle n’hésite pas une seconde et me crache au visage.

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